Adlène Hicheur, terroriste islamiste ou prisonnier politique ?
Chercheur franco-algérien, Adlène Hicheur vient de fêter ses 35 ans à la prison de Fresnes, où il est détenu depuis octobre 2009. Son procès pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » est prévu fin mars, après une instruction dénoncée pour sa partialité. Au cœur du débat, la législation antiterroriste.
Une scolarité sans faute en France
« Mon client a passé 27 mois derrière les barreaux », s’emporte son avocat, Me Patrick Baudouin. « On l’accuse de faits graves sans rien trouver qui justifie son maintien en détention ! » Comment Adlène Hicheur, jeune physicien et brillant chercheur au Cern (Centre européen pour la recherche nucléaire) à Genève a-t-il été emporté dans cette bourrasque judiciaire qui lui vaut de passer en correctionnelle ? Une question à laquelle son entourage dit ne trouver aucune réponse.
À 1 an à peine, il débarque d’Algérie avec ses parents et ses cinq frères et sœurs. Un parcours scolaire sans faute, puis Adlène obtient sa thèse au laboratoire de physique des particules d’Annecy-le-Vieux.
Après trois ans en Angleterre, il enseigne à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, tout en poursuivant ses recherches au Cern. Décrit comme solitaire et religieux, c’est d’abord, selon son frère Halim, « un intellectuel non sectaire qui se cultive énormément ».
Le 9 octobre 2009, Adlène est en partance pour Sétif, sa ville natale, pour y acheter un terrain, quand il est cueilli au domicile de ses parents à Vienne, dans l’Isère, par la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur).
Depuis un an, les enquêteurs l’ont repéré sur des forums islamistes derrière le pseudo d’Abou Doujana. D’après les auteurs de L’Espion du Président (Robert Laffont, 2012), un livre sur le patron de la DCRI, Bernard Squarcini, le fait que le père de Hicheur soit fiché dans la base Cristina a aussi joué dans les soupçons pesant sur le physicien.
Autre élément contre lui : Hamadi Aziri, entendu un an plus tôt dans une affaire de filières djihadistes franco-belges — il écopera de trois ans de prison — le charge. Selon le réquisitoire du parquet, Aziri met en cause la propagande pro-djihadiste postée par Adlène sur le site Ribaat.net et assure qu’il aurait « recruté » un certain Phenixshadow.
« Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot »
Accusations difficiles à vérifier, que l’intéressé nie en bloc. Phenixshadow est épié par la DCRI depuis qu’un communiqué d’Aqmi (Al Qaeda au Maghreb islamique) a été posté sur le site de la présidence française en janvier 2008.
Sous ce pseudo se cacherait Mustapha Debchi, activiste islamiste qui sera arrêté par l’Algérie en février 2011 et qui, en 2009, multiplie les échanges avec Adlène Hicheur, contraint au repos forcé par une hernie discale.
Selon les messages reproduits dans l’acte d’accusation, Phenixshadow déclare entre autres à Hicheur « vouloir exécuter des opérations en France […] ; je te proposerais qu’on soit tous les deux en tête de la liste ».
Il le presse quelques mois plus tard : « Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot : (es-tu) disposé à travailler dans une unité active en France ? » Adlène, lui, botte en touche, déclinant sa « vision concernant (sa) participation dans le djihad […] : faire ce qui peut durer même s’il s’agit de petits actes. »
Il mentionne pourtant « une opération de martyr », puis « des assassinats ciblés ». Et suggère un objectif précis : le 27e bataillon de chasseurs alpins d’Annecy, à Cran-Gevrier, qui « entraîne des forces et les envoie en Afghanistan ».
« Nous avons peut-être évité le pire »
Il n’ira pas plus loin que ces mots. Corsés, certes, mais seulement « basés sur du virtuel », s’insurge maître Baudouin. Halim Hicheur insiste sur le lieu et le moment de l’arrestation de son frère, alors que Brice Hortefeux, en visite à Lyon, « tentait de se racheter une virginité médiatique après ses propos sur les Auvergnats ».
De fait, campé à l’endroit même où a commencé, quelques heures plus tôt, la garde à vue, le ministre de l’Intérieur déclare : « Notre vigilance ne se relâche jamais. Le risque est permanent. Nous avons peut-être évité le pire. »
Au mépris de la présomption d’innocence, les informations sont distillées dans la presse. « La cible était choisie, il fallait intervenir », justifie au Monde Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale. En juin 2010, en pleine instruction, son subordonné de la DCRI, Bernard Squarcini, bavarde avec le Figaro de « l’affaire Adlène Hicheur, […] enrôlé par Aqmi, qui proposait comme cible le site du 27e bataillon des chasseurs alpins en Haute-Savoie ».
Aucun délit n’a pourtant été commis, insiste Me Baudouin : « Il n’y a jamais eu le moindre début de projet précis. Adlène a systématiquement refusé d’acheter du matériel informatique ou de transmettre ses coordonnées personnelles à son interlocuteur. »
Des enquêteurs aux méthodes musclées
En outre, peut-on encore parler « d’association de malfaiteurs » quand il n’y a plus qu’un seul accusé ? Trop d’irrégularités entachent le témoignage de Mustapha Debchi, recueilli par l’Algérie, et dont l’accusation aurait dû faire sa pierre angulaire.
L’avocat s’agace : « Rien ne prouve l’identité de la personne interrogée. Les questions sont absentes du document et l’audition est datée du 9 février alors que Debchi aurait été mis en examen quatre jours plus tard ! L’instruction a été menée systématiquement à charge. »
Il dénonce encore les aveux obtenus au terme de quatre jours de garde à vue et dix-neuf auditions menées par des enquêteurs aux méthodes musclées. Hicheur relate ainsi son transfert de Lyon à Paris sur l’autoroute toutes vitres ouvertes à l’arrière, malgré ses protestations.
Les magistrats, eux, rejettent les déclarations de l’accusé qui contredisent celles de la garde à vue. Ils s’accrochent au soupçon de financement des réseaux terroristes collé au prévenu depuis la découverte, lors de l’interpellation, de 13’200 euros en liquide dans sa valise.
Une somme destinée à l’achat du terrain et au règlement des travaux, plaide son frère, qui s’étonne de la mystérieuse disparition des devis, des plans et documents saisis qui pouvaient le disculper. La commission rogatoire menée en Algérie a tout de même confirmé la réalité des projets.
Errements de la législation antiterroriste française
L’affaire Hicheur, en tout cas, rouvre le débat sur les errements de la législation antiterroriste française, « porte ouverte à l’arbitraire », selon la FIDH, et dénoncée par Human Rights Watch.
« Ce procédé qui permet de surveiller la menace très en amont a enregistré des succès indéniables », avance Alain Chouet, ancien chef de la DGSE. « Mais il contient aussi des menaces pour les libertés publiques. Bien réelle, la menace terroriste islamiste a parfois été instrumentalisée, détournant de ses objectifs la lutte nécessaire contre cette forme de violence. »
Selon le rapport d’Europol, la France est aujourd’hui le pays de l’UE interpellant le plus grand nombre d’islamistes radicaux, quand l’essentiel des attentats commis ou déjoués en France sont le fait de mouvances séparatistes régionales.
L’affaire Hicheur rappelle celle de Djamel Beghal, enfermé depuis dix ans, dont neuf à l’isolement, pour des faits qu’il conteste, dans une affaire instruite par le juge Bruguière — mis en cause par ailleurs pour ses méthodes douteuses. Et sur la base d’erreurs de traduction et d’aveux qui auraient été obtenus sous la torture.
La législation antiterroriste s’est aussi illustrée dans le coup de Tarnac, qui a vu Julien Coupat et Yldune Levy mis en cause en 2008 sous le même chef d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste pour des faits qu’ils nient.
Eux aussi accusent la police antiterroriste d’avoir rédigé un procès-verbal mensonger pour les mettre en cause et d’avoir suborné des témoins.
Hicheur, lui, s’étiole en prison. Sa dernière demande de mise en liberté, refusée comme toutes les autres, date du 12 janvier. S’il sort un jour, même lavé des soupçons « chacun fuira ses responsabilités », craint Jean-Pierre Lees, président de son comité de soutien (qui comprend notamment le prix Nobel de physique Jack Steinberger). Un simple dommage collatéral.
Leur presse (Malika Maclouf, Rue89, 25 janvier 2012)