Commandant Aïssa Ag Akli. Chef de la sécurité à Achebrache
« Nous devons resserrer les rangs et éviter toute confrontation qui diviserait le mouvement »
La trentaine à peine dépassée et il est déjà présenté par ses compagnons comme un « héros aux faits d’armes inégalé ». Lui, c’est le commandant Aïssa Ag Akli, chargé de la sécurité de la région d’Achebrache, son village. Il a pris part aux plus importantes opérations de contrôle des villes du nord du Mali, mais c’est la libération de son village qui l’a le plus marqué, même si la blessure qu’il a reçue à la jambe l’a privé de la joie de la victoire.
Dans l’entretien qu’il nous a accordé dans son QG, il en parle, les larmes aux yeux, et revient sur son parcours de combattant du Mouvement pour la libération de l’Azawad.
Vous avez été au cœur de la rébellion et avez participé aux premières opérations, déclenchées le 17 janvier dernier à Ménaka, puis à Tessalit. Pouvez-vous nous parler de ces événements et des conditions dans lesquelles ils ont eu lieu ?
Avant de vous parler de ces événements, il faut revenir effectivement aux circonstances qui les ont précédées. En juillet 2011, feu Brahim Ag Bahanga était revenu de Libye avec un groupe de quelque 80 éléments. Il était en train d’organiser le mouvement en se réunissant avec de nombreux cadres et représentants de l’Azawad. Malheureusement, il est mort au mois d’août, mais son initiative n’a pas été abandonnée puisque début novembre de la même année, il y a eu un consensus autour de la création du MNLA. La date du lancement des opérations militaires a été arrêtée pour le 17 janvier 2012 à partir de Ménaka. Sous la direction du colonel Hassan Ag Ali, les trois camps gardés par quelque 400 militaires ont été occupés. L’effet de surprise a été fatal pour les maliens qui après une bataille de trois heures étaient déjà, bien assiégés. Le groupe du colonel Lahdjidji était resté à 25 km du lieu encerclé. Il devait attendre le signal pour intervenir. Le deuxième jour, des renforts maliens dirigés par le colonel Didi sont arrivés à bord de 47 véhicules. Il y a eu un accrochage de plusieurs heures. La troupe s’est retirée pour faire croire à un recul. Nous lui avons fait comprendre, par téléphone, qu’on partait mais qu’il devait lui aussi quitter les lieux sous peine de perdre tous ses soldats. Au troisième jour, les renforts se sont repliés sur Gao. Dès leur départ, Ménaka était tombée.
Avec mon groupe, nous sommes parti à bord de 13 véhicules vers Tigherghar, à 400 km de Tinzaouatine. De là, j’ai été rappelé pour prendre part à la prise d’Achebrache. J’y suis allé avec trois véhicules, pour rejoindre sur place Aïssa Ag Doudou. Nous avons longuement discuté de la stratégie à adopter, mais il fallait d’abord ramener des renforts. Nous avons reçu 6 véhicules. Le camp d’Achebrache était stratégique, donc bien fortifié. Les militaires utilisaient des mortiers qu’ils lançaient du haut des fortifications et des chars. Au début, on les provoquait avec des tirs et on prenait la fuite. Puis avec les 6 véhicules de Aïssa Doudou, les 8 que nous avions reçus en renfort et les 6 que j’avais, nous avons commencé à nous rapprocher du campement qui comptait plus de 300 militaires. Les tirs ont duré du matin jusqu’à minuit. Nous avons pu neutraliser les chars d’assaut. Les militaires se sont repliés vers la caserne. La bataille a duré 24 heures avant qu’ils ne décident d’abandonner et de prendre la fuite en traversant la frontière vers l’Algérie.
Nous savons qu’ils ont été désarmés avant d’être rapatriés à Bamako. Le 8 février, nous avons pris le contrôle de tout le camp et arrêté 9 militaires. Pour moi, c’était une revanche historique. Cette place forte était celle que feu Brahim aimait beaucoup. Il y avait sa maison et ses jardins et y vivait en paix, avec une population qui n’aspirait qu’à la paix. Mais elle a été militarisée et ses habitants sommés à l’exode ; elle est devenu une ville fantôme. Lorsqu’elle a été libérée, j’en ai pleuré de joie.
De là, vous avez été appelé à rejoindre Tessalit pour prendre part à la bataille d’Amashach…
En fait, je suis un spécialiste du Hawn donc lorsque mes compagnons ont commencé la prise de Tessalit, ils ont fait appel à moi. C’était quatre jours après la libération d’Achebrache. Mais pour prendre Tessalit, il fallait contrôler Ashamach, le plus important camp militaire, qui se trouvait à 5 km ; c’était le plus difficile et le plus protégé. Le colonel Assalat Habbi, commandant de la région Ménaka, Achebrache et Tessalit, m’avait sollicité pour intervenir avec les 5 Hawn que j’avais en ma possession. Le camp n’avait pas de grandes protections, mais 8 miradors de 3 étages, 4 petits et 4 autres, très hauts, qu’il fallait à tout prix détruire parce que les tirs des lourdes mitrailleuses installées à chaque étage nous empêchaient d’avancer. Après deux jours d’affrontement, 67 véhicules de l’armée malienne sont arrivés de Gao. C’était le plus important renfort que dirigeait le colonel Ould Meidou, de la tribu arabe brébiche. La direction nous a demandé de nous retirer pour protéger nos positions et, en même temps, faire reculer les renforts. Nous nous sommes exécutés, mais au moment où les militaires étaient sur le chemin, nous leur avons tendu une embuscade. Avec le colonel Hassan Feggaga qui était à la tête de 14 véhicules, nous les avons neutralisés après un accrochage de plusieurs heures. C’était entre Bordj et Tessalit. Nous avions des mitrailleuses très efficaces d’une portée de 24 km qui tirent 40 coups en 36 secondes. Nous avons tiré de 16h jusqu’à 6h 30, avant de marquer une pause. Les tirs ont repris vers 18h. Les militaires ont eu beaucoup de pertes dans leurs rangs. Certains commençaient à prendre la fuite. Le deuxième jour, ils se sont tous retirés. Le colonel Assalat, qui était installé au nord-est d’Amashach, manquait d’eau et de munitions. Je me suis déplacé à Tessalit d’où j’ai ramené un groupe de 24 véhicules en renfort, avec lequel j’ai pu acheminer l’eau et les munitions jusqu’à la position du commandant Djidji, située à l’est de Laratel, à Tessalit. Puis nous avons commencé à attaquer le camp du côté est avec 67 véhicules. Toute la nuit et toute la matinée, les tirs n’ont pas cessé, mais nous avons pu avancer. Nous écoutions leurs communications.
Le soir nous étions à 3,5 km seulement de la base. Les colonnes des colonels Hassan Feggaga, Ahmed Ag Aouessa et du commandant Ahmed Ag Mida étaient avec nous. Avec 13 de mes éléments, nous nous sommes encore rapprochés à pied, puis nous sommes revenus pour prendre 4 véhicules surmontés de mitrailleuses. Nous les avons installés à 1,5 km sans que les militaires s’en aperçoivent. J’ai demandé au colonel Hassan d’avancer. Le lendemain, le colonel Ould Meidou, accompagné de 63 militaires, a lancé une offensive contre le groupe du colonel Antalla Sayed. À l’issue d’un long accrochage, Meidou a repris les positions militaires, mais quand ils sont rentrés, ils tiraient en l’air avec les grandes mitrailleuses. C’est là que nous avons riposté en utilisant des Hawn 81. L’effet de surprise les a terrassés. Ils ne savaient même pas d’où les tirs venaient.
Après dix heures de tirs, nous avons demandé des renforts, qui n’étaient pas loin. À leur arrivée, nous avons accentué la riposte. Ils commençaient à se retirer, à prendre la fuite. Nous les avons poursuivis sur 23 km en direction de Gao. Ils étaient à bord de 6 Toyota Station, 4 camions et 2 chars.
Le lendemain, c’est-à-dire le deuxième jour de l’attaque, le colonel Assalat est arrivé. Nous avons constitué quatre groupes dirigés par le colonel Antella Essayed avec 43 véhicules, le colonel Mbarek Akli avec 50 véhicules, le colonel Laanaoua avec 30 véhicules et par moi-même avec 73 véhicules. Nous avons avancé vers le grand campement d’Amashach en utilisant les lourdes mitrailleuses. Les tirs ont duré 6 heures durant lesquelles j’ai été blessé à la jambe. Je me suis retiré, mais la bataille s’est poursuivie de 6h jusque tard dans la nuit. Mon état s’est détérioré, j’ai été transféré à Bordj puis à Tamanrasset. Trois jours après, Amashach est tombée. Il y a eu 2 morts et 14 blessés dans nos rangs. Du côté des militaires, il y a eu 9 morts et une vingtaine de blessés.
En quoi cette bataille est-elle importante pour vous ?
Elle est non seulement importante mais décisive. Elle nous a encouragés à aller rapidement vers les autres villes. Si Amashach avec toutes ses fortifications était tombée, les autres régions seraient très faciles à prendre. En fait, lorsque le colonel Didi s’est retiré après avoir été rappelé sur Bamako, vers le 8 mars, le Mali a tout perdu. Il y a eu 23 officiers tous grades confondus qui ont rejoint le MNLA.
N’est-ce pas grâce aux contingents revenus de Libye que vous avez pu obtenir autant de victoires ?
La guerre en Libye a été une aubaine pour notre combat, mais elle n’est pas la raison de notre succès. Ce dernier est le résultat de notre détermination. Les 3000 Maliens qui sont revenus de Libye ont ramené avec eux beaucoup d’armes lourdes et quelque 600 véhicules tout-terrain, rentrés en plusieurs convois. C’est ce qui nous manquait durant les précédentes rébellions. Les moyens sont nécessaires, mais il y a plus important : l’homme et sa volonté de réussir.
Ne pensez-vous pas que le capitaine Sanogo a précipité votre victoire en menant le coup d’État contre le président Amadou Touré ?
Les premières victoires ont eu lieu avant le coup d’État. En plus, il faut savoir que le capitaine Sanogo avait fui les combats à Achebrache, en direction du Niger, avant de rentrer à Bamako. Il s’est rebellé contre ses chefs quand il a vu qu’ils étaient dépassés par la situation au nord. Son coup d’État n’a pas influé sur notre combat…
Beaucoup reprochent au MNLA d’avoir commis une erreur en optant pour l’action armée sachant que l’indépendance de l’Azawad risque de ne pas être acceptée par la communauté internationale ?
Vous savez très bien que notre peuple a utilisé tous les moyens pacifiques pour arracher le droit à la dignité, mais la réponse du Mali a de tout temps été la répression et l’exclusion. Vous êtes venu dans la région et vous avez dû remarquer que les seules constructions qui existent sur cette terre sont celles des casernes. Il n’y a ni écoles, ni centres de santé, ni même des routes, de l’eau ou le minimum d’une vie décente. Après l’Alliance du 23 février 2006, le Mali a renforcé la présence des campements militaires. Les exactions contre les populations nomades sont quotidiennes et les plus téméraires ont fini par opter pour l’exode. Tous les villages du Nord, notamment ceux où les cadres de la rébellion résident, ont été vidés de leurs habitants. Nous avons de tout temps interpellé la communauté internationale sur ces dérives. En vain. Le peuple de l’Azawad n’a rien eu du Mali.
Pourquoi ne pas accepter une autonomie ?
Nous avons choisi l’indépendance totale de notre pays. Nous n’avons rien à partager avec le Mali. Alors autant nous laisser disposer de nos droits en étant libres sur nos terres. L’indépendance a été décidée par toute la composante de l’Azawad, par seulement les Touareg. Ce sera peut-être difficile de l’accepter au début, mais la réalité du terrain finira par l’imposer au monde.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) menace d’intervenir avec 2000 à 3000 hommes armés en cas de persistance de la crise au Nord. Comment appréhendez-vous cette mesure ?
Le Mali compte 25’000 soldats qui ne nous ont pas fait peur. Nous avons conquis les trois importantes villes du Nord. Donc, personne ne nous fera peur, pas même l’armée de la Cédéao. Notre décision est prise, nous ne ferons pas marche arrière. Nous avons déjà proposé des alternatives à l’issue des anciennes rébellions mais aucune d’elles n’a été concrétisée. Aujourd’hui, c’est la guerre qui a tranché la question du territoire.
La communauté internationale craint que les groupes islamistes et Al Qaîda qui participé à la prise de contrôle des villes du Nord emboîtent le pas au MNLA pour prendre le pouvoir dans l’Azawad. Comment allez-vous faire pour éviter cette situation ?
La libération du Nord s’est faite par le MNLA et non pas par ces organisations. Ançar Eddine est un groupe islamiste dirigé par Iyad Ag Ghaly, un homme influent qui n’a rien à avoir avec Al Qaîda. Il a participé aux opérations de libération parce qu’il défend l’indépendance de l’Azawad…
Mais lui affirme que son combat est pour un État islamique et non pour l’indépendance de l’Azawad…
Oui, c’est ce qu’il dit, mais pour l’instant, la priorité est l’unification des rangs de la communauté. Nous avons un seul ennemi commun : le Mali. Nous devons resserrer les rangs et éviter toute confrontation interne qui puisse diviser le mouvement. Cependant, je peux vous dire que notre région souffre d’un problème existentiel et non religieux.
Qu’en est-il des groupes d’Al Qaîda qui agissent sur votre territoire en toute liberté ?
Ces groupes ont été aidés par le Mali, qui est notre seul ennemi. Pour l’instant, nous nous occupons de l’indépendance et après nous réglerons les questions internes. En l’état actuel des choses, nous ne sommes pas en position de force pour pouvoir ouvrir un nouveau front. C’est avec une organisation unie que nous désarmerons tous les groupes qui agissent en dehors du MNLA.
Leur presse (Salima Tlemçani, ElWatan.com, 9 avril 2012)