La gendarmerie travaille à Lyon

Mort d’une gendarme en colère

Myriam Sakhri dénonçait des dérives racistes dans sa caserne lyonnaise. Le 24 septembre dernier, elle était retrouvée chez elle, une balle en plein cœur. Suicide, ont conclu les enquêteurs. Mais sa famille doute et veut comprendre.

Avant de se loger une balle de 9 mm en plein cœur, Myriam Sakhri a jeté sur une feuille un dernier message rageur à son supérieur hiérarchique. « Merci à G… le connard ». Puis la jeune gendarme de 32 ans s’est étendue sur son lit et a pressé la détente. Sa main devait un peu trembler car la douille ne s’est pas éjectée correctement. D’ailleurs, elle avait un peu bu ce 23 septembre 2011. Les enquêteurs ont retrouvé dans ses poches la note d’un bar où elle était allée passer la soirée avec ses copains pompiers. Personne n’a rien entendu dans la caserne Delfosse, à Lyon, où Myriam avait son appartement. Le coup de feu n’a pas fait plus de bruit qu’un volet qui claque, diront les experts. Son chien, un dalmatien récupéré à la SPA, n’a pas aboyé. Sinon, la voisine serait descendue taper à la porte, comme elle le faisait habituellement, quand Glasgow donnait un peu trop de la voix.

L’alerte a été donnée le lendemain matin. Ses collègues, inquiets de ne pas la voir, ont dû forcer une fenêtre pour entrer chez elle. Sa clef était restée dans la serrure. Suicide, ont-ils conclu rapidement. Suicide, a également assuré l’Inspection générale de la gendarmerie, qui a été saisie d’une enquête préliminaire par le procureur de Lyon. Les résultats de ces investigations ont été communiqués le 20 janvier dernier à la famille de la jeune femme, mais ses sœurs doutent encore de la thèse que la justice paraît retenir. Car, pour elles, comme pour les amis de Myriam, la mort de la jeune gendarme est la conséquence directe du bras de fer qui l’opposait depuis des semaines à ses supérieurs.

Elle n’avait qu’une idée : servir les autres

Belle brune aux traits fins et au regard profond, Myriam Sakhri aurait pourtant pu devenir une figure emblématique de la gendarmerie nationale. Des parents algériens, une enfance dans la banlieue lyonnaise aux côtés de ses sept sœurs… La jeune femme n’avait qu’une idée: servir les autres. À 16 ans, elle s’enrôle comme pompier volontaire. L’été, elle rejoint les casernes du Var pour lutter contre les feux qui dévorent la forêt. Plus tard, elle organise la collecte des vêtements pour les victimes du tremblement de terre à Haïti ou participe à des distributions de nourriture pour les SDF à Perrache. Sportive, elle encadre une équipe féminine de basket et s’entraîne pour le marathon.

Avec la gendarmerie, dans laquelle elle était entrée à 21 ans, elle disait avoir trouvé le métier idéal, celui qui lui permettait de se « sentir utile ». « Myriam était une excellente gendarme qui adorait sa profession, elle était humaine, courageuse et passionnée », témoigne Elisabeth Moulin, son amie depuis les débuts de Myriam sous l’uniforme. En juin 2010, « la beurette » est affectée au Centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie nationale (Corg) de la caserne Delfosse, à Lyon. L’endroit est stratégique. C’est là que, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, aboutissent les appels d’urgence.

Rapidement pourtant, l’ambiance de son service se dégrade. C’est du moins ce que rapporte Myriam, qui s’ouvre à son entourage des difficultés liées au comportement de quelques-uns de ses collègues. Certains, parmi les gendarmes du Corg, n’hésiteraient pas à afficher un racisme « franchouillard ». À des étrangers qui peinent à s’exprimer, elle aurait entendu un des militaires répondre qu’on les aiderait le jour où ils sauraient parler français. « Tu restes une bougnoule comme eux », lui aurait répondu un autre, alors qu’elle se révoltait contre ces pratiques. Des dérives racistes que l’enquête des services d’inspection de la gendarmerie n’a pas établies.

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Note de la direction générale de la Gendarmerie nationale, 19 janvier 2012

Dans un premier temps, la gendarme tente de régler le conflit en interne. Elle cherche le soutien de sa hiérarchie, en particulier du colonel G., qui commande le groupement de gendarmerie. Mais celui-ci refuse de la croire, et même de l’écouter, d’après ce que Myriam a rapporté à ses proches. Du coup, l’ambiance de travail se détériore. La jeune femme se sent isolée. Elle encaisse des remarques désobligeantes; on lui impose, selon sa soeur, des horaires impossibles. Bref, alors qu’elle demandait de l’aide, elle a l’impression d’être ciblée, harcelée.

Que faire? Sur les conseils d’une amie, Myriam contacte un avocat parisien, William Bourdon, qui l’aide à rédiger une lettre à destination de sa hiérarchie. Puis elle s’adresse à une association d’aide aux militaires. L’ancien gendarme à la tête de ce syndicat officieux lui suggère de recueillir des témoignages parmi ses collègues afin de monter un dossier. Enfin, la jeune femme est sélectionnée pour devenir officier de police judiciaire, une qualification lui laissant espérer une réelle progression professionnelle. D’autant que, à la suite du courrier rédigé avec son avocat parisien, Myriam a finalement pu quitter le Corg. Elle est mutée dans une brigade de la banlieue lyonnaise tout en conservant son appartement dans la caserne.

Alors que sa situation paraît s’améliorer, la jeune femme commet une erreur lourde de conséquences. À la demande d’une amie de sa mère en quête d’une parente disparue, elle consulte les fichiers de la gendarmerie sans en avoir l’autorisation. La faute est modeste mais Myriam doit en répondre devant l’inspection interne, qui l’entend, le matin du 22 septembre, pendant cinq heures. À cette occasion, la jeune femme réitère les accusations contre certains de ses collègues. Plusieurs d’entre eux sont même auditionnés, à leur tour, par les gendarmes enquêteurs. Mais Myriam en est convaincue : la procédure qu’on diligente contre elle participe du harcèlement qu’elle dénonce depuis plusieurs semaines…

Déterminée à porter plainte pour harcèlement moral

À peine sortie de son audition, elle prend contact avec un avocat lyonnais, Sylvain Cormier. Celui-ci se souvient de cette rencontre imprévue : « Elle souhaitait se défendre de la faute professionnelle qui lui était reprochée et elle voulait attaquer la gendarmerie pour harcèlement moral. Nous avions décidé d’un plan d’action pour porter plainte dès la semaine suivante. » L’avocat la trouve résolue, prête à livrer bataille.

Le lendemain, la jeune femme lui annonce par téléphone qu’elle a commencé à recueillir des témoignages de ses compagnons de caserne. Elle joint ensuite sa sœur Farida et lui confirme vouloir porter plainte. Quelques heures plus tard, pourtant, Myriam met fin à ses jours. « La famille a l’intention de se porter partie civile et de demander l’ouverture d’une information judiciaire », indique Me Ilié Négrutiu, l’avocat des sœurs de la gendarme. Celles-ci auront peut-être de nouveaux éléments importants à verser au dossier. Car la mort de Myriam semble avoir ravivé les souvenirs. Un ancien collègue serait prêt à témoigner. « Tout ce qu’elle a dénoncé est bien réel, j’ai moi-même assisté à des scènes de discrimination raciste », assure-t-il à L’Express. Et de conclure : « On a voulu la faire craquer parce qu’elle disait la vérité. »

Leur presse (Laurent Chabrun et Chloé Henry, LExpress.fr), 28 janvier 2012.

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