C’est une nouvelle petite victoire pour les mis en examen de Tarnac (Corrèze), soupçonnés depuis novembre 2008 d’avoir saboté des lignes de la SNCF. Une information judiciaire a été ouverte dans l’affaire des écoutes sauvages de l’épicerie gérée par le petit groupe, un dossier annexe au sabotage.
La juge d’instruction de Brive-la-Gaillarde a estimé, le 3 janvier, qu’il y avait lieu à instruire sur le chef d' »atteinte au secret des correspondances » et d' »atteinte à l’intimité de la vie privée » que le procureur de la République souhaitait écarter. Pour Me William Bourdon, l’avocat de la société du Magasin général de Tarnac, qui avait porté plainte avec constitution de partie civile en février 2011, la justice rentre ainsi dans la « phase sombre du dossier ».
Le 11 novembre 2008, neuf personnes appartenant à la mouvance « anarcho-autonome » sont interpellées à Tarnac (Corrèze) et Paris. Elles sont accusées d’avoir posé des crochets métalliques sur des caténaires pour désorganiser les lignes de la SNCF en octobre et novembre 2008. A l’issue de leur garde à vue, quatre d’entre elles sont remises en liberté, cinq sont placés en détention provisoire.
Tous sont mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste », sauf Julien Coupat, considéré comme le leader du groupe, qui est mis en cause pour « direction ou organisation d’un groupement formé en vue de la préparation d’un acte terroriste ». Installé dans le petit village de Corrèze depuis le début des années 2000, le groupe s’occupe d’une épicerie-bar-restaurant et élève des animaux sur les 40 hectares de la ferme du Goutailloux.
La qualification terroriste des faits, le maintien en détention de M. Coupat jusqu’en mai 2009 sont largement médiatisés ainsi que le contrôle judiciaire strict imposé dans un premier temps aux remis en liberté. La fragilité des éléments à charge de ce que la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, avait qualifié d' »opération réussie » dans le « milieu de l’ultragauche » est assez vite apparue. Notamment les accusations d’un témoin sous X, rapidement démasqué par la presse et qui aurait subi des pressions des policiers.
ZONES D’OMBRE
L’affaire des écoutes, quant à elle, est antérieure aux sabotages. Tout débute en mars 2008, alors que le groupe vit tranquillement à Tarnac. Gaëtan Fussi, l’un des cogérants de l’épicerie, qui ne sera pas concerné par l’affaire des sabotages, remarque que les télédéclarations de carte bancaire, par l’une des deux lignes téléphoniques du magasin, ne sont plus effectuées. La petite équipe se tourne d’abord vers sa banque. Après une série de tests et un changement de machine, toujours rien. Le problème vient de la ligne téléphonique.
Un technicien de France Télécom se rend sur place, le 4 avril. Et là, dans le local technique, surprise : un boîtier d’origine inconnue est branché, en parallèle de la ligne. M. Fussi plaisante : et si c’était la police ? Le technicien répond, très sérieusement : « Ça se pourrait bien, je vais appeler mon chef, on verra bien. » Après le coup de fil du technicien à son responsable, M. Fussi comprend qu’il s’agit bien d’un dispositif d’espionnage et le boîtier est débranché.
Le petit groupe a donc été écouté. Ce n’est pas forcément une surprise. En 2008, la mouvance de l’ultragauche fait l’objet de toutes les attentions du renseignement français. Trois membres du groupe de Tarnac sont fichés aux renseignements généraux dès 2002, après une occupation sur le campus universitaire de Nanterre ; en 2005, la fiche de Julien Coupat est modifiée pour « mise sous surveillance » ; en janvier 2008, enfin, Julien Coupat et sa compagne Yldune Lévy ont été signalés par le FBI après s’être soustraits à un contrôle d’identité à la frontière canadienne.
Pour autant, « aucun fondement juridique ne pouvait justifier une quelconque écoute », souligne Me Bourdon. L’enquête préliminaire pour « association de malfaiteurs à visée terroriste » n’a été ouverte par le parquet de Paris que le 16 avril 2008. Elle fait suite à un signalement du groupe au procureur par la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire.
Sur quelles bases le groupe a-t-il été signalé à la justice, et donc surveillé de manière officielle, puis mis en cause dans l’affaire des sabotages de lignes SNCF ? Si des écoutes illégales étaient à l’origine de ces procédures en cascade, c’est tout le dossier qui pourrait être touché.
Car l’instruction de Brive vient s’ajouter à une autre information judiciaire ouverte en novembre 2011 par le parquet de Nanterre pour « faux et usages de faux en écriture publique » concernant un procès-verbal policier. Le « PV104 » est une pièce majeure du dossier. Il s’agit du compte rendu de la filature de Julien Coupat et Yldune Lévy la nuit des sabotages sur les lignes de la SNCF, les 7 et 8 novembre 2008. Pour la police, il prouve que le couple se trouvait à proximité d’une des lignes sabotées, en Seine-et-Marne. Selon la défense, il est truffé d’incohérences, peut-être destinées à masquer la pose illégale – là encore – d’une balise sous la voiture de Julien Coupat.
Autant de zones d’ombre qui pèsent sur l’instruction principale concernant les faits de sabotage que le juge d’instruction Thierry Fragnoli devrait boucler dans les prochains mois, après d’ultimes auditions.
Leur presse (Laurent Borredon, LeMonde.fr), 9 janvier 2012.