La croisade « anti-fraude » frappe encore les pauvres

En ces temps de crise et de restrictions budgétaires, les pauvres sont les premiers à payer. Salariés, nous devons nous plier à la concurrence et aux injonctions du marché, pour sauver nos emplois. Bénéficiaires des prestations sociales, nous devons accepter de nous plier à toutes formes de contrôles et d’humiliations, pour conserver l’aumône que l’État nous concède. D’autant que la campagne contre la fraude est devenue une priorité nationale. À écouter politiques et journalistes, ce fléau social serait en grande partie responsable de la crise économique et financière. La chasse est ouverte. À la sécu, au Pôle Emploi ou à la CAF : allocataire rime avec fraudeur.

Et quand un bourgeois, bien conscient que l’État est à son service, en rajoute une couche pour mater des prolétaires rétifs, on obtient une bien sinistre fable cévenole…

Rentrons dans les détails de cette histoire abracadabrante, qui serait presque cocasse, si l’enjeu n’était pas la survie économique de plusieurs personnes.

Après avoir fait ses démarches auprès de la CAF pour obtenir l’allocation logement de son nouvel appartement, Macha est surprise de ne rien recevoir. Suite à de nombreux coups de téléphone, elle finit par comprendre que son ancien propriétaire a utilisé son nom, pour lui aussi faire une demande d’allocation, pour l’appartement qu’elle vient de quitter. La CAF se retrouve avec deux demandes d’allocation au même nom et gèle les versements. Au bout de quelques temps, les droits sont rétablis, mais un mois reste impayé. La CAF prévient en outre Macha qu’elle sera contrôlée à son domicile.

Fernand et Béatrice partagent un appartement en colocation. Ils hébergent à titre gratuit l’ex-compagnon de Macha. Tous trois reçoivent un avis de contrôle pour la même date et la même heure.

Soupçonnant que ces contrôles sont liés aux déclarations frauduleuses du propriétaire, ils décident d’aller demander des explications à la CAF, accompagnés du collectif de travailleurs, chômeurs et précaires, Exploités Énervés.

Après d’âpres négociations, avec deux employées de la CAF en liaison avec la direction départementale de Nîmes, le mois d’APL perdu de Macha est retrouvé et les trois intéressés rédigent une demande officielle pour que leur soit précisé le motif du contrôle, qu’il ait lieu dans un lieu neutre, et qui stipule qu’ils ne s’opposent pas au dit contrôle. Les deux employées leur font savoir que le contrôle est suspendu.

Quelques temps plus tard, les trois allocataires concernés reçoivent un courrier recommandé du directeur de la CAF du Gard leur stipulant qu’ils avaient refusé un premier contrôle et qu’il y en aurait donc un second qu’il ne vaudrait mieux pas refuser. Un peu plus tard, Fernand et Béatrice reçoivent un autre courrier leur précisant que le contrôle qu’ils vont subir a pour objet de vérifier le dossier de Macha et qu’un refus de leur part entraînerait des sanctions sur ses prestations.

Puis, vient le jour du contrôle. Chez Macha, la contrôleuse exige que les personnes présentes sortent sous peine de ne pas effectuer le contrôle. Ces dernières s’exécutent, et l’entretien tourne à l’interrogatoire. Finalement, la contrôleuse part en disant qu’un dossier sera sanctionné dans cette affaire mais qu’elle ne sait pas encore lequel. Chez Fernand et Béatrice, quelques minutes plus tard, même topo. Mais, les contrôlés essaient de négocier un entretien « privé », sans faire sortir leurs hôtes. La contrôleuse n’en démord pas, arguant qu’elle a des consignes de sa direction. Elle finit par partir en disant qu’elle ne reviendrait pas.

Une dizaine de jours plus tard, les sanctions tombent : suspensions des allocations logements et de l’allocation soutien familial de Béatrice, en attendant les conclusions finales de la commission.

Prise dans un élan national de lutte contre la fraude, la CAF du Gard s’emballe. Fière d’annoncer la mise à nu de 126 cas de fraudes et d’avoir porté 78 affaires au pénal en 2011, elle compte faire mieux en 2012. Qu’importe les méthodes employées, seuls les résultats comptent. Quitte à inventer de faux refus de contrôle et à adapter son règlement à la tête du client.

Évidemment, la CAF ne fait que suivre les injonctions des politiques et applique la cure globale d’austérité aux précaires. Quand, dans ses rapports officiels de 2009, elle déclare 2,15 % d’allocataires en situation de « fraude » et 0,15 % en situation de « fraude délibérée », l’URSSAF annonce, elle, pour la même année, que 63 % des entreprises contrôlées ont fait l’objet d’un redressement fiscal. Parallèlement, un rapport parlementaire de 2011 chiffre les « fraudes fiscale, sociale et douanière » à 3,4 milliards d’euros  pour 2010. Sur ce montant, seuls 458 millions sont liés à la « fraude sociale ». Il existe encore une fois un net décalage entre le discours politico-médiatique et la réalité socio-économique. Les allocataires de prestations sociales y sont dénoncés comme responsables de la fin annoncée de « l’État social » à cause du déficit budgétaire, alors que les premiers fraudeurs — les plus grands voleurs — sont les entreprises. Cette rhétorique a pour objectif de justifier la pression qui est mise sur les travailleurs. Et ainsi coincés entre des administrations kafkaïennes et répressives et des possibilités d’accès à l’emploi de plus en plus difficiles, nous sommes tous contraints de travailler pour des miettes. Au grand profit du patronat et de la « relance économique ».

L’affaire de Macha et de ses amis n’est pas un cas particulier. L’objectif de la CAF, comme des autres institutions gérant la misère (police, justice, administrations multiples), est de renvoyer les individus à leur isolement, alors que les situations auxquelles ils sont confrontés sont le fruit du système dans sa globalité.

Dans ce contexte, la solidarité et l’action collective peuvent nous permettre de desserrer les mâchoires de l’étau administratif et patronal… Et de résistances en résistances… passer à l’offensive !

Le capitalisme est en crise ? L’État est au bord de la faillite ? Qu’ils crèvent !

Permanences Exploités Énervés tous les 2e vendredi du mois à 18h30 au bar « Au Bon Coin », 2, rue Faubourg de Rochebelle, à côté de la Bourse du Travail (Alès).

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