[Égypte] « Les crimes commis contre les forces révolutionnaires ne stopperont pas la révolution » (3)

Le Caire : 3e jour d’affrontements continus

Les affrontements continuent à proximité du Ministère de l’Intérieur, ce soir, samedi 4 février, et se sont même étendus, en surface et en intensité.

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1328482587.jpg

Le 3 février

Jusqu’à hier concentrés dans la rue Mansour, les affrontements ont aujourd’hui également gagné la rue Noubar, sa parallèle, toutes deux donnant sur le Ministère de l’Intérieur. Toutes ces rues, et leurs parallèles des deux côtés, sont d’ailleurs plongées dans le noir, l’éclairage public ayant été coupé. Dans la rue Mansour, ce sont donc les feux allumés par les manifestant-es, et les tirs des policiers, qui apportent de la lumière. Ceux-ci sont d’ailleurs passés aux balles réelles. On a pu également assister au limogeage en règle de certaines personnes prises dans le filet policier, qui se faisaient littéralement tabasser à coups de pieds, de bâtons, dans la rue devant le Ministère. Les camions blindés de la police sont accompagnés par des alliés embusqués dans les immeubles du côté gauche de la rue Mansour, alors que du côté droit, ce sont les manifestant-es qui ont pris le contrôle du toit de l’université américaine, plus élevé, et qui balancent des projectiles pour faire reculer les flics.

Tous les immeubles des rues alentour semblent sortir d’une guerre : vitres brisées, marques d’incendies… À plusieurs rues autour, l’odeur et les effets du gaz lacrymogène se font ressentir : rue du Parlement, rue Cheikh Rihan, rue Abdel Aziz Gaouch, les passant-es, les travailleur-euses et les habitant-es sont obligé-es de porter un masque, alors que les affrontements se déroulent à quelques centaines de mètres de là !!!

Le bilan continue de s’alourdir, la presse officielle fait état ce soir de 12 morts au Caire, 2 à Suez. Les manifestations se sont étendues à d’autres villes, Port-Saïd évidemment, Suez foyer de la révolution, Alexandrie, Assiout… et rien ne semble pouvoir arrêter la colère populaire. De plus en plus de voix officielles appellent à la démission au moins du Ministre de l’Intérieur, et le régime militaire, pour essayer de sauvegarder son emprise, fait tomber des têtes : des officiels de la fédération de foot, le gouverneur de Port-Saïd… Mais cela ne suffira pas. Les Égyptien-nes le disent depuis plusieurs mois déjà : « Le peuple veut la chute du régime », tout entier, et cela pourrait bien égratigner au passage les Frères musulmans, bien timides à dénoncer les agissements de l’armée…

La même armée aurait d’ailleurs prévu d’intervenir si la situation perdure, demain ou lundi, ce qui ne risque pas de ramener le calme…

Indymedia Paris, 5 février 2012.


Mobilisation en Égypte

Des unions estudiantines dans 18 universités égyptiennes ont appelé à la désobéissance civile et une grève illimitée à partir du 11 février 2012, jour de la démission de Moubarak il y a un an.

Plusieurs étudiants comptent parmi les victimes des événements sanglants de Port-Saïd, dont le fils du vice-président du syndicat des membres du corps enseignant, c’est ce qui explique la colère grandissante dans les universités et cet appel à la grève.

Par ailleurs des affrontements sanglants se déroulent depuis trois jours autour du ministère de l’Intérieur au Caire, entre les Ultras et les forces de l’ordre, deux personnes ont trouvé la mort par balles.

Un journaliste à la chaîne El Nil, a perdu son œil au cours des combats et il y a des centaines de blessés. Le ministère de l’Intérieur a déclaré ne pas avoir utilisé des cartouches, ce que dément à l’évidence le cas du journaliste dont les collègues ont menacé de faire grève s’il n’est pas envoyé en Allemagne aux frais de l’État pour être opéré. Il est utile de rappeler que depuis la révolution de janvier, 1800 personnes ont été blessées aux yeux par balles, dont 800 ont perdu complètement la vue, les autres n’ont qu’un seul œil. Les forces de l’ordre visaient systématiquement les yeux, les poumons et les têtes, mais les trois ministres de l’Intérieur qui se sont succédés ont toujours nié avoir eu recours aux balles réelles contre les manifestants.

Galila El Kadi, 4 février 2012.


Égypte : heurts entre policiers et manifestants pour le troisième jour

Des affrontements ont opposé samedi pour le troisième jour consécutif au Caire la police à des manifestants qui persistent à réclamer le départ du pouvoir militaire, accusé d’inaction face aux violences ayant fait 74 morts après un match de football.

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1328391582.jpg

Au Caire, des colonnes d’épaisse fumée s’élevaient au-dessus des ruelles menant au ministère de l’Intérieur, où les manifestants ont lancé des pierres sur les policiers anti-émeutes et où les ambulances ont fait des aller-retours pour évacuer les blessés.

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1328391610.jpg

Depuis le début des manifestations et des affrontements jeudi au lendemain du drame du football à Port-Saïd (nord), douze manifestants ont été tuées au Caire et à Suez (est) et 2.532 personnes blessées, dont des policiers et des manifestants, selon le ministère de l’Intérieur.

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1328391345.jpg

Certaines victimes sont mortes asphyxiées par les gaz lacrymogènes, selon des sources médicales. Parmi les blessés se trouvent 211 policiers, dont un général qui a perdu un œil. Selon la chaîne nationale Nile News, un de ses journalistes a également été blessé à un œil par un tir de chevrotine.

Dans l’après-midi, des manifestants ont essayé de s’interposer entre leurs camarades et la police qui tirait des gaz lacrymogènes et à la chevrotine, mais les affrontements ont repris dans le centre du Caire, à quelques mètres de la Place Tahrir.

En fin de soirée, la situation s’est calmée mais la tension était palpable parmi les centaines de personnes encore dans les rues. (…)

Leur presse (tempsreel.nouvelobs.com, 4 février 2012)


Au cœur des manifestations du Caire

Les protestations ne faiblissent pas place Tahrir et devant le ministère de l’Intérieur. Reportage.

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1328392073.jpg

Le meilleur indicateur de l’état de Tahrir, ce sont les vendeurs ambulants. Plus c’est calme, plus ils sont nombreux et plus leurs marchandises sont anodines : nourriture, boissons, drapeaux, souvenirs de la révolution.

Aujourd’hui, les camelots sont rares et les articles les plus courants sont des masques contre le gaz et des casques contre les pierres. La journée est agitée. Des dizaines de milliers de personnes sont rassemblées sur la place et aux alentours pour demander le transfert du pouvoir aux civils. Les radicaux sont noyés dans la masse de simples Égyptiens encore outrés du « massacre de Port-Saïd » — l’expression est maintenant consacrée.

La fumée contre les gaz lacrymogènes

Chehab est devant un bar célèbre du centre-ville, le Hurriya — « Liberté ». Il revient à peine de vacances, il n’est ni activiste ni supporteur de foot. Quelques heures auparavant, il était devant Al Jazeera. Quand il a vu les affrontements sur le nouveau point chaud de la contestation, il s’est contenté d’un « je veux y aller, maintenant ». La télé montrait des images de gaz lacrymogène, de manifestants évacués à moto.

Les manifestants sont par milliers. Difficile de marcher, difficile même d’avancer. On ne peut que suivre la foule et essayer de se laisser porter dans la bonne direction. Un large passage est laissé pour les motos qui évacuent les blessés. Ils sont nombreux — la plupart du temps, ce sont des gens qui étouffent à cause des gaz.

On arrive devant le croisement de la rue Mansour et de la rue Mohammed-Mahmoud. C’est le point fort des affrontements. Du gaz, partout. Des détonations, sans cesse. Le carrefour est jonché de pierres, de barbelés. Çà et là, des feux sont allumés : la fumée permet de combattre les effets des lacrymo.

Les Ahlawy en première ligne

Et soudain, le reflux. Quand la menace est trop grande, les manifestants reculent et courent en sens inverse. Il faut trouver un abri, sinon on se fait emporter par la vague. Une voiture, une cabine électrique. Un simple lampadaire.

Après le reflux, quelques manifestants déterminés reviennent très vite. Les voilà, les « Ahlawy » (supporteurs d’Al-Ahly, l’équipe de football cairote, NDLR). Les 74 morts de Port-Saïd sont pour eux une attaque personnelle. Ils combattent, mais à leur manière. « On ne veut pas rentrer dans une guerre urbaine. Il faut rester pacifiques, mais déterminés. Pas facile de trouver le bon équilibre », explique l’un d’entre eux. Il court avant même qu’on ne puisse lui demander son prénom. Il part en première ligne — devant le cordon de policiers anti-émeute.

Équilibre

C’est là que se joue l’équilibre. Malgré les gaz et la tension, la protestation reste calme — à l’image de l’Égypte d’aujourd’hui. Des leaders calment à grand-peine les esprits les plus échauffés. La limite entre la protestation et l’affrontement est extrêmement fine et l’on sent, sur cette première ligne, que tout peut dégénérer, en quelques secondes, littéralement.

La prière du soir annonce la trêve. Quelques sourires se dessinent sur les visages des policiers. Les manifestants reprennent les slogans. Devant le ministère de l’Intérieur, les manifestants tentent de maintenir la pression sur les forces de l’ordre tout en protégeant leurs troupes. L’Assemblée du peuple semble très loin — elle est à deux rues. À l’intérieur, les parlementaires tentent toujours de maintenir la pression sur les généraux tout en préservant leur légitimité toute neuve. Chacun poursuit ses objectifs, à son niveau.

Leur presse (Samuel Forey, LePoint.fr, 3 février 2012)

Ce contenu a été publié dans L'insurrection égyptienne et ses suites, avec comme mot(s)-clé(s) , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.