[Procès mauvaises intentions] Première journée (2)

Paris : Les « anarcho-autonomes » sont-ils des terroristes ?

Depuis lundi, six jeunes gens comparaissent devant le tribunal correctionnel, pour avoir au nom de leur lutte anticapitaliste, préparé des engins explosifs. Reste un doute sur la réalité de certaines de ces intentions…

Ils sont six à comparaître. Mais derrière eux, la salle est pleine de sympathisants, rameutés par les réseaux « alternatifs », « autonomes », « de la mouvance anarcho-autonomes » pour la police. Et dehors, pendant plus d’une heure, d’autres ont crié. « Avec les sans papiers, liberté pour tous ». Comme pour dire à ces six-là, au tribunal, à la presse, à tout le monde, « nous sommes légion »

Bouteille d’essence, allume-feu et fagot d’allumettes

Ces six-là, tous âgés de 29 à 32 ans, sont soupçonnés de différents faits, tous qualifiés d’« entreprise terroriste ». Javier, 32 ans, est jugé pour avoir, en avril 2006, fabriqué et déposé un engin incendiaire (constitué d’une bouteille d’essence, d’allume-feux, d’un fagot d’allumettes et d’une cigarette en guise de système de mise à feu), dans une armoire électrique de la SNCF, entre la gare de l’Est et la gare de Pantin.

Son ADN est aussi retrouvé sur un engin incendiaire, retrouvé sous un camion-grue de la préfecture de police de Paris, garée devant le commissariat du XVIIIe arrondissement, le 2 mai 2007. Dans un sac cabas, un policier découvre six bouteilles d’essence, associée à des allume-feux, un fagot d’allumettes et une cigarette consumée. Là encore, le dispositif de mise à feu n’a pas fonctionné comme voulu. Sur la bombe, les enquêteurs découvrent quatre ADN masculins et un ADN féminin : sur le fagot d’allumettes, un cheveu, appartenant à Inès, née en 1983, la petite sœur de Javier. Sur les bouchons de bouteilles, la fermeture éclair du sac et le filtre de la cigarette-mèche, les quatre ADN masculins, dont celui de Javier et celui d’un troisième prévenu, Damien, né en 1982.

Bombe ou fumigène ?

Le même Damien qui a été interpellé, en janvier 2008, en compagnie d’Yvan, 30 ans, et Bruno, 29 ans ans, aux abords du centre de rétention administrative de Vincennes. Dans leurs sacs à dos, des pétards, des cuillères à soupe, un masque de ski, du scotch, et un boîte en plastique contenant une poudre beige. Un mélange, dira l’analyse, de chlorate de soude, de farine, de sucre et de bicarbonate de soude. Qui, selon le confinement, peut servir à composer une bombe ou un fumigène. Mais un dosage « mal fait » l’a rendu difficile à enflammer.

Quatre jours après, Inès et Franck sont contrôlés en voiture par les douanes, au niveau du péage de Vierzon. Dans le véhicule, deux sachets de chlorate de sodium, des photocopies d’un livre expliquant la fabrication d’explosifs, du chlorate de potassium et les plans d’un établissement pour mineurs en construction à Porcheville, dans les Yvelines.

Une intention terroriste ?

Les diverses perquisitions opérées par la PJ et la Sous-direction antiterroriste (SDAT) ont mis à jour l’appartenance, revendiquée, de ces six jeunes à une « mouvance anarcho-autonome ». Pèle-mêle, de la documentation sur l’enfermement des mineurs délinquants, des cours de philosophie, des tracts, des photographies de manifestations en grèce, « pas pacifistes » selon la présidente, des documents sur le groupe Action Directe, des pétards, des livres sur les explosifs…

Si le lien entre les différents protagonistes est avéré, si des éléments attestent de leur adhésion à des théories contestataires violentes, si les produits retrouvés ici et là laissent penser à une volonté d’exécution de projets violents, reste à prouver l’intention terroriste pour ces six jeunes tous célibataires et sans enfants, tous au RSA.

Lundi, deux de ces jeunes sont passés à la barre. Bruno, d’abord, puis Yvan. Bruno est « rippeur dans le cinéma », et a « un projet de documentaire ». Mais il n’a pas très envie de détailler son cursus, sa « personnalité » comme l’appelle la justice, et demande, pincé, « restons-en aux faits ». Des faits qui transpirent l’idéologie à laquelle il adhère. Le refus de prélèvement d’ADN pendant sa garde à vue ? « Par solidarité avec les sans papiers ». La rupture du contrôle judiciaire auquel il était soumis après sa détention provisoire ? « Il était important de signifier que j’étais contre ces mesures imposées ». « Je suis anticapitaliste », souligne-t-il. Retour sur les faits : pourquoi fabriquer soi-même un fumigène, alors qu’on en trouve dans le commerce ? « Pourquoi se faire à manger alors qu’il y a des plats tout préparés ? » « C’est une réponse », note la présidente, chargée de déterminer à quel point les intentions de ces jeunes gens se limitent à la confection d’un fumigène.

« Retour à l’envoyeur… »

Puis c’est au tour d’Yvan. Au RSA lui aussi. Plus doux, moins amateur de rhétorique révolutionnaire que son copain, il se contente de justifier la rupture de son contrôle judiciaire (il a rencontré l’un de ses coprévenus) par le sentiment d’une « instruction à charge ». Le fumigène ? « J’aime bien faire les choses moi-même, et le chlorate de soude ne coûte que quelques euros dans les jardineries… Il n’y a pas de raison de croire que ça pouvait servir à autre chose qu’à faire un fumigène ! » Les clous pliés retrouvés dans les poches des jeunes hommes ? « Pour bloquer la circulation », et non pour faire une bombe à fragmentation… Le bocal de répulsif à animaux trouvé dans le coffre de sa voiture ? « C’est un produit qui avait été médiatisé quand la mairie d’Argenteuil s’en servait pour repousser les SDF et les prostituées, ce que je trouve répugnant. Je prévoyais une action symbolique du type retour à l’envoyeur… »

À suivre…

Presse terroriste (FranceSoir.fr, 15 mai 2012)

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