[Clermont-Ferrand] Comment les deux policiers de la brigade canine ont tué Wissam El-Yamni

Wissam El-Yamni : les ombres de la dernière heure

Récit. Les témoignages restent incomplets sur l’interpellation du jeune chauffeur-routier de Clermont, qui est mort après neuf jours de coma.

La vie de Wissam El-Yamni, 30 ans, chauffeur-routier à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), a basculé le soir du 31 décembre, entre 3h15 et 3h55 du matin. Entre l’instant où il a jeté une pierre sur une voiture de police et celui où les médecins du Samu ont déclaré son pronostic vital engagé suite à un arrêt cardiaque « prolongé ».

Il est un peu plus de 3 heures du matin, la nuit du réveillon, lorsque la première voiture de police arrive sur le parking du centre commercial de la Gauthière, quartier populaire au nord de Clermont-Ferrand. Les policiers disent avoir été alertés par un appel signalant un corps inanimé sur la voie publique. Sur le parking, il n’y a qu’une brochette de garçons du quartier, entre 20 et 30 ans, qui fêtent le nouvel an, assis sur un banc. Le véhicule de pompiers dépêché parallèlement est renvoyé à la caserne. Les policiers expliqueront plus tard aux enquêteurs avoir eu le sentiment de tomber dans un guet-apens. Le procureur de la République de Clermont-Ferrand renforcera cette version en disant que le coup de fil aux secours avait été passé depuis le portable de Wissam El-Yamni. Les copains de Wissam démentent. Et disent eux avoir eu l’impression que les policiers viennent leur chercher des histoires. « Toute la soirée, ils n’avaient pas arrêté de tourner autour de nous », raconte Marwan, un ami d’enfance de Wissam El-Yamni présent ce soir-là.

Le ton est monté. Wissam El-Yamni se lève et jette une pierre sur la voiture des policiers. Plusieurs véhicules de police arrivent aussitôt en renfort. Dont la Ford Mondeo blanche de la brigade canine. Selon les policiers, Wissam El-Yamni aurait jeté une deuxième pierre avant de s’enfuir en courant derrière un ensemble d’immeubles en cours de destruction, situés à moins de cent mètres de là. La suite est plus confuse.

Chien lâché. À partir de cet instant, entre les policiers, les copains de Wissam El-Yamni et les voisins qui ont assisté à la scène depuis leur fenêtre, aucun ne décrit le même déroulement. Tous ont témoigné depuis devant l’IGPN (Inspection générale de la police nationale la « police des polices »), dépêchée dès le surlendemain des faits. Selon les policiers, les deux agents de la brigade canine auraient commencé la course-poursuite en voiture, avant de continuer à pied en lâchant un chien.

C’est le chien qui aurait fait tomber à terre Wissam El-Yamni par des coups de museau. L’un des policiers l’aurait ensuite maintenu au sol pour le menotter, pendant que l’autre remettait le chien dans le coffre. Les policiers évoquent un individu particulièrement agité, excité et difficile à maîtriser. Selon des voisins qui ont assisté à la scène depuis le dernier étage de l’immeuble jouxtant les lieux, et notamment deux femmes qui fumaient à ce moment-là une cigarette à la fenêtre, Wissam El-Yamni serait sorti en courant d’une voiture « blanche de style familial » et aurait été rattrappé aussitôt par deux hommes en civil qui l’ont « plaqué au sol ».

Les deux femmes décrivent une scène de tabassage, avec des coups de pied au dos et au thorax, puis des coups de poing au visage. Selon elles, les deux hommes l’ont ensuite soulevé et mis dans le véhicule avant de repartir. Elles sont incapables de dire s’il était à ce moment-là conscient ou inconscient. Les amis de Wissam n’arrivent qu’après l’interpellation. Plusieurs d’entre eux décrivent des policiers qui « fument à côté de leur voiture » et « ont mis de la musique fort depuis leurs voitures ». Les voisines n’ont rien vu de cette scène. La suite se déroule durant le transfert de Wissam El-Yamni au commissariat de la rue Pélissier, à moins de trois kilomètres. Sans témoins. À son arrivée, aucun PV de notification de garde à vue n’est rédigé. Une femme policière donnera l’alerte à 3h40, s’inquiétant de la présence d’un homme inanimé dans un couloir du commissariat, face contre terre, menotté dans le dos. L’équipe du Samu emmène Wissam El-Yamni à l’hôpital d’Estaing dans un état grave. Sa femme ne sera prévenue que le lendemain. Il décédera neuf jours plus tard sans avoir quitté le coma.

Visage tuméfié. Le premier certificat médical atteste de plusieurs traces de violences « récentes », sur le visage, le cou et le thorax. Des photos prises le lendemain par la famille montrent un visage tuméfié, mais, surtout, un hématome sur un côté du cou et une longue trace rouge de l’autre côté. Jean-François Canis, l’un des avocats de la famille El-Yamni, attend désormais les résultats de l’autopsie pour connaître les causes du décès. Il s’interroge : « Les traces de violences semblent peu compatibles avec des techniques policières normales. Cette interpellation, c’est une certitude, ne s’est pas déroulée normalement. »

Une information judiciaire a été ouverte pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Elle vise deux « dépositaires de la force publique », les deux policiers de la brigade canine qui ont emmené Wissam El-Yamni au commissariat. Vendredi, par la voix de leurs avocats, les policiers ont fait savoir qu’ils démentaient tout violence.

Leur presse (Alice Géraud – envoyée spéciale, Liberation.fr), 14 janvier 2012.

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