Environ 600 personnes ont défilé silencieusement samedi 7 janvier dans les rues de Clermont-Ferrand, en soutien à Wissan El-Yamni, un jeune Clermontois dans le coma depuis sa violente interpellation par la police dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2012.
Alors qu’une trentaine de voitures avaient brûlé au cours des nuits de jeudi et vendredi dans plusieurs quartiers populaires de Clermont-Ferrand, et que la famille de la victime n’a pas souhaité participer à la marche par crainte de débordements, celle-ci s’est déroulée dans le calme et sans incidents. « Ce soir pas de violence, aucune voiture brûlée, aucune vitre cassée », a rappelé à plusieurs reprises un des organisateurs, ami de la victime.
La veille au soir, le procureur de la République de Clermont-Ferrand, Gérard Davergne, avait annoncé l’ouverture d’une information judiciaire pour « coups et violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ». Les deux juges d’instruction nommés devront, selon lui, « déterminer les causes exactes de ce malaise cardiaque » et « si la force d’intervention des policiers a été nécessaire ou illégitime, compte tenu de l’état d’énervement extrême de cette personne ».
Après moins d’une semaine d’enquête des policiers de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), arrivés lundi 2 janvier de Lyon, le procureur a déclaré avoir « des présomptions suffisantes pour l’ouverture d’une information judiciaire », qui plus est visant nommément deux fonctionnaires, ceux de la brigade canine qui avaient escorté Wissan El-Yamni au commissariat après son interpellation.
Selon l’avocat de la famille de la victime, Me Jean-François Canis, et trois témoignages recueillis par Mediapart au quartier de La Gauthière, où a eu lieu l’interpellation, d’autres policiers seraient cependant impliqués. « La famille aurait aimé que l’enquête soit plus large puisque une dizaine de voitures de police étaient apparemment présentes sur les lieux de l’arrestation », explique Me Jean-François Canis.
Hospitalisé à l’hôpital d’Estaing, Wissan El-Yamni, 30 ans, est dans le coma depuis dimanche, après avoir fait un malaise cardiaque, apparemment dans la voiture l’amenant au commissariat. Selon le procureur, l’examen médical a révélé des fractures aux côtes, au visage ainsi que des lésions sur le cou. Les photos prises par la famille à l’hôpital montrent des marques rouges violacées encerclant le côté gauche de son cou, ainsi qu’un œil tuméfié.
D’après le procureur, l’analyse toxicologique a décélé « la présence dans l’organisme d’un mélange excitant d’alcool, de résine de cannabis et de cocaïne ». Ce qui n’explique en rien comment une simple interpellation s’est finie aux urgences. « On a l’impression que le parquet veut mettre en avant l’énervement de Wissan El-Yamni pour justifier une interpellation musclée », critique Me Canis. Le frère et la sœur de la victime comptent se porter partie civile dès lundi pour avoir accès au dossier.
Retour sur les faits. Selon La Montagne, « il est environ 2h30 du matin (la nuit du réveillon) quand, alertés via un coup de téléphone de la présence au sol d’un homme inanimé, policiers et sapeurs-pompiers arrivent au centre commercial de La Gauthière, un quartier Nord classé en zone urbaine sensible. Là nulle trace de blessé mais quatre jeunes sur un banc. » L’un d’eux, Wissan El-Yamni, qui réveillonnait sur le parking du centre commercial avec cinq ou six amis, aurait alors, selon deux d’entre eux, jeté une voire plusieurs pierres sur la vitre de la voiture de police.
« Ce soir-là, on était sept sur le parking autour d’une voiture pour la musique, raconte Samir, 34 ans. On a bu, il y avait du cannabis, mais à aucun moment on n’a vu Wissan prendre de la cocaïne. Nous faisions la fête, c’est tout. Je suis parti quand il a jeté la première pierre sur la voiture de flics, parce que je me suis dit que ça allait mal tourner. »
Alors que ses amis se dispersent à pied, Wissan El-Yamni, « pris en chasse par les policiers » selon Reda, 30 ans, un autre ami présent, passe derrière le centre commercial où il est rattrapé, interpellé et menotté dans le dos par des policiers. Un habitant d’une barre d’immeuble surplombant le lieu d’arrestation, qui réveillonnait chez lui avec un ami, affirme alors avoir été témoin, depuis sa fenêtre, d’un passage à tabac. Idriss (deux minutes 42) :
« J’étais à la fenêtre du salon avec un ami, tranquille pour le premier, explique Idriss, 27 ans. On a vu Wissan jeter des pierres à une première puis une deuxième voiture de police, puis se barrer en courant. Il est passé derrière notre bâtiment, donc on est allés à la fenêtre de la cuisine, de l’autre côté de l’immeuble, pour voir. On l’a vu couché sur le ventre, les menottes dans le dos avec une patrouille de police. On s’est dit c’est bon, il s’est fait attraper, encore un qui va commencer la nouvelle année en garde à vue. Sauf que suite à ça, nous avons vu une dizaine de voitures de police arriver, en une minute, dont quatre banalisées. Les policiers sont descendus, ils ont mis de la musique à fond, de la funk, et ont démuselé les deux chiens. Ils étaient chauds, ils ont fait un décompte « Trois-deux-un go » et ils lui ont mis des coups. Ils étaient tous autour de lui, donc je ne voyais pas qui a commencé et qui faisait quoi, mais c’étaient des coups de pied et coups de genoux, et des coups de coude quand ils l’ont soulevé. À ce moment-là, j’ai gueulé par la fenêtre : “Lâchez-le bande de batards”. Quand ils ont vu qu’il y avait des gens aux fenêtres — il y avait aussi des voisins — ils l’ont mis dans la Ford Mondéo blanche de la brigade canine et ils sont repartis. »
Une version contestée par le procureur, qui, selon Le Monde, ne confirme la présence que de trois véhicules au maximum.
Samir, déjà cité, dit pourtant avoir croisé « six voitures de police » alors qu’il s’éloignait du parking. Tandis que Reda, qui avait décidé de chercher Wissan après que ce dernier s’est fait courser, affirme être tombé « sur six à sept voitures de police » stationnées sur le lieu d’interpellation.
« Il y avait une Clio noir portes ouvertes avec de la funk à fond, une Ford Focus blanche et des voitures marquées police, les flics fumaient des clopes, ils étaient tranquilles comme s’il ne s’était rien passé, relate-t-il. Je leur ai demandé s’ils avaient vu mon ami, ils ne m’ont pas répondu. Je ne l’ai pas vu non plus dans les voitures, donc j’ai pensé qu’il n’était pas là. »
D’après Le Monde, Wissan El-Yamni aurait été maintenu allongé sur la banquette arrière du véhicule de la brigade canine pendant le trajet vers le commissariat. « Selon le procureur, lorsqu’il arrive au commissariat, M. El-Yamni a déjà perdu connaissance, poursuit le quotidien. Les policiers ne perçoivent pas immédiatement la gravité du malaise, qu’ils mettent sur le compte d’un contrecoup après son extrême agitation. »
Le dimanche matin lorsque Samir tente de joindre Wissan El-Yamni, il tombe sur sa messagerie et en conclut que ce dernier est en garde à vue. « On a appris le dimanche soir qu’il était en fait à l’hôpital, dit-il. Deux policiers en civil ont dit à sa femme qu’il avait été retrouvé inanimé au bord de la route. Du coup, quand on a voulu aller le voir à l’hôpital, sa famille a refusé parce qu’ils pensaient que c’étaient les gens du quartier qui l’avaient laissé dans cet état… »
Pour les habitants de La Gauthière, un quartier décrit par beaucoup comme tranquille, le choc est rude. « Nous aussi on a des enfants, remarque Saïda, 50 ans, une proche de la famille El-Yamni croisée dans la marche. Ça peut arriver à n’importe qui. Wissan est quelqu’un de très gentil, peut-être qu’il était soûl mais ce n’était pas une raison pour le tabasser. » Farid, 53 ans, président d’une association franco-algérienne qui a veillé au bon déroulement de la manifestation, demande, un peu solennel, « à Monsieur Guéant d’être juste et d’aller voir ce jeune à l’hôpital ».
Animateur dans une maison de quartier voisine de La Gauthière, Karim Srikah, 33 ans, tient à s’exprimer avant tout comme un « habitant qui est né, a grandi et a milité ici ».
« À la base, c’est une ville agréable où il fait bon vivre, les communautés s’entendent bien, il y a toujours eu un dialogue avec les jeunes, certes avec des hauts et des bas, mais les gens se sentaient en sécurité, explique-t-il. Et là on se retrouve avec des cars de CRS tous les soirs, des gyrophares, des voitures brûlées, sans doute d’autres jeunes interpellés et d’autres familles en souffrance. Pour nous les émeutes dans les banlieues parisiennes en 2005, Villiers-Le-Bel en 2007, c’était loin, comme une fiction. Le fait de le vivre devant chez soi, en plein milieu de l’Auvergne, ça choque vraiment les gens. Je n’avais jamais vu ça de ma vie, et je n’ai pas envie de le revoir. »
Cherif Bouzid, responsable d’un club de football et éducateur à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), décrit un « gamin qui n’a jamais eu de problème, issu d’une famille exemplaire, qui est complètement effondrée ». « Wissan est chauffeur-routier, actuellement sans travail emploi, marié et installé depuis cinq ans », précise-t-il.
Comme son frère Larbi, gardien à Clermont-Ferrand pour un bailleur social, il ne trouve aucune excuse aux policiers. « Une interpellation par des policiers professionnels et entraînés, même d’un individu soûl et violent, ça devrait finir en garde à vue, avec 24 heures en cellule de dégrisement et un défèrement, déclare Larbi Bouzid. Pas dans un état critique à l’hôpital. Les policiers étaient en surnombre, ils n’étaient à aucun moment en insécurité, on n’est pas à Paris, à Lyon ou à Marseille ! Pour moi, ils avaient envie de casser de l’arabe ce soir-là. »
Responsable d’un discount hallal, dans le centre commercial de La Gauthière, Ahmet Ozturk, 27 ans, a eu quelques vitrines cassées le soir du dimanche 1er janvier soir, comme le bar PMU voisin. Mais il comprend la colère des jeunes. « Ce jeune homme ne faisait de mal à personne. S’il meurt, que va-t-il se passer dans le quartier ? », redoute-t-il. De retour de la marche samedi, un hélicoptère survolait le quartier samedi soir, provoquant l’énervement de certains habitants. « Qu’est-ce qu’ils espèrent avec leur hélicoptère ? Il y a déjà assez de tension », s’agace Idriss, en désignant les jeunes regroupés devant les halls qui nous regardent passer.
Leur presse (Louise Fessard, Mediapart, 8 janvier 2012)
Commentaire choisi :
08/01/2012, 12:27 par speedoo
Bonjour je me suis promené hier après-midi dans Clermont, et il y régnait une ambiance « bizarre ».
Autour de la grande roue de Noël étaient stationnées une dizaine de voitures de police ainsi qu’un minibus de CRS.
Un peu plus loin, assis sous la statue du général Desaix, une petite dizaine d’indignés assis sur des cartons échangeaient avec les badeaux en repérage des soldes.
Des fouilles ciblées sur des jeunes qui attendaient sagement à l’arrêt du tram, place de Jaude.
Au fond de moi j’étais en colère ! J’ai sorti de ma poche un « Xanax » pour faire retomber le rythme cardiaque.
Tensions à Clermont-Ferrand : une demi-douzaine de personnes interpellées
Une demi-douzaine de personnes ont été interpellées pour des feux de véhicules dans la nuit de samedi à dimanche à Clermont-Ferrand, où règne une certaine tension depuis l’interpellation mouvementée lors du réveillon de la Saint-Sylvestre d’un homme, dans le coma depuis, a-t-on appris de source judiciaire.
Ces personnes, qui se trouvent en garde à vue, sont jeunes et font partie de petits groupes très mobiles dans des quartiers qu’ils connaissent bien, a-t-on précisé de source proche du dossier.
Une trentaine de véhicules ont été brûlés pendant la nuit, soit le double de la nuit précédente, a-t-on ajouté de même source. Interrogée par l’AFP, la préfecture n’a pas souhaité communiquer de bilan mais a reconnu qu’il y a « encore eu des incidents dans certains quartiers ».
Quelque 200 policiers, dont deux compagnies de CRS, avaient été déployés dans la ville samedi soir. Le dispositif, avec quatre unités mobiles, est reconduit pour la nuit de dimanche à lundi, a indiqué la préfecture. (…)
Leur presse (Agence Faut Payer, 8 janvier 2012)