[Police politique] « La lutte contre les subversions, mission fondatrice »

Un livre sur la DCRI déclenche une avalanche de plaintes

Accusé dans un livre d’être au service de l’Élysée, le patron des renseignements intérieurs, Bernard Squarcini, attaque les auteurs en diffamation, ainsi que le site Mediapart … qui va aussi saisir la justice.

Les critiques contre le patron du renseignement intérieur français Bernard Squarcini, accusé dans un livre d’avoir dirigé une police parallèle pour enquêter sur la presse et l’opposition, ont suscité jeudi démentis officiels et plainte de l’intéressé.

La charge de trois journalistes du Point et du Canard enchaîné dans le livre publié cette semaine et intitulé L’Espion du président vise indirectement Nicolas Sarkozy, censé avoir laissé s’installer ces pratiques au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Confié à un proche du chef de l’État, Bernard Squarcini, ce service de police judiciaire et de renseignement comptant 3400 fonctionnaires a été créé en 2008 par fusion des Renseignements généraux (RG) et du contre-espionnage, la Direction de la surveillance du territoire (DST).

À trois mois de la présidentielle, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant voit dans ce livre la dernière manifestation de ce qui serait une campagne systématique visant les hommes de confiance de Nicolas Sarkozy. « Je démens tout à fait que la DCRI soit un instrument politique au service du pouvoir. C’est absolument faux. La DCRI n’écoute pas de personnalités politiques, évidemment non », a-t-il déclaré sur France Inter. « Vous ne m’empêcherez pas d’observer qu’en ce moment, il y a une sorte de mise en cause systématique de ceux qui sont censés avoir la confiance du président de la République », a-t-il dit.

Bernard Squarcini, le patron des services de renseignements français, s’est indigné de ces accusations. « Je ne suis l’espion de personne », explique-t-il dans un communiqué. « Ce service est composé de fonctionnaires avec des opinions politiques et syndicales différentes. Ils sont tous dotés d’un grand sens du service public qui les conduit à servir l’État, quel soit l’engagement politique du gouvernement », écrit-il. Il a décidé de porter plainte en diffamation contre les auteurs du livre. Le procès, quasi-automatique, se tiendra après la présidentielle, du fait des délais normaux.

Mediapart porte plainte, Squarcini attaque le site pour diffamation

Le site d’information Mediapart, qui, selon le livre, a fait l’objet d’un espionnage en 2010 suite à ses articles sur des affaires mettant en cause l’exécutif, annonce pour sa part sa décision de déposer plainte. « Mediapart va saisir la justice de ces faits nouveaux afin que toute la vérité soit faite sur cet espionnage et que ses auteurs en répondent, ceux qui l’ont ordonné comme ceux qui ont exécuté cet ordre illégal », lit-on sur le site. Dans sa plainte en diffamation, Bernard Squarcini vise également Mediapart et son directeur Edwy Plenel.

Le livre, qui s’appuie essentiellement sur des sources anonymes présentées comme des enquêteurs de la DCRI, affirme que des pratiques illégales telles que les « sonorisations » de logements, les intrusions informatiques et les écoutes téléphoniques en dehors de tout cadre légal, sont devenues systématiques. Des fouilles illégales de logements seraient aussi menées.

Joël Bouchité, ancien patron des Renseignements généraux et ex-conseiller sécurité de Nicolas Sarkozy de 2010 à 2011, devenu préfet de l’Orne, porte lui aussi des accusations dans le livre. « Squarcini a recréé à son côté une petite cellule presse. Des mecs chargés de se rancarder sur ce qui se passe dans les journaux, les affaires qui vont sortir, la personnalité des journalistes. Pour cela, comme pour d’autres choses, ils usent de moyens parfaitement illégaux. » Des propos qu’il a contesté dans Le Monde : « Je prends connaissance des dépêches me mettant en cause concernant le fonctionnement de la DCRI et notamment “l’utilisation de moyens parfaitement illégaux pour le suivi des journalistes”. Je démens les propos qui me sont prêtés tant sur l’organisation que sur le fonctionnement de la DCRI. Cette présentation est mensongère. La création de la DCRI répond à la nécessité de modernisation des services de renseignement et à l’exigence d’efficacité de la lutte contre le terrorisme et les subversions, sa mission fondatrice. »

Bernard Squarcini a été mis en examen en octobre 2011 pour « atteinte au secret des correspondances » dans une affaire où il a admis avoir requis des opérateurs les factures détaillées de téléphones de journalistes du Monde après un article sur l’affaire Liliane Bettencourt. Le ministre de l’Intérieur l’a maintenu en poste en invoquant la présomption d’innocence malgré ces faits, qui sont admis mais que Bernard Squarcini considère comme légaux. Le procureur Philippe Courroye a été mis en examen dans cette affaire cette semaine.

Leur presse (AFP, AP, Reuters sur le site LeFigaro.fr, 19 janvier 2012)


(…) Quant aux méthodes illégales, elles ont cette particularité, selon l’enquête des trois journalistes, d’avoir été généralisées au sein de la DCRI et non plus limitées à des équipes spéciales, à la manière de ce que fut la « cellule de l’Élysée » sous la présidence de François Mitterrand. « Sous Squarcini, peut-on lire pages 108 et 109, il n’y a pas de “brigade du chef”. Pas de groupe d’enquêtes réservées avec des hommes de main qui ne rendent compte qu’au patron dont ils exécutent, sans broncher, les commandes “un peu particulières”. Les juges peuvent toujours chercher à Levallois (où siège la DCRI) un “cabinet noir”. Ils ne le trouveront pas. (…) Le système mis en place par le Squale paraît bien plus redoutable qu’autrefois. C’est la structure entière qui semble vicié. »

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Le centre d'écoutes de Boullay-les-Troux

On apprend ainsi qu’une structure dénommée R1 se charge des « sonorisations », tandis qu’une structure R2 est chargée de « casser » les ordinateurs, « en clair, déverrouille les systèmes de sécurité qui empêchent d’accéder au contenu d’un PC ou d’un Mac ». Les auteurs citent un officier : « En quelques minutes, ils sont capables de siphonner l’intégralité d’un disque dur. » Ils poursuivent : « Régulièrement, un véhicule banalisé quitte la petite commune de Boullay-les-Troux dans l’Essonne, pour se rendre au 84, boulevard de Villiers à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine. Le chauffeur s’engouffre prestement dans le parking souterrain. Sa cargaison recèlerait comptes rendus d’écoutes, identifications téléphoniques et autres e-mails interceptés à l’insu de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS. »

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Car les auteurs précisent bien — et ce n’est pas la moindre de leurs révélations — que c’est à Boullay-les-Troux que s’opèrent les « écoutes off » de la DCRI, sous l’égide de la sous-division R, alors que « les écoutes légales » le sont sous la houlette de deux divisions, la J (écoutes judiciaires) et la P (écoutes administratives). Le livre parle également des cambrioleurs de la DCRI, affectés à la sous-division L, et des « serruriers du net ». « Des informaticiens capables de voyages dans le temps en retrouvant tout ce qui a été tapé sur un clavier jusqu’à un million de caractères en arrière ou d’aller aspirer, à travers la Toile, le contenu du disque dur d’un ordinateur sans laisser de trace. Pratique, lorsqu’on veut par exemple mettre la main sur les épreuves d’un livre embarrassant pour le Château. » (…)

Leur presse (Edwy Plenel, Mediapart, 19 janvier 2012)

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