[Walbrzych (Pologne)] Grève des loyers et grève des mères

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1326735163.jpgLe film-documentaire La Grève des mères expose une lutte de femmes dans une « zone économique spéciale » (SEZ) de Pologne, des femmes en grève de loyer, des ouvrières qui refusent de porter le double fardeau du salaire et du travail reproductif. Ça se passe à Walbrzych en 2010.

« La grève des mères » (Pologne, 22 minutes, 2010, SzumTV & Feminist Think Tank)

Le docu est disponible en polonais sous-titré en anglais.
En polonais non sous-titré.
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Le texte ci-dessous a été écrit à l’été 2011 par des réalisatrices du film :

Walbrzych est une ville du sud-ouest de la Pologne qui compte 122.000 habitants. C’était un centre industriel depuis la fin du XIXe siècle (textile, mines de charbon, industrie du verre). Après la transformation capitaliste du début des années 1990, décision a été prise de fermer les mines de houille. Ce qui, ajouté aux sureffectifs massifs enregistrés dans les usines qui ont survécu les premières années de l’économie de marché, s’est traduit par une montée rapide du chômage et une émigration massive.
Depuis 1994, le gouvernement polonais a créé quatorze SEZ dans le but de résoudre les problèmes créés par la transformation. L’une des plus grandes, baptisée « Parc d’investissement », a été implantée à Walbrzych en 1997 et fonctionnera jusqu’en 2020.

Bien que le Parc d’investissement existe depuis longtemps, en 2010 le taux de chômage dans le secteur a atteint 20 %. L’absence de revenus a mis beaucoup de ménages dans une situation d’insécurité matérielle. Aujourd’hui la majorité des offres d’emploi proviennent de la SEZ. Il y a plus de 100 entreprises représentées dans ce Parc, dont Toyota, General Electric, Bridgestone, Electrolux, IBM, Wabco, Colgate-Palmolive et Cadbury. Les investisseurs sont en position d’obtenir des subventions publiques, des réductions d’impôts et autres avantages.
Les coûts de la main-d’œuvre dans la région sont plus faibles qu’ailleurs en Pologne. Les entreprises sont parfaitement adaptées aux exigences du mode de production post-fordiste : les emplois sont non seulement mal payés, mais également précaires, à temps partiel et souvent basés sur les contrats spéciaux de loi civile. La production est ajustée aux besoins du marché et les horaires sont flexibles. Quand elle doit se faire à un rythme rapide, les ouvriers travaillent jusqu’à dix-huit heures par jour pendant quelques jours ou semaines ; quand elle ralentit, ils n’obtiennent aucun nouveau contrat et aucun revenu.

Ce phénomène d’emplois précaires et mal payés aggrave les problèmes de logement à l’échelle de la ville. Même les gens qui ont un travail risquent de se retrouver sans domicile. Il y a quelques années, les sans-abri qui n’avaient pas voulu attendre en vain leur tour dans les listes d’attribution de logements sociaux ont commencé à occuper des centaines d’appartements abandonnés et en mauvais état. Cette pratique est devenue particulièrement populaire parmi les mères célibataires, car elles n’ont pas les moyens financiers de louer un appartement.
Quand les ouvriers ont résolu leur problème de logement en occupant les appartements vides, leur position sur le marché du travail a changé : dans le film, les femmes décrivent comment elles parviennent à refuser les offres d’emploi les pires. Soudain, elles se rendent compte que chômer ne signifie pas forcément être à la rue.
Au bout de quelques années, cette forme d’auto-organisation est devenue un problème pour les autorités locales. Elles ont alors coupé l’eau, l’électricité et le gaz dans les appartements squattés. Les femmes ont été traitées de criminelles, et les autorités ont engagé des procès contre elles et les ont gagnés. En 2008, un groupe de femmes a fait une grève de la faim pour exiger la fourniture de l’électricité, de l’eau et du gaz dans leurs appartements. Elles ont également exigé des changements politiques à l’échelle locale et réclamé que des logements sociaux soient construits ou qu’on en augmente le nombre en rénovant des vieux bâtiments abandonnés. Au bout de plusieurs jours de grève, une manifestation de solidarité a été organisée devant l’Hôtel de Ville, à laquelle ont pris part plusieurs centaines de personnes de Walbrzych, soutenues par un syndicat de base. Les femmes reconnaissent dans le film que c’était un moment important parce qu’elles se sentaient intimidées et humiliées. Les autorités ont alors accepté de fournir l’électricité, l’eau et le gaz aux appartements occupés, mais seulement temporairement. Elles ont exigé que la grève de la faim se termine et de rencontrer individuellement chacune des femmes au lieu d’avoir une discussion ouverte avec l’ensemble d’entre elles ; elles ont essayé par là de casser le pouvoir de négociation collective des femmes, de détourner l’attention des médias et d’écarter les organisations qui les avaient soutenues.
La révolte des mères a un prix : la répression. Les femmes décrivent dans le film les intrusions fréquentes de la police et des membres de l’administration, les fouilles de leurs appartements au milieu de la nuit, et comment les autorités ont essayé de les priver de leurs droits parentaux.
Après la grève les autorités ont tenté de forcer des femmes à quitter les appartements occupés en exigeant des loyers élevés. Mais certaines d’entre elles ont trouvé cette sanction indigne, car elles avaient restauré les logements abandonnés pendant des années sans aucune aide financière. En réponse à la répression, les femmes ont refusé de payer quelque loyer que ce soit et sont restées dans leurs appartements. La seule proposition que leur a faite la municipalité était de se déplacer dans un lieu d’hébergement pour sans-abri, où elles auraient été sous surveillance constante et soumises à une discipline sévère. Elles ont refusé le régime répressif de ces établissements et continué à lutter pour avoir un lieu où vivre.

Beaucoup de femmes sans emploi dans Walbrzych n’acceptent pas la violation des droits du travail et des horaires hors normes. Surtout, elles refusent les salaires de famine offerts pour des postes en CDD, et la précarité du travail. En conséquence, elles sont restées sans emploi, refusant de travailler. Cela en raison également du manque de structures adaptées, telles que crèches et haltes-garderies, qui leur permettraient de prendre un travail aux horaires flexibles. La flexibilité du travail, cela signifie passer une douzaine d’heures par jour dans l’usine, ce qui ne correspond pas aux heures d’ouverture des écoles maternelles. L’autre obstacle, c’est le mode de production en trois-huit : si les mères travaillent l’après-midi ou de nuit, elles ne peuvent mettre leurs enfants aux jardins d’enfants parce que ceux-ci sont fermés, et leurs salaires ne leur permettent pas d’employer une garde d’enfants. Les femmes qui décident de continuer à travailler en usine sont souvent trop épuisées pour prendre soin de leurs enfants. Un petit enfant est tombé d’une fenêtre l’année dernière : la mère qui s’occupait de lui s’était endormie après avoir fait une journée particulièrement longue en usine.
Les agences pour l’emploi essayent de pousser les femmes à accepter les travaux mal payés en les forçant à assister à des formations ou à faire du travail non payé. Plus que jamais, l’emploi stable est devenu le « privilège » de quelques-uns. Les autorités, cependant, trouvent des moyens de forcer les chômeurs à accepter des contrats pourris ou à faire différentes sortes d’activités « utiles » pour rien ou presque rien, comme nettoyer les racines des arbres dans les parcs. Une pratique courante consiste à placer les chômeurs comme stagiaires, à un tarif qui ne permet pas la survie. Les femmes qui rejettent les offres des agences pour l’emploi perdent leur allocation et courent le risque d’être harcelées par les centres d’aide à la famille. Les organismes d’aide sociale considèrent en effet que refuser du travail est une forme de pathologie, et menacent les mères de placer leurs enfants en orphelinat si elles ne se soumettent pas à la discipline du travail. Ils ne s’inquiètent pas de l’épuisement des femmes qui travaillent au rythme 12/24 (12 heures de travail en 24 heures). Les mères sont supposées faire le travail reproductif à la maison et assumer ensuite un travail sans salaire ou presque. Si les femmes n’en sont pas capables, elles perdent leur travail, leur allocation et parfois leurs enfants.

Cependant, le film montre qu’il y a de la résistance, et nous considérons que pour analyser cette résistance, il ne faut pas s’en tenir au conflit avec les autorités locales et au problème de logement : il faut aussi débattre de la non-prise en compte du travail reproductif assumé par les femmes et du fait que ce type de travail est exclu de l’économie formelle. Les femmes résistent au discours des autorités qui les présente comme des objets inutiles qui exigent de l’aide de l’État sans rien donner en retour. De plus, elles trouvent collectivement une solution aux problèmes de logement, et rejettent ouvertement la politique sociale qui ignore leur travail reproductif et les force à faire du travail salarié dans la SEZ. Leur expérience montre que les coupes dans le système de welfare tout comme les changements technologiques et les récentes transformations du droit du travail polonais introduits sous prétexte de la crise conduisent non seulement à une intensification du travail salarié mais aussi à faire du travail reproductif non payé. Cependant, les mères, privées d’un revenu social de base, résistent au travail salarié dans la mesure où elles consacrent tout leur temps au travail reproductif. Elles résistent au double fardeau du travail à la maison et en usine.

Le film La Grève des mères révèle la nature politique des coupes dans les dépenses de santé, qui ont empiré après la mise en œuvre des réformes néolibérales en Pologne. De plus, l’auto-organisation collective que nous voyons se mettre en place comme réponse à la crise du travail reproductif montre que ce n’est pas seulement une question individuelle. Cette crise est le produit d’une oppression systémique, contre laquelle des communautés entières commencent à lutter. Ainsi, quand les ménages prolétaires souffrent des coupes dans les allocations sociales et que l’État ne prend plus en charge la santé publique, ce n’est pas un problème privé qui concerne les familles.
Les mères de Walbrzych ne veulent pas se soumettre à la société capitaliste organisée selon les principes du libre-marché. Elles répondent au refus des autorités locales de prendre en compte leurs besoins par l’auto-organisation de l’espace dont elles ont besoin. Elles cessent en outre de dépendre de la bonne volonté de l’État-providence (à supposer que l’on puisse parler d’État-providence à propos de l’État polonais) et font baisser le coût de la vie en occupant des appartements vides. Cela leur permet de rejeter les pratiques disciplinaires des employeurs et les contrats pourris. En d’autres termes, les femmes que nous voyons dans le film occuper les appartements vides, refuser de payer des loyers et résister aux pratiques des employeurs, refusent de jouer le rôle de travailleuses salariées exploitées par le capital.

Plus d’infos, en polonais.

Squat!net, 16 janvier 2012.

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