Le jour où L.A. a pris feu
(Los Angeles) Le 29 avril 1992, l’acquittement des quatre policiers accusés d’avoir battu Rodney King, citoyen afro-américain arrêté à la suite d’un excès de vitesse, a déclenché l’une des pires émeutes de l’histoire des États-Unis. Les affrontements dans le quartier South Central ont fait 54 morts, 1 milliard de dollars de dégâts et nécessité le déploiement de plus de 13’000 soldats. Vingt ans après, où en est le quartier ? Notre correspondant fait le point.
Les jurés ont lu le verdict à 15h15. Les quatre policiers filmés en train de battre Rodney King étaient acquittés.
Bart Bartholomew a empoigné ses appareils photo et s’est rendu au coin des avenues Florence et Normandie, dans South Central L.A. Déjà, une foule en colère de 200 à 300 personnes occupait l’intersection.
« Environ 30 policiers étaient sur place et arrêtaient un homme, se souvient-il. La foule s’est mise à leur lancer des bouteilles et des pierres. Les policiers ont reçu l’ordre de partir. Les émeutes ont commencé. »
M. Bartholomew, qui travaillait pour le New York Times, a réalisé qu’il était en danger.
« Des gens ont commencé à me frapper pendant que je retournais à ma voiture. Ils ont pris mes appareils. J’ai reçu un coup de “2 × 4” sur la mâchoire et une pierre sur la tête. Grâce à l’aide d’un bon Samaritain, j’ai pu partir. »
Le photographe a réussi à cacher un rouleau de film exposé sur lui. Ses photos des émeutes ont fait le tour du monde et ont été mises en nomination pour un prix Pulitzer. Les jours suivants, M. Bartholomew a suivi les émeutes de son lit d’hôpital : il avait la mâchoire fracturée et des contusions à la tête et au corps.
Les émeutes de Los Angeles, qui ont débuté le 29 avril 1992, ont duré six jours et mis la partie sud de la ville à feu et à sang. En tout, 54 personnes ont été tuées, et plus de 2000 autres ont été blessées avant que l’arrivée de 13’500 militaires ne rétablisse l’ordre.
Reno Smith, 53 ans, a pris part au soulèvement. Rencontré cette semaine lorsqu’il était en train de manger avec un ami devant un petit restaurant, à l’angle de Florence et de Normandie, M. Smith dit avoir été marqué par les émeutes.
« J’ai vu plus d’armes et de violence cette semaine-là qu’à n’importe quel moment dans ma vie, dit-il. Quand on est au pied du mur, puis qu’on nous frappe au visage, on réagit. On n’a plus rien à perdre. »
En 1992, le quartier majoritairement noir affichait un taux de chômage élevé, et ses habitants vivaient dans un état de pauvreté impossible à concevoir pour les gens des quartiers nantis du nord de la ville. L’acquittement des policiers qui avaient battu Rodney King — un épisode filmé par un témoin — a agi comme une étincelle.
« La police était agressive depuis longtemps envers les Noirs, dit M. Smith. Nous devions baisser la tête sans rien dire. Le jour de l’émeute, tout ça a changé. Les jeunes. Les vieux. C’était un soulèvement généralisé. »
Éloge de la pacification
L’avocate spécialiste des droits civils Connie Rice a résumé la situation ainsi lors d’un débat sur les émeutes, la semaine dernière : « Les émeutes ont éclaté parce qu’il y avait un pan entier de la population qui avait été humilié durant des décennies. C’était une poudrière, au-dessus d’une poudrière, au-dessus d’une poudrière. »
Les émeutes ont provoqué des changements importants chez la police de Los Angeles (LAPD). En 1992, 59% des policiers du LAPD étaient blancs. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 37%.
Le quartier South L.A. a aussi changé : aujourd’hui, il accueille majoritairement des familles d’immigrants latinos. On a ouvert des supermarchés. Avant, les citoyens devaient se contenter d’acheter la nourriture dans les dépanneurs.
Au début des années 90, on comptait plus de 140 homicides en moyenne par année dans le centre de South L.A. L’an dernier, il y en a eu 32.
M. Smith a vu le quartier changer. « Aujourd’hui, il y a une confiance mutuelle avec la police » [sic], dit-il.
Le photographe Bart Bartholomew, quant à lui, est souvent retourné à l’angle de Florence et de Normandie. Il y a quelques années, il a même revu le bon Samaritain qui l’a protégé au moment où la foule voulait sa peau.
« Il m’a fait un grand sourire. Je l’ai pris dans mes bras et je l’ai serré très, très longtemps. »
La police de Los Angeles (LAPD) a été critiquée au lendemain des émeutes. Les policiers ont été accusés de faire régner un régime basé sur la peur et le racisme dans South Central. Vingt ans plus tard, les policiers adoptent maintenant une approche communautaire qui est beaucoup plus appréciée : 70% des résidants de la ville ont une bonne opinion du LAPD, selon un récent sondage du L.A. Times.
Leur presse (Nicolas Bérubé, cyberpresse.ca, 27 avril 2012)
Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande
(…) Selon Nina Eliasoph, sociologue à USC, le danger le plus important aujourd’hui est l’inégalité des classes. L’extrême pauvreté au sein des hispaniques est passé de 20 à 24 % sur les 20 dernières dernières, et de 18 à 22,3 % chez les Noirs. « Le conflit de classe va devenir plus important que la tension raciale », augure-t-elle. « Et Los Angeles est un cas extrême. Nous avons plus d’inégalités ici que dans les autres villes du pays. »
Leur presse (LeMonde.fr avec l’Agence Faut Payer, 29 avril 2012)