[« On les présentait carrément comme des sorcières »] Bas les pattes sur les Pussy Riot !

« Pussy Riot », les féministes punk qui défient Vladimir Poutine

Cagoules et collants bariolés, robes colorées, guitares électriques et poings levés. Les images des Pussy Riot, collectif féministe et écologiste russe punk qui a multiplié les actions anti-Poutine depuis l’automne, ont fait le tour du Web. Le mouvement rappelle d’autres initiatives contestataires insolites nées à la faveur de l’élection présidentielle russe. Il a pourtant connu un écho inédit après que trois de ses membres ont été placées en détention provisoire à Moscou, en mars, pour « vandalisme commis en groupe organisé ».

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Le 21 février dans la cathédrale du Christ-Sauveur, à Moscou.

 

Le 21 février, cinq membres du collectif avaient pénétré masqués dans la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur, haut lieu du renouveau orthodoxe en Russie, pour y déclamer, en musique et devant l’autel, un Te Deum revisité à la sauce punk demandant à la Vierge Marie de chasser Poutine (« Vierge Marie, mère de Dieu, chasse Poutine, chasse Poutine, chasse Poutine »).

Les Pussy Riot n’en étaient pas à leur coup d’essai. En octobre 2011, les jeunes femmes avaient déjà mené une série d’actions dans le métro de Moscou et sur les toits des trolleybus de la capitale pour protester contre le machisme de la société russe. En décembre, elles s’étaient produites sur le toit d’un bâtiment proche du commissariat où était détenu, entre autres, le blogueur et opposant Alexeï Navalny. Et le 20 janvier, huit d’entre elles avaient entonné sur la place Rouge une chanson intitulée « Poutine a fait dans son froc », en référence aux récentes manifestations de l’opposition.

Au terme de leur performance dans la cathédrale du Christ-Sauveur, les jeunes femmes avaient réussi à prendre la fuite. Quelques jours plus tard, la police interpellait plusieurs membres présumés du groupe. Nadejda Tolokonnikova, Maria Alekhina et Ekaterina Saloutsevitch, toutes âgées d’une vingtaine d’années, ont depuis été placées en détention provisoire dans l’attente de leur jugement. Celui-ci, au terme de plusieurs procédures d’appel déboutées, a été repoussé au 24 juin.

Les trois jeunes femmes sont des figures connues de l’activisme politique en Russie : Nadjeda Tolokonnikova est une militante de la cause homosexuelle et membre, comme Ekaterina Saloutsevitch, du collectif d’artistes Voïna tandis que Maria Alekhina est une des principales militantes écologistes en Russie. Elles encourent jusqu’à sept ans de prison, une peine déjà prononcée en Russie dans le passé pour des accusations de « vandalisme ».

CRISE DE FOI

L’affaire a fait grand bruit en Russie et suscité un débat inédit sur les liens entre Église et pouvoir, dénoncés par la prière punk des Pussy Riot (« Le patriarche Goundiaïev (Kirill) croit en Poutine / Ce serait mieux, salope, qu’il croie en Dieu »). Si une partie de l’Église orthodoxe russe crie au sacrilège et au blasphème, exigeant que les jeunes femmes soient punies, d’autres, à l’image du diacre Andreï Kouraev, appellent à la clémence et au pardon, jugeant la peine démesurée au regard des faits.

Un avis largement partagé par l’opinion publique qui, si elle désapprouve la provocation des Pussy Riot, estime dans sa majorité la réaction des autorités excessive. Beaucoup reprochent au patriarche de l’Église orthodoxe, Kirill, au centre de plusieurs polémiques ces derniers mois, sa dureté envers les Pussy Riot. Le patriarche a qualifié leur performance de « blasphématoire », fustigeant ceux qui soutiennent leur action et la présentent comme « une plaisanterie amusante ».

« En mettant l’accent sur le caractère blasphématoire de leur action, on en tait l’aspect politique », souligne Inna Doulkina, rédactrice en chef du Courrier de Russie, journal franco-russe publié à Moscou.

Ainsi de l’émission d’Arkadi Mamontov sur Rossya 1, la première chaîne d’État russe, qui, le 25 avril, a diffusé un film documentaire sur les Pussy Riot intitulé « Les provocateurs », dans lequel l’action des jeunes femmes était décrite comme soigneusement préméditée dans le but d’offenser les sentiments des croyants et de déstabiliser la société. « On les présentait carrément comme des sorcières », ajoute Inna Doulkina.

Mais à la question de la moralité du happening des Pussy Riot se heurte celle de la dimension artistique et engagée de leur action. Pour l’artiste contemporain Oleg Koulik, interrogé par le même journal, ce qu’ont fait les jeunes femmes dans la cathédrale du Christ-Sauveur est bien de l’art et c’est précisément la raison pour laquelle Église et pouvoir ont réagi aussi violemment : « Pourquoi se retrouvent-elles en prison ? Parce que le pouvoir ne pouvait pas admettre qu’on critique l’Église, la seule institution qui, dans le cas d’une révolution, se lèvera pour sa défense. Le pouvoir a réagi de façon d’autant plus raide que l’action de Pussy Riot était douce, pratiquement inoffensive. Qu’est-ce qu’elles ont fait, ces jeunes femmes ? Elles n’ont pas haché les icônes, elles n’ont tabassé personne, elles ont juste dansé et chanté. Et c’est exactement ce que ni le pouvoir ni l’Église n’ont pu supporter. Si seulement Pussy Riot avait commis une véritable agression, cela aurait voulu dire qu’elles respectaient leur ennemi et le prenaient au sérieux. »

Si les oripeaux bariolés dont les Pussy Riot entourent leurs performances ont pu parfois occulter le sens premier de leur action, « ce sont avant tout des intellectuelles », estime Christine Pokotilova, qui anime la version française du site Freepussyriot. Dans une lettre envoyée depuis la prison n° 6, Nadejda Tolokonnikova écrit : « Nous ne sommes pas des messies. Mais qui sait, peut-être Pussy Riot est-il le signe de l’imminence d’un temps nouveau dans l’histoire spirituelle de l’humanité, le siècle de la liberté, comme prédit par les philosophes chrétiens russes ? »

Olga Kokorina, de l’association Russie-Libertés créée en janvier 2012, et la traductrice des lettres des détenues en français, partage l’analyse de Christine Pokotilova : « Les Pussy Riot représentent aussi une forme d’activisme civil. Elles ont choisi la musique punk mais ce qui est le plus important, c’est leur message politique. »

MOBILISATION INTERNATIONALE

L’inscription des Pussy Riot dans la mouvance punk, en référence notamment au mouvement Riot grrrl né aux États-Unis au début des années 1990, et l’importante médiatisation dont a bénéficié la vague de contestation anti-Poutine en Russie, a largement contribué à internationaliser le mouvement.

De nombreux comités de soutien aux jeunes femmes ont fleuri en Europe, aux États-Unis ou encore en Israël, et des témoignages d’encouragement sont arrivés du monde entier. Kathleen Hanna, la fondatrice du groupe américain Bikini Kill, a assuré les Pussy Riot de son soutien. Amnesty International a mis en ligne une pétition demandant la libération des jeunes femmes, que l’ONG qualifie de « prisonnières de conscience », et le site d’Europe Écologie-Les Verts a également publié un communiqué appelant à la mobilisation pour la libération des jeunes femmes.

Le 11 mai, la cour de justice de Moscou a confirmé le maintien en détention de Maria Alekhina. Une décision similaire avait été rendue le 19 avril au sujet de Nadjda Tolokonnikova et Ekaterina Saloutsevitch. Les avocats des jeunes femmes ont décidé de porter plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

Leur presse (Juliette Rabat, LeMonde.fr, 15 mai 2012)

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