[Mort aux El-Assad !] Les Syriennes en première ligne

Les Syriennes montent au front

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Communiqué de la formation de l'unité Khawla Bint Al-Azwar pour les femmes à Deraa, province du Hauran, le 25 janvier 2012

Vêtues de noir, le visage masqué et la Kalachnikov à la main, six femmes se présentent devant la caméra dans une posture guerrière. Originaires de Deraa, une ville de la province du Hauran située au sud-ouest de la Syrie, elles ont annoncé mercredi 25 janvier la formation de leur unité. L’unité Khawla Bint Al-Azwar, du nom d’une combattante des premiers temps de l’ère islamique. La première unité féminine à rejoindre l’Armée syrienne libre, composée des déserteurs des forces de sécurité syriennes qui protègent les manifestants et mènent la lutte armée contre le régime de Bachar Al-Assad.

L’image peut faire sourire. Et pourtant, le rôle des femmes dans la révolte qui fait rage en Syrie depuis le 15 mars 2011 n’est plus à démontrer. Et ce, même si elles sont moins visibles que les manifestantes des révoltes tunisienne, égyptienne ou même yéménite. Pour éviter les arrestations, les tortures et les viols, elles sont souvent cantonnées à l’arrière : à organiser les manifestations, s’occuper des blessés, préparer les banderoles et les drapeaux. Elles forment des cercles de solidarité pour collecter de l’argent, des kits médicaux, de la nourriture et d’autres biens pour les familles victimes de la répression. Certaines organisent de petites manifestations chez elles, qu’elles diffusent sur la Toile pour exprimer leur pleine solidarité au mouvement. D’autres vont au devant des observateurs de la Ligue arabe pour les intimer à venir à la rencontre des habitants.

Militantes, épouses, mères, sœurs, connues ou anonymes, elles sont de plus en plus nombreuses à participer au soulèvement, note Rima Allaf, chercheur à la Chatham House à Londres, sur le site Bitterlemons. De toute manière, poursuit-elle, « la répression meurtrière ne fait aucune distinction entre femmes et hommes, enfants et adultes. Il y a égalité dans l’oppression comme dans la souffrance ». Les Syriens gardent en mémoire ces trois femmes abattues froidement début mai 2011 à Banias. Des manifestations avaient été organisées en leur mémoire et celle des femmes victimes de la répression.

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Marche des femmes de Daria, le 14 janvier 2012

En dépit des risques, les femmes continuent à organiser leurs manifestations pour soutenir les victimes et réclamer la libération des prisonniers. À l’instar de cette marche (ci-dessus) organisée par des femmes à Daria, dans la région de Damas, pour réclamer la libération de leurs proches détenus par les forces de sécurité. Le visage masqué derrière un voile et des lunettes noires, elles ont organisé une procession silencieuse, avec pour seules armes des pancartes et des photos de leurs proches. Sur l’une d’elles, on peut lire en français, « Gilles Jacquier est dans nos cœurs ».

LES ICÔNES DE LA RÉVOLUTION

Aux côtés de toutes ces Syriennes anonymes, certaines personnalités politiques et culturelles se sont également engagées dans la lutte contre le régime. Publiquement, de gré ou par la force des choses. Certaines figures traditionnelles de l’activisme politique, comme Souheir Al-Atassi, Catherine Al-Talli ou Razan Zeitouneh, ont toujours ouvertement défié le régime. Elles ont ainsi naturellement été en première ligne du soulèvement.

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Souheir Al-Atassi s'adresse aux manifestants de Homs le 11 décembre 2011 (Al Jazira, en arabe)

Un engagement qui a un coût. Après sept mois passés dans la clandestinité, Souheir Al-Atassi a choisi de fuir la Syrie. Fille d’un opposant nationaliste arabe de renom, le Dr Jamal Atassi, elle accueillait à son domicile depuis 2000 les réunions du « Forum Jamal al-Atassi pour le dialogue démocratique », un cercle d’opposition initié par les socialistes arabes, partisans de l’Union arabe. Dès le début de la révolte syrienne, elle va jouer un rôle actif dans la structuration du soulèvement. Ce qui lui vaudra d’être condamnée à mort par le régime en avril 2011 et traquée par ses services de renseignement. Récemment réfugiée en France, elle a accordé un long entretien au site Mediapart (article en édition abonnés).

C’est aussi en France que s’est réfugiée l’écrivaine et journaliste syrienne, Samar Yazbek. Son ralliement aux manifestations de Damas en février 2011 a marqué les esprits, notamment du fait de son appartenance à la communauté alaouite, majoritairement soudée derrière la famille Assad. Le texte qu’elle publie alors « En attendant ma mort » fait le tour des blogs :

« La mort est partout ! Au village ! À la ville ! Au bord de la mer ! Les assassins s’emparent des humains et des lieux (…). Je n’ai plus peur, non parce que je suis téméraire — étant de nature très fragile —, mais par habitude. Je n’ai plus peur de la mort, je l’attends sereinement avec ma cigarette et mon café. Je crois que je peux regarder dans les yeux un franc-tireur sur la terrasse voisine. Je le regarde fixement. Je sors dans la rue et je scrute les terrasses des immeubles. J’avance posément. »

Au journal Le Monde, elle raconte comment, en mars, elle est arrêtée et interrogée cinq fois de suite par les moukhabarat, les services secrets. Ils veulent qu’elle se désolidarise des opposants et pour cela l’emmènent dans une prison où ils torturent les manifestants. Une expérience de « l’enfer » qu’elle décrit également au quotidien britannique The Guardian. Cellule après cellule, ses geôliers la rendent témoin du dernier souffle de jeunes hommes défigurés par les tortures et suspendus nus en pleine agonie. Elle n’oubliera pas l’odeur du sang et de l’urine, les cris effrayants des hommes torturés.

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Déclaration de Fadwa Souleiman, le 10 novembre 2011 (en arabe)

L’engagement féminin qui a le plus marqué les esprits en Syrie est celui de la célèbre actrice, Fadwa Souleiman. Elle soutient depuis le début les manifestations, organisant des manifestations de femmes et appelant à planter des oliviers en mémoire des victimes. Mais, elle « sort du bois » en novembre, exaspérée par le loyalisme affiché du monde du spectacle au régime syrien. Le 7 novembre, elle fait une apparition publique au milieu des manifestants de Homs et se met en grève de la faim pour dénoncer les « mensonges du régime ». Dès lors, le régime est à ses trousses.

Le discours de soutien à la contestation qu’elle prononce le 10 novembre [Une traduction en anglais est disponible sur le blog de Abu Kareem, Levantine Dreamhouse] va susciter sur la Toile de nombreuses réactions, de soutien comme de haine. Razan Ghazzawi, une célèbre blogueuse, va exprimer sur son blog Razaniyyat son soutien à cette « actrice alaouite, qui a fait le premier discours adressé par une femme à son peuple et débuté une grève de la faim ». Depuis, Fadwa Souleiman défie le régime depuis Homs, chantant parmi la foule des manifestants. Le 12 janvier, elle s’est à nouveau adressé à la foule pour demander au Conseil national syrien (CNS), qui représente une partie de l’opposition au régime, de soutenir l’Armée syrienne libre politiquement et financièrement. Cette armée qui possède désormais son unité féminine.

Leur presse (blog « Printemps arabe » du Monde.fr, 26 janvier 2012)

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