Ils se préparent à la guerre de classe !

Le GIGN inspire les patrons du CAC 40

Derrière de hauts barbelés, entre médailles, fanions et portraits des commandants qui se sont succédé depuis 1974, un large tableau trône dans le bunker du GIGN à Versailles. The Washington PostThe GuardianEl Pais… au mur, des dizaines de « unes » de quotidiens du monde entier, toutes datées du 27 décembre 1994, relatent l’exploit de la veille : l’assaut de l’Airbus A300 d’Air France, immobilisé sur le tarmac de l’aéroport de Marignane après avoir été détourné par un commando d’islamistes algériens. En 17 minutes, les gendarmes cagoulés ont mis fin à un calvaire long de deux jours pour les passagers. Pour le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, ce fut la consécration.

Aujourd’hui, la réputation de ces gendarmes, rodés à côtoyer l’extrême, n’a pas faibli. En près de quarante ans d’existence, ils ont emmagasiné une expérience phénoménale. Gestion de crise, du stress, sélection et fidélisation des hommes, cohésion d’équipe, interventions d’urgence, négociations lors de prises d’otages, conduite du changement, traitement des échecs… du pain bénit pour les entreprises, confrontées à un monde économique en plein bouleversements. Zodiac, Airbus, AXA… les sociétés sont de plus en plus nombreuses à venir chercher des réponses à Versailles, dans l’antre de l’institution. « On exerce un certain magnétisme », reconnaît l’actuel commandant de l’unité, le général Thierry Orosco.

Visites et séminaires

Souvent, c’est la curiosité qui pousse un patron à venir au GIGN. Beaucoup d’anciens de la maison se sont reconvertis au sein de grands groupes, notamment dans la sécurité. Ils jouent un rôle d’ambassadeur auprès des dirigeants. « Les chefs d’entreprise posent naturellement beaucoup de questions sur nos opérations. Mais rapidement, ils réalisent nos points communs. Et nous demandent même d’intervenir lors de séminaires. Car commander le GIGN c’est, en quelque sorte, agir en chef d’entreprise. Nos difficultés sont les mêmes. Notre premier défi est interne », poursuit ce général, dont les 380 recrues, sélectionnées parmi les 100.000 gendarmes de France, partagent la devise : « Toujours plus loin… »

AXA fait partie des convaincus du CAC 40. Au plus haut niveau. «  Il est toujours enrichissant d’observer des organisations d’excellence », assure son PDG, Henri de Castries, qui s’est rendu au GIGN en septembre dernier. Et s’est dit séduit par la manière dont « même les bâtiments ont été construits, pour améliorer l’efficacité des missions ».

Architecture, organisation des stocks en fonction d’environnements montagneux, désertiques ou marins… tout concourt pour permettre à l’institution, refondue en 2007 pour être plus réactive encore, de dépêcher en urgence 25 hommes en une heure, 50 une heure plus tard, et 220 gendarmes en quatre heures.

Fort de ses 114.000 salariés et de quelque 101 millions de clients, l’assureur y trouve plus d’une source d’inspiration : « Derrière l’aspect spectaculaire des interventions, il faut voir ce que cela suppose d’analyse et de prévention des risques. Or notre coeur de métier est d’abord d’aider nos clients à comprendre comment prévenir des incidents et éviter que des dommages ne se produisent », observe le PDG d’AXA, lui-même colonel de réserve dans la légion étrangère.

Certains métiers se prêtent aux échanges. Depuis 2003, Airbus et les équipes du GIGN collaborent officiellement. « Si le sujet de la sûreté ne relevait pas, pendant longtemps, des constructeurs aériens, l’évolution du monde, des menaces et des technologies nous poussent à jouer un rôle plus actif. Le GIGN était reconnu pour son expertise, il était donc naturel de mettre en commun nos experts », déclare Tom Enders, PDG d’Airbus, futur numéro un d’EADS et lui-même ancien parachutiste.

Gestion de crise

Au-delà d’une coopération dans des domaines classiques, comme la gestion des détournements aériens ou la prévention des risques à bord, l’avionneur s’est doté d’une équipe dédiée qui oeuvre avec les cellules de veille et de recherche du GIGN « sur l’avion de sa conception à sa déconstruction », assure Pascal Andrei, directeur de la sûreté aéronautique chez Airbus.

De la maîtrise de la communication (les preneurs d’otages écoutent les médias) à l’anticipation stratégique, en passant par les recherches scientifiques face à des menaces nucléaires, bactériologiques ou chimiques, les champs d’action du GIGN ne cessent de croître. Et ses méthodes peuvent faire école dans tous les secteurs. « Il y a la gestion de crise, commente Henri de Castries. Le fait de savoir aller à l’essentiel, quand quelque chose est grave, s’applique aussi à l’univers de l’entreprise. » Idem pour les techniques de négociation. « Quand vous discutez avec un preneur d’otages, décrypter sa psychologie est essentiel. Il y a peut-être des choses à apprendre de ce type de négociations pour les sociétés », observe le patron d’AXA.

Forcenés, terrorisme, prises d’otages… la résolution de crises passe par un management sans faille. « La qualité des interventions des membres du GIGN repose à la fois sur un très grand professionnalisme et sur une confiance mutuelle. L’institution forme ses officiers pour qu’ils travaillent en équipe de manière parfaitement coordonnée et incroyablement efficace : ils n’ont pas le droit à l’erreur », poursuit Henri de Castries.

Il faut dire que n’entre pas au GIGN qui veut. Les gendarmes candidats sont d’abord soumis, une semaine durant, à une batterie de tests. Les meilleurs suivent ensuite un pré-stage intense de 14 semaines, où ils doivent, sans cesse, repousser leurs limites. Seuls une poignée d’entre eux seront embauchés. Suivra, alors, une formation de huit mois aux métiers d’intervention, avant d’intégrer l’une des cinq forces du groupe (intervention, sécurité-protection, observation-recherche, appui opérationnel ou formation). Peu importe si le compte n’y est pas. « On ne se fixe aucun chiffre, explique le général Thierry Orosco. L’an dernier, nous n’avons recruté que 7 personnes. » Sur 130 candidatures au départ.

Conférences chez Orange

Autre particularité : la promotion ne peut être qu’interne. Personne n’entre au GIGN « au milieu de la pyramide ». Au quotidien, l’entraînement est collectif mais aussi individuel, « chacun est maître de son programme, raconte Thierry Orosco. Notre maître mot est la confiance. »

Et lors d’interventions, « une fois les objectifs à atteindre déterminés, les échelons inférieurs doivent s’approprier la mission. Et à l’issue de celle-ci, il est fondamental d’effectuer un debriefing. C’est un moyen d’assouvir la soif de reconnaissance des équipes et de responsabiliser chacun », poursuit-il.

Des valeurs qui résonnent parmi les DRH. En février, lors d’un cycle de conférences « décalées », France Télécom Orange a convié un ancien du GIGN pour partager avec 400 managers ses techniques de gestion du stress ou encore l’art essentiel du debriefing. « Nous avons refusé du monde ! », raconte Bruno Mettling, DRH de France Télécom Orange. Même si l’appel à une institution militaire a fait grincer quelques dents au sein des syndicats.

De son côté, AXA réfléchit à monter des formations pour ses managers amenés à voyager, notamment en matière de sécurité, avec l’unité, qui exporte déjà ses savoir-faire (formations, audits, retours d’expérience…) de l’Inde au Qatar en passant par l’Azerbaïdjan.

Leur presse (Laurance N’Kaoua et Alain Ruello, Les Échos, 20 mars 2012)

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