Black Blocs, une violence manipulée ?
La mairie de Rome a interdit les manifestations pendant un mois en mettant en avant les violences de dimanche dernier provoquées par les Black Block. Nous les avons rencontrés. Ils expliquent le sens de leurs « actions directes » et leurs stratégies. La police italienne qui les surveille de très près ne fait pourtant rien pour prévenir les affrontements.
Ils ont la rage au ventre et veulent tout casser pour exprimer leur refus d’un système qui ne les représente pas. Et certainement pas, un pouvoir laminé par les scandales sexuels de Silvio Berlusconi et les affaires de corruptions dans lesquelles sont impliqués plusieurs parlementaires de droite comme de gauche. « Ils », ce sont les Black Blocs qui se sont invités au cortège des Indignés samedi dernier pour casser les vitrines de banques et de magasins et incendier des voitures. Bilan : 135 blessés, dont 105 policiers et des dégâts évalués à plus de 5 millions d’euros.
Qui sont les Black Blocs ?
« J’ai trente ans, je suis fille-mère, je n’ai pas de maison, pas d’argent et les institutions ne font rien pour moi et pour ma fille » dit A.
« La violence s’impose dans une société qui fusille notre avenir »
Le visage caché par une écharpe, les cheveux couverts par un capuchon noir, elle explique que samedi dernier, elle était aux cotés de ceux qui ont essayé de « casser du flic ». Et tant pis si les policiers sont, eux aussi, de pauvres gens avec un salaire de misère.
« Ils représentent le pouvoir, défendent ces institutions que nous répudions. Ils nous ont empêché de marcher sur le parlement pour crier notre colère et notre désespoir. »
L. a lui aussi une trentaine d’années, un diplôme d’économie en poche et un emploi précaire. Il est fils de bonne famille et samedi dernier, il a, comme A., jeté des pavés sur les carabiniers pour les faire reculer. Il va encore plus loin que A. et critique la façon dont les Indignés ont protesté samedi dernier.
« Cela n’a aucun sens de défiler calmement, les politiciens s’en foutent. Nos actions ne sont pas violentes par nature, nous nous défendons contre la violence des politiciens et de la société actuelle. Une société qui est train de fusiller notre avenir. La seule forme de protestation possible est la nôtre, tout casser pour faire prendre conscience que notre colère est profonde et brutale » explique L.
Les compagnons de A. et de L. sont issus de différentes classes sociales. Des jeunes précaires qui fréquentent les centres sociaux, des étudiants, des cinquantenaires fatigués de courber la tête sous le joug de la crise économique et financière. La bataille de Rome de samedi dernier, tous l’ont préparé pendant un an.
Un an pendant lequel, certains se sont entraînés dans les sous-bois de la Val de Susa au dessus de Turin, là où devrait passer le train à très grande vitesse. Pour bloquer la construction du réseau, les détracteurs de la grande vitesse organisent des manifestations ponctuelles auxquelles s’invitent aussi régulièrement les Blacks Blocs.
Plan de bataille et guérilla urbaine
« Cela nous sert d’entrainement pour la guérilla urbaine » confie un jeune black bloc romain. Un autre groupe fait la navette entre Rome et Athènes. En Grèce, leurs « camarades » leur ont appris que cette guérilla urbaine nécessite une organisation précise. La leçon a été retenue. Samedi dernier, les Black Blocs romains ont préparé leur plan de bataille dans les moindres détails. La veille de la manifestation, ils ont entreposé des frondes et autres cocktails Molotov dans un fourgon garé à côté de la place Saint Jean de Latran.« Cela nous sert d’entraînement pour la guérilla urbaine » confie un jeune black bloc romain. Un autre groupe fait la navette entre Rome et Athènes. En Grèce, leurs « camarades »
Puis, ils ont disséminés des sacs en plastique contenant ces armes artisanales le long du parcours. Enfin, ils ont ramassé des pavés, des bâtons, des massues et des pics pour démolir la chaussée dans un chantier. Pour mieux encercler la police, ils se sont partagés en deux grands bataillons et répartis en brigades. Une tactique militaire pour une opération militaire.
« Samedi, ce n’était que le début. Ils ne nous auront pas, nous continuerons à nous battre et nous serons toujours mieux organisés et plus nombreux » promet C.
Plusieurs fois par semaine, il rencontre ses compagnons, dont une jeune Française d’une trentaine d’années, dans un bar situé dans la périphérie de Rome. Cette jeune femme dont le nom circule dans le milieu, ferait partie des irréductibles. Du moins si l’on en croit les confidences d’un jeune black bloc romain. L’endroit est contrôlé par la police qui photographie toutes les personnes qui entrent et qui sortent. Mais bizarrement, les forces de l’ordre ne font rien de plus. Après les désordres de samedi dernier, l’endroit n’a pas été perquisitionné et les consommateurs de noir vêtus n’ont pas été cueillis à la tombée de la nuit alors qu’ils préparent de nouvelles actions.
« Cela sert le pouvoir »
La situation est d’ailleurs identique dans un « centre social » (espace culturel autogéré, NDLR) situé dans la périphérie romaine. Là encore, des agents déguisés en passants pour mieux se fondre dans le paysage, contrôlent les entrées et les sorties, prennent des photographies et des notes sur leurs calepins. Rien d’autre.
« Cela leur permet de manipuler la situation. En fait, ils les laissent faire comme cela les revendications des pacifistes passent à la trappe » analyse Paolo Fusco, étudiant en sociologie. Il explique que depuis samedi, la presse ne parle que des Black Blocs et des déclarations des autorités notamment du ministère de l’Intérieur.
« Du coup, personne n’a parlé des milliers et des milliers de personnes qui ont défilé dans les rues de Rome pour réclamer le changement de la politique économique et sociale. Cela sert le pouvoir » note Marcello Fusco.
Difficile de lui donner tort. Depuis trois jours, la presse italienne fait état des arrestations dans les milieux anarchistes, des lois spéciales, comme le « flagrant délit différé » que le ministère de l’Intérieur va introduire, du décret municipal adopté il y a deux jours pour interdire les manifestations dans le centre de Rome pendant un mois. Soit le temps pour les habitants de panser leurs plaies et pour la mairie, de faire le ménage dans Rome. Au milieu de tout ce bruit, on n’entend plus parler des Indignés.
En attendant les black blocs seront dimanche prochain dans le Piémont où une nouvelle manifestation sur le chantier de la ligne TGV Lyon-Turin est prévue.
Leur presse (Ariel Dumont, fr.MyEurop.info), 19 octobre 2011.