Après la manif du 24 mars à Nantes, plusieurs communiqués plus ou moins triomphalistes/ spectaculaires, émanant d’options politiques institutionnelles ou non, ont présenté ce qui s’est passé/ce qui aurait pu se passer, chacune à leur manière, pour vendre leur soupe idéologique. Il ne s’agit pas de faire ici un énième compte rendu : quand les crapules d’EELV [Communiqué de dissociation du 21 mars : « Cette manifestation doit être pacifique et non violente, dans le respect des biens et des personnes. Europe Écologie – les Verts condamne par avance toutes les dégradations, et toutes les violences qui pourraient avoir lieu avant, pendant ou après la manifestation. »] se félicitent de l’ambiance « bon enfant », d’autres prétendent que « le temps d’une poignée d’heures, une poignée de révolutionnaires ont libéré le secteur de la place du Cirque de l’occupant capitaliste par la destruction des outils de l’État et du Capital ainsi que le maintien en respect des flics », et comparent l’artère nantaise à la place Tahrir, à la Commune. Se fier aux récits des unes ou des autres relève de la croyance pure. À chacune de choisir celui qui lui semblerait le plus proche, le moins abusif. Entre les lignes, ces grands écarts donnent un aperçu de l’ambiance. Pesante et cheloue. Ce texte ne sera donc pas une réécriture supplémentaire, a posteriori, de ce qu’a été, techniquement, cette journée, mais une tentative de démêler des morceaux de ce qu’elle peut représenter dans cette lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le monde qui va avec (nuisances technologiques : lignes à grande vitesse et à haute tension, nucléaire, militarisation pour imposer la construction/assurer la « sécurisation » de leurs grands projets…).
Il faudrait se contenter de cette journée selon des critères quantitatifs : la présence de tellement de « vrais gens » (comprendre non camarades) : le nombre et le côté spectaculaire des actions plutôt que le partage de contenus. Que dans cette manif aient cohabité, de fait, les discours puants et électoralistes des unes avec la mise hors d’état de nuire des caméras, des dizaines/centaines de tags, pochoirs et notamment sur les locaux d’EELV et du PS est présenté, par les unes et par les autres, comme une réussite. Ce serait « bon signe pour la suite ». Quand bien même les associations citoyennes qui avaient été un temps mises à l’écart ou en tout cas remises en cause par une partie des occupants énervés par trop de dissociations successives (suite à la manifestation du 27 juillet à l’aéroport de Bouguenais, suite à l’attaque de la caravane des jeunes PS…) font leur grand retour. C’est elles qui organisent, principalement, cette manif unitaire, en se dissociant par avance de ce qui pourra y être fait tout en invitant aux réu d’organisation des « occupantes » qui se retrouvent dans une position bizarre : négocier (au nom de qui, de quoi, bordel ?) sur le respect de certaines limites pendant la manif (pas de casses, mais de la peinture). Qui utilise qui ? Les associations citoyennes bien conscientes que le fait que la zone du futur aéroport soit occupée, qu’il y ait aussi eu toute une série d’actions (de nuit comme de jour, à peu ou beaucoup plus nombreux : ex. visite du siège de Vinci en octobre dernier) qui font plus chier que leurs recours administratifs à la con leur permet de se faire un coup de pub sur cette lutte. Ou les radicaux qui gardent l’impression que la répression sera moins dure si la gauche élargie participe même virtuellement à « des grand moments » comme la journée du 24. Raisonnement qui ne marcherait pas forcément même si on acceptait de raisonner de façon « tactique ». En bon démocrates, et au delà de leurs faux jeux d’oppositions et d’alliances, ces crapules veulent contrôler les modalités de la lutte et se dissocient de toute manière dès que les actions sortent du cadre « démocratique » et de ses faux recours. Qu’ils ne contrôlent plus ce qui se passe, voire même qu’il pourrait s’y passer quelque chose de subversif (wouhouh). Sans parler du moment où, après les expulsions, ils n’auront plus aucun intérêt à cette « main d’œuvre radicale ».
Il faudrait être content de cette co-habitation entre réformistes (parti, syndicats et associations « citoyennes » accoquinées avec les uns ou les autres) et prétendus révolutionnaires. Que cette journée se soit « bien passée », que les accords entre associations citoyennistes et « représentant-es des occupant-es de la ZAD » (ex. : s’en tenir à la peinture) aient été respectés, et que les dizaines de combattants anarchistes révolutionnaires fantasmés par certains se soient contenté de peinturlurer, dans la joie et la bonne humeur au lieu de briser en mille morceaux (bigarrés ou non) ce statut-quo démocratique (et oui c’était beau de voir l’hyper centre bourge de Nantes dans cet état).
Pour se réjouir il faudrait séparer les chemins que l’on emprunte de l’endroit où l’on souhaite (ou non) arriver, il faudrait séparer la fin des moyens, et justifier ses choix par des manœuvres, tactiques politiciennes, au delà de ce qu’ils signifient en eux-mêmes. Parler de stratégie. De politique, en soi. Il faudrait faire sien le bon vieux dicton selon lequel c’est « l’union qui fait la force », et que ce qui compte à NDDL est réellement l’abandon du projet d’aéroport et non l’expérimentation de parcours de luttes en dehors des espaces autorisés par la démocratie, la tension vers une « belle » lutte. Une lutte a minima sans chef, spécialiste ou porte paroles, une lutte qui ne soit récupérable par aucun parti, aucune association réformiste. Une lutte qui pourrait brasser plus de gens, donner lieu à des moments très collectifs, à des actes individuels, des manifs « tranquiles » comme à des moments d’émeute, mais sans rien lâcher d’un contenu offensif, subversif, sans co-habiter, co-exister, avec des organisations et des individus qui sont partie prenante des rapports de domination qui nous éclatent la gueule et qu’on rêve de détruire.
Or, de fait, cette journée renforce la tendance qui existe ici comme dans l’ensemble des autres à draguer la gauche institutionelle sous prétexte de la radicaliser, à accepter de diluer ses pourquoi pour espérer être plus nombreux (sous entendu le fait que c’est d’être plus nombreux qui donne du sens, de la force). ET cette « réussite factice » va renforcer l’isolement d’individus ou de groupes qui se battent pour briser cette unité de facade, le mensonge selon lequel des révolutionnaires, des personnes désirant la fin d’un monde et la destruction de tous les pouvoirs pourraient avoir des intérêts communs avec d’autres qui se contenteraient bien de le réformer pour s’y sentir un petit peu moins pressés, stressés, insatisfaits. De celles et ceux qui n’acceptent pas que leurs désirs et actions, leur tension vers la destruction de l’existant puissent servir de faire valoir à des politiciens quels qu’ils soient, et qui tendent à les virer des luttes auxquels ils participent. En forçant les vautours à se dissocier des contenus portés, quand ils sont suffisamment clairs pour ne pas être « mal interprétés ». En les attaquant en mots et en actes. Comme EELV à Nantes le 17 août dernier (vitrines brisées et tag laissé sur place « Ni éco-citoyennisme ni capitalisme vert, partis collabos hors de nos luttes ») et dont le local de campagne a été à nouveau tagué pendant la manif, comme le PS avec l’attaque de la caravane des jeunes socialistes le 22 août dernier à Nantes (pneus crevés, tags « mort à l’ayrault porc », vitres cassées…) ou le 12 octobre à Toulouse (porte fracturée, dizaines de tags, pochoirs et billes de peinture)… Briser l’unité en virant physiquement les partis (a minima) de la manif, en ne leur laisssant aucune tribune, aucun espace, ce qui aurait pu être une belle piste d’intervention pour ces fameuses centaines d’anarchistes révolutionnaires. Ou en organisant une émeute / des actions différentes plus loin (ça pouvait être aussi ailleurs qu’à Nantes ou à Notre-Dame-des-Landes), avant ou après si ça semblait trop compliqué de les virer du cortège… En refusant de cohabiter. Et en espérant rencontrer, à partir de ces ruptures qualitatives / choix de lutte, des individus partageant les mêmes envies. Tout simplement. Pour que pètent touts « les fronts communs », les fausses alliances.
Indymedia Grenoble, 8 avril 2012