[Notre-Dame-des-Landes] 35 ans après. Ni bagages ni élagage, dégage !

Paru en 1976, un bouquin analysait déjà les discours officiels et les embrouilles du projet d’aéroporte-à-côté.

Dégage ! s’adressait aux paysans. Aujourd’hui la vindicte se retourne. Contre Vinci. Les années 70, pour les technocrates, c’est l’ère des « grands équipements structurants ». Les élites locales rêvent d’usines de pétrochimie et de sidérurgie les pieds dans l’eau, accès direct à la Loire.

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L’estuaire sera grand complexe industriel ou ne sera pas. D’où l’indispensable : un grand aéroport pour drainer les investisseurs, qui ne viennent pas en mobylette, c’est connu. Les experts font de la divination économique, se projettent dans un futur radieux, extension euphorique des Trente glorieuses. Au point de prédire que l’hélico remplacera vite l’avion pour les liaisons à courte distance, ou que l’avenir est dans le ferry des airs, « transport aérien d’automobiles avec leurs passagers en provenance de Grande-Bretagne ». De telles élucubrations sont publiées en février 1966 dans un rapport de la chambre de commerce, cité huit ans plus tard par les auteurs du premier bouquin écrit sur ce projet alors nommé par les technocrates « aérodrome intercontinental ». S’en est fallu d’un rien pour qu’il soit intergalactique.

Dégage, amen !

C’était une autre époque, où l’on pouvait être engagé, même à Ouest-France. Roger Le Guen et Jean de Legge y travaillent alors, vacataire au service études et analyses et journaliste. Ils publient en 1976 Dégage, on aménage ! Extraits : « Pour les instances économiques locales, l’aéroport est une sorte de bouée de sauvetage magique permettant la relance de l’industrie de Basse-Loire ». Ou : « On a justifié le bien-fondé d’un aéroport international par un raisonnement plus magique qu’économique ; on a justifié sa nécessité par des perspectives de trafic complètement “bidon” ; on a justifié le site par un calcul “fumeux” ; enfin on justifie sa réalisation par des perspectives d’emplois alibi et une volonté régionale et populaire qui n’a jamais existé ». Voire : « Le rôle de ces nombreux discours est de faire croire qu’il s’agit d’appliquer un savoir scientifique ou d’améliorer la démocratie, alors qu’il s’agit de rationaliser à tout moment les besoins du patronat (…) En fonction du moment les études donnent les thèmes qui faciliteront les déplacements fructueux du capital et le contrôle social à mettre en place ».

Étu-terrorisme

À relire ça aujourd’hui pourtant, l’analyse du bouquin reste d’actualité. Les titres de chapitres donnent le ton : « Le terrorisme des études », évaluant par exemple les évolutions de trafic sur trente ans en extrapolant les chiffres de sept années précédentes. Ce qui permet de prédire entre 5 millions de passagers en l’an 2000 (dix ans après la réalité n’en compte que trois millions), poussant la prédiction à neuf millions en escomptant une progression de trois millons à 4 millions si Notre-Dame-des-Landes se réalise. C’est avec des experts aussi fiables et des chiffres aussi béton qu’on construit les cimetières des éléphants.

Republier aujourd’hui ce bouquin ? Les auteurs sont divisés. « Pourquoi pas, ça ferait partie d’un enrichissement du débat actuel, et la problématique n’a pas changé. L’actuel aéroport n’est toujours pas saturé, les politiques sont hypocrites et n’évoquent pas le boulet financier qu’il faudrait porter pendant des années, dit Roger Le Guen, aujourd’hui sociologue du développement agricole et rural à l’école d’agriculture d’Angers. Mon collègue Jean De Legge est lui, un peu gêné. Il dirige une société d’études qui travaille avec les villes concernées. Il a le cul entre deux chaises. » Cette société, Territoires-marchés-opinions régions, alias TMO, a effectivement comme clients les villes de Rennes et de Nantes, notamment pour alimenter la participation citoyenne dans les quartiers. Mais depuis janvier 2010, Jean de Legge est passé de l’autre côté, nommé doublement directeur de la communication, de la ville de Rennes et de Rennes Métropole. « J’ai aujourd’hui un boulot public un peu visible, et une position en retrait » dit-il. Ce bouquin fait partie d’une époque militante, avec les Paysans travailleurs. J’assume. Ce serait à refaire, les arguments ne changeraient pas mais la façon d’écrire serait différente. On constate que les prévisions de trafic se font toujours au doigt mouillé… » Cette mouillure digitale permet au moins de sentir d’où vient le vent. Toujours utile, pour lancer des avions en papier.

La Lettre à Lulu n° 73, juillet 2011.

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