Comment le contre-espionnage a égaré la fiche de Merah
Dès 2006, l’auteur des tueries de Toulouse et Montauban était fiché comme susceptible d’attenter à la sûreté de l’État.
Bernard Squarcini, le chef de la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI), est formel. Ses services n’auraient entendu parler de Mohamed Merah qu’en novembre 2010, et ce pour la première fois.
Dans l’entretien accordé au journal « le Monde » après les tueries de Toulouse et de Montauban, le patron du contre-espionnage français a expliqué qu' »après un simple contrôle routier à Kandahar, en Afghanistan en novembre 2010 (…) la direction de la sécurité et de la protection de la défense nous a signalé l’incident ». Squarcini précise même qu’il n’y a aucun lien entre Merah et le démantèlement, fin 2006, à Artigat, à une soixantaine de kilomètres de Toulouse, d’une filière de combattants djihadistes en Irak. Pour lui, l’amitié entre Mohamed Merah et Sabri Essid, un Toulousain arrêté les armes à la main à la frontière syro-irakienne, tout comme le concubinage entre sa mère et le père d’Essid, n’en font pas un « activiste chevronné » qui aurait mérité d’être étroitement surveillé. Le chef de la DCRI affirme donc qu’il n’y a « pas de lien, en dehors de mandats que (Merah) a envoyés à l’un des condamnés en prison, ce qui peut être une simple solidarité de cité ».
Or Mohamed Merah a bien été fiché comme susceptible d’attenter à la sûreté de l’État dès 2006. Suite à l’opération conduite à Artigat, les Renseignements généraux (ancêtres de la DCRI) avaient émis une fiche « S », comme sûreté de l’État, à son nom, le désignant comme « membre de la mouvance islamiste radicale, susceptible de voyager et de fournir une assistance logistique à des militants intégristes ». La procédure implique que les policiers contrôlant un individu fiché « S » signalent sa présence aux RG et recueillent un maximum de renseignements sur lui (provenance, destination, moyens de transport, etc.). Bref, qu’ils le surveillent étroitement, « sans attirer l’attention ».
Imbroglio administratif
C’est du reste ce qui s’est passé le 18 novembre 2007, à 1h30 du matin, lors d’un contrôle au col du Perthus, à la frontière espagnole, comme l’a révélé M6. Merah se trouvait dans une BMW immatriculée à Toulouse, en compagnie de deux petits voyous de cité. Bernard Squarcini paraît l’ignorer. Voici pourquoi.
Selon notre enquête, la fiche Merah de 2006 s’est volatilisée deux ans plus tard, soit en 2008, à la faveur d’un incroyable imbroglio administratif sur fond de guerre des polices, à l’occasion de la fusion entre les RG et la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), devenus la DCRI. Un projet cher à Nicolas Sarkozy. « Les fiches S ont une validité de deux ans et doivent être renouvelées après ce délai par les services » [sic], explique un agent de renseignement qui s’est penché sur cette bévue. « Dans la nouvelle organisation, le pôle ‘Islamisme radical’ des RG, à l’origine de la fiche, a été presque entièrement démantelé pour faire la part belle aux spécialistes antiterroristes venus de la DST », explique ce même agent. « La mémoire des RG est partie en fumée, et la fiche S de Merah est passée à l’as. »
Il franchit les frontières sans attirer l’attention
À l’époque, le jeune homme, incarcéré à Toulouse pour un délit mineur, ne se fait donc pas remarquer dans les milieux islamistes. À sa libération en septembre 2009, Merah, sorti des radars des services antiterroristes, peut franchir les frontières sans attirer l’attention. Et sillonner le Moyen-Orient, de l’Égypte à l’Afghanistan en passant par la Syrie, la Jordanie et Israël.
Ce n’est qu’en novembre 2011 que la DCRI rédigera une nouvelle fiche S sur Merah, après son retour du Pakistan et un léger débriefing à l’antenne toulousaine du service. Cette fiche, figurant au fichier des personnes recherchées (FPR) et dont « le Nouvel Observateur » a pu prendre connaissance, est étonnamment minimaliste. Elle présente Merah comme « un militant proche du milieu djihadiste international » mais n’est classée que « S 5 » : une procédure qui demande de signaler ses passages aux frontières, mais n’implique ni de fouiller ses bagages, ni de le surveiller sur le territoire français. « Une surveillance très légère », reconnaît un agent de renseignement.
Le raté administratif durant lequel s’est perdue la première fiche Merah — celle de 2006 — a-t-il été évoqué devant la délégation parlementaire pour le renseignement qui a auditionné le chef de la DCRI, le 4 avril dernier, soit cinq jours après que M6 en eut fait état ? Les huit parlementaires concernés ont-ils posé la question ? « Secret-défense », répliquent-ils en chœur. Seul le président de la délégation, le député Guy Tessier, affirme qu’il n’y a eu « aucune faille ou aucune ombre au tableau » (dans le traitement de l’affaire Merah, ndlr). Contre toute évidence.
Lire l’intégralité de l’article « Révélations sur les ratés de l’affaire Merah » dans « le Nouvel Observateur », en kiosque le 19 avril.
Presse terroriste (Cécile Deffontaines & Olivier Toscer, tempsreel.nouvelobs.com, 18 avril 2012)