[Climat] Comment on désinforme l’opinion

Manipulation de l’information : une stratégie dévoilée

Après le climategate, le déni-gate ? Des documents obtenus par des blogueurs canadiens révèlent la stratégie « secrète » de manipulation de l’opinion publique pratiquée par un influent lobby climatosceptique, avec l’aide de quelques millions de dollars.

Dévoilés mardi soir, ces documents font notamment état de la volonté d’infiltrer le programme scolaire et de fonds versés aux scientifiques et blogueurs sympathiques à la cause. Déjà, des gros noms du mouvement climatosceptique, comme le blogueur Anthony Watts, ont admis avoir reçu le financement mentionné — dans son cas, 90’000$ pour un « nouveau projet ».

L’organisme victime de cette fuite est l’Institut Heartland, de Chicago. Se décrivant comme un « groupe de réflexion » libertarien, il est surtout un canal par lequel transite de l’argent vers des communicateurs et des firmes de relations publiques qui publient ce qu’ils appellent des « études » scientifiques — en réalité des opinions, des avis ou des recommandations à l’intention des politiciens et des médias. Cet organisme s’était fait connaître dans les années 1990 pour son opposition à toute réglementation du tabac, au prétexte que le lien entre le tabac et le cancer n’aurait pas été prouvé.

Les documents dévoilés le 14 février et mis en ligne par le blogue canadien DeSmogBlog — quelques mémos, procès-verbaux et budgets — ne surprendront donc pas ceux qui surveillent l’Institut Heartland. Mais la stratégie d’infiltration du cursus scolaire retient particulièrement l’attention :

Le Dr [David E.] Wojick propose de commencer à travailler sur des « modules » pour les classes allant de la 10e à la 12e année, consacrés au climat (« l’idée que les humains modifient le climat est une controverse scientifique majeure »), aux modèles (…) et à la pollution de l’air (« l’idée que le CO2 soit un polluant est controversée »…). Wojick produirait des modules pour les classes allant de la 7e à la 9e année sur l’impact environnemental (« est souvent difficile à déterminer »…), sur les ressources en eau et les systèmes météorologiques pour la 6e année, et ainsi de suite.

Le Dr David E. Wojick sera payé 5000$ par module, jusqu’à une possibilité de 20 modules. Simplement décrit par l’Institut comme un « consultant », il a été employé par l’industrie du charbon, précise DeSmogBlog. Il n’a jamais publié d’études en climatologie.

Heartland a confirmé l’authenticité de ces documents, sauf un, dans un communiqué envoyé le lendemain : « les documents volés semblent avoir été écrits par le président de Heartland pour une réunion du conseil d’administration qui a eu lieu le 17 janvier ». Heartland s’indigne du fait que ces courriels privés aient été « frauduleusement obtenus », un fait qui n’avait suscité nulle indignation de sa part lors du climategate en 2009, ont vite ironisé ses adversaires.

Heartland est également derrière le NIPCC, un organisme créé en 2008 à seule fin d’attaquer le GIEC (le Groupe des Nations Unies sur les changements climatiques). On lit dans un mémo que le NIPCC « verse 300’000$ par année à une équipe de scientifiques ».

Tous les « projets climat » sont financés par un budget difficile à évaluer. Un « donateur anonyme » a versé à lui seul 13,3 millions entre 2007 et 2011, dont 8,6 millions pour les projets climatiques. Les spéculations vont donc bon train sur cet anonyme : les compagnies pétrolières sont mystérieusement absentes de la liste des donateurs, et la fondation du milliardaire Charles Koch, chef de file des climatosceptiques, n’a versé officiellement qu’une somme minime en 2011 (25’000$).

À l’inverse, le New York Times rapporte mercredi que des compagnies identifiées, elles, comme des donatrices de l’Institut Heartland (GlaxoSmithKline et Microsoft) se sont empressées de dire qu’elles appuient l’urgence d’agir contre le réchauffement climatique.

Enfin, les paragraphes consacrés aux médias en disent également long sur leur importance stratégique :

[Nos] efforts en des endroits tels que [le magazine économique] Forbes sont tout spécialement importants depuis qu’ils ont commencé à autoriser des climatologues prestigieux comme [Peter] Gleick à publier des essais scientifiques réchauffistes qui vont à l’encontre des nôtres. Cette audience influente a été d’ordinaire fidèle dans son attitude anti-climat et il est important de garder éloignées les voix contraires.

La liste des documents.
Un article du Guardian (15 février).
• Une recherche distincte : la route tortueuse suivie par le scientifique Fred Singer au Heartland Institute.
• La revue britannique Nature avait consacré l’an dernier un reportage à l’Institut Heartland et à son congrès :
>L’organisme fournit un matériau aux politiciens et commentateurs conservateurs, désireux de bloquer toute réglementation gouvernementale sur les émissions de carbone. Et les conférences organisées par Heartland sont devenues un lieu de ralliement pour les climatosceptiques. (L’Institut) offre une fenêtre sur l’agitation politique en cours aux États-Unis et la façon dont cela aide les climatosceptiques à gagner l’appui de certaines parties du public.
Une critique dévastatrice du NIPCC (en 2008).
• Pour y voir plus clair dans la stratégie consistant à jouer sur le doute légitime face à la science : le Doubt Video, par le Climate Reality Project (2011).

Leur presse (Agence Science Presse, 17 février 2012)

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