Je suis désormais une habitante du 93 (même si mon immeuble a un mur à Paris, ma porte est à Bagnolet). J’ai la chance de vivre sur la frontière entre Paris 20e et la banlieue ce qui me permet de jouir des avantages de la capitale et des prix et de la popularité de Bagnolet. Le 93 n’a malheureusement pas bonne réputation, il suffit de taper ces deux chiffres sur YouTube pour se rendre compte de ce qui est médiatisé sur la Seine-Saint-Denis et ce qui ne l’est pas : viols, règlements de comptes, drogue, trafics, voitures en flammes etc.
La mort d’une femme qui s’est immolée par le feu dans la mairie de Saint-Denis ce 15 février a été très peu médiatisée et vite reléguée à la rubrique « fait divers ». Cette mère de 6 enfants vivait depuis le 7 décembre sous une tente avec sa progéniture et 30 autres personnes devant la dite mairie. Nous avons vécu deux semaines de grands froids ce mois-ci (entre -10 et -15 à Paris, pointe à -25°C en Franche-Comté). Le corps humain ne résiste pas à de telles températures. On compte à ce jour 650 morts de froid sur toute l’Europe… Comment pouvons-nous avoir des PIB aussi hauts, nous appeler « premier monde » ou encore « puissance économique » et qu’un tel désastre soit possible ? Je ne parle pas ici de démocratie ou de crise économique. J’en ai marre d’entendre toujours les mêmes choses. NON, il s’agit ici d’autre chose : LE FROID N’EST PAS LE SEUL RESPONSABLE.
Je suis convaincue que le froid est une arme d’État pour tuer les pauvres. Les médias français préfèrent nous montrer de pauvres français « pure souche » victimes de sauvages barbares dans les quartiers difficiles ou des Russes et des Roumains mourir de froid, là-bas… toujours ailleurs… Voici une excellente stratégie de communication qui vise à augmenter les taux de sondages de la droite et de l’extrême droite en nous montrant (une fois de plus) le peuple divisé et les Français « pure souche » victimes (une fois de plus) de la barbarie « du Sud », de « l’étranger ».
Pourquoi les médias ne parlent-ils jamais des discriminations que nous souffrons dans le 93 quant au travail par exemple ? Pourquoi ne racontent-ils pas comment les mairies offrent leurs terrains à des sommes modiques aux grandes entreprises afin qu’elles nous donnent du travail ? Comment expliquent-ils que malgré les bénéfices dont jouissent ces grandes entreprises, notre haut taux de chômage n’ait pas baissé ? Le stade de France s’est implanté dans le 93 et n’a employé AUCUN habitant du 93. AUCUN. Nous sommes trop pauvres, trop noirs… too much. Il suffit d’avoir ce code postal sur un CV pour être certain de ne pas trouver d’emploi. Pourquoi les médias ne parlent-ils pas de l’exploitation que subissent les personnes résidant sur « notre sol » dont on ne veut pas régulariser la situation administrative : LES SANS-PAPIERS ? Comment est-ce possible que tous ces gens travaillent pratiquement gratuitement, que les premières victimes de mauvais traitements au travail soient des femmes élevant seules leurs enfants et qui lavent les maisons et les culs des gosses des riches français du centre de Paris ? (Ça peut paraître caricatural mais ca ne l’est malheureusement pas.)
La France a besoin de cette main d’œuvre pas chère pour expérimenter la flexibilité du travail sur les travailleurs. Et oui, chers Français de « pure souche », ce qui leur arrive à eux-elles va nous arriver aussi. Nos privilèges se réduisent alors que l’injustice et l’exploitation gagnent du terrain. La misère ne va pas rester sagement « à notre porte » — comme si la pauvreté était un phénomène nouveau en France. Il suffit de relire Zola pour se rendre compte que la misère fait partie de notre histoire. Ils la cachent, c’est tout ! Ici, nous sommes « précaires », les « pauvres » c’est les autres. Celui qui meurt de froid, qui s’endort la faim au ventre, qui vit sous le périph, celle qui est payée 3 euros pour le nettoyage d’une chambre du Novotel des Halles (Châtelet) n’est pas pauvre : elle-il est sans papier, marginal, c’est même parfois « son choix », et puis « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde »… les connards ont toujours une bonne raison de vouloir garder les yeux clos !
Alors j’aimerais vous dire que dans le 93 et dans les quartiers pauvres de Paname, les gens s’organisent et sont tout à fait conscients des stratégies du pouvoir pour nous faire taire. Que nous nous parlons tous les jours dans les bus que vous ne prenez jamais, dans les marchés légaux et illégaux dont vous ne soupçonnez pas l’existence, dans les rencontres que nous organisons tous ceux et celles qui luttons chaque jour pour que personne ne se retrouve sur le carreau, abandonné dans ce système morbide, que nous savons très bien qui vous êtes alors que vous ignorez tout de nous. Que nous continuons à étudier, à travailler, à éduquer, à aimer, à rêver… et à danser !
Être une femme à la rue c’est être une proie
Indymedia Paris, 21 février 2012.