Morgane Merteuil : « Je préfère être “escort” plutôt que travailler en usine »
Entretien avec la secrétaire générale du Syndicat du travail sexuel (Strass), mouvement créé en 2009 qui revendique 500 adhérents.
Comment définiriez-vous votre « travail » ? Je n’utilise pas le mot de « prostituée » : c’est un terme passif fondé sur un participe passé. Je dis plus volontiers que je suis une escort. Ou une « pute » : c’est une façon de se réapproprier un terme en général utilisé comme une insulte, de la même manière que les homosexuels se sont réapproprié le mot de « pédé ».
Je préfère être escort plutôt que travailler en usine quarante heures par semaine : je choisis mes horaires, je n’ai pas de patron, je gagne ma vie. L’important, c’est que cela reste un choix.
Les abolitionnistes affirment que la prostitution n’est jamais un choix. Qu’en pensez-vous ? C’est évidemment un choix « contraint » — on ne le fait sans doute pas uniquement par plaisir —, mais c’est le cas pour beaucoup d’autres métiers. Les personnes qui ont des journées extrêmement difficiles sur des chantiers ou dans la restauration diraient sans doute, elles aussi, qu’elles ont fait un choix contraint. Personne ne songerait à leur rétorquer, comme on le fait avec nous, que leur consentement ne vaut rien et qu’elles sont aliénées.
Les abolitionnistes — parfois des féministes ! — nous parlent comme si nous étions des enfants, alors que, pour moi, le féminisme, cela consiste à écouter la voix des femmes, sans porter de jugement moral et sans avoir d’a priori. Pour elles, il n’y a qu’un seul schéma d’émancipation, le leur. Et toutes celles qui ne rentrent pas dans ce schéma sont forcément aliénées. Pour moi, l’émancipation, cela consiste au contraire à vivre selon ses propres désirs.
Que répondez-vous à ceux qui disent que la prostitution est forcément une atteinte à la dignité ? C’est une forme de paternalisme très condescendant. C’est blessant, injurieux, méprisant, de s’entendre dire que ce métier est, par nature, un esclavage ou un asservissement. Il peut l’être, bien sûr, mais il ne l’est pas toujours. J’ai des amies qui ne pourraient pas faire ce que je fais, mais j’ai un rapport au corps qui me permet, moi, de le faire. Il faut respecter le ressenti de chacun, ne pas imposer aux autres sa propre vision des choses. Certaines personnes ne pourraient pas travailler dans un abattoir, d’autres auraient du mal à s’occuper de personnes âgées. Moi, ce que je trouve dégradant, c’est plutôt d’être trader ou huissier de justice. Les adhérents du Strass n’ont pas le sentiment de perdre leur dignité, ils veulent simplement qu’on cesse de les stigmatiser et qu’on leur reconnaisse des droits sociaux — la retraite et l’assurance-maladie par exemple. En pénalisant le client, on va au contraire marginaliser et précariser les travailleurs du sexe, qui auront de plus en plus de mal à imposer leurs conditions aux clients.
Le syndicat que vous dirigez parle de la prostitution comme d’un « travail sexuel ». Pourquoi ? La prostitution ne consiste pas à vendre ou même à louer son corps, comme le prétendent les abolitionnistes, tout simplement, parce que le client ne peut pas en faire ce qu’il veut. Le travailleur sexuel propose une prestation qu’il réalise avec son corps, mais il fait aussi travailler sa tête ! Il y a des choses qu’il accepte de faire, d’autres qu’il ne fait pas et, pendant la prestation, il garde à tout moment le contrôle de ce qui se passe.
Propos recueillis par Anne Chemin
Leur presse (Le Monde), 25 novembre 2011.
Dénoncer le paternalisme, la morale chrétienne, etc. c’est nécessaire et même très important. Alors pour ça, merci aux putes militantes. Ce combat nous concerne toutes.
Mais arrêtez de dire qu’il est anticapitaliste d’échanger son cul contre de l’argent.
Et même si votre combat tend à émanciper l’image de la pute, lui donner une légitimité (le droit pour la pétasse d’exister sans être réprimée), il l’entretient. Contente que vous ayez le droit de faire les pétasses, mais, si moi j’ai envie d’être ni mère, ni pute, ni femme ? où suis-je en tant que simple être humain – ou bout de vivant ?