Or donc Charlie Hebdo brûle et c’est super grave. Plus grave que le funeste destin de la Baraka, le squat de la rue des Pyrénées, aux cendres pas encore froides et qui indiffère tant… C’est plus grave car s’attaquer à la presse, c’est le tabou des tabous, la tragédie des tragédies, quasiment crime contre l’humanité. C’est super grave, voire plus. Et ça ne se discute pas. Ah bon ?
« Un journal qui meurt, c’est un peu de liberté en plus. »
C’était en Une du dernier numéro de feu Le Plan B.
Derrière la provocation, cela posait une vraie question : les journaux sont-ils nos amis ?
La question est d’actualité. Regardez les médias depuis trois jours : l’incendie criminel dont Charlie Hebdo a été victime (oui, c’est mal : comme ça, c’est dit) fait l’ouverture des 20 h des chaines nationales et du 8 h d’Inter, permet de noircir de pleines pages dans les quotidiens. Et c’est l’union nationale au niveau politique pour condamner « l’acte ignoble ». Tout le monde vent debout pour défendre la liberté de la presse !
« Une » non corpo…
Je ne vais pas revenir sur la ligne politique et « l’impertinence » du journal « satirique » Charlie Hebdo. Et pourtant, ça me taraude de rappeler la haine des syndicats, les attaques contre AC ! et le « corporatisme des chômeurs », contre « le néo-pétainisme » des terroristes-épiciers de Tarnac et leurs toilettes sèches « symboles d’un obscurantisme radical » ou contre les partisans du « Non » au TCE comparés aux collabos de la Seconde Guerre mondiale. De rappeler les accusations d’antisémitisme et le sobriquet de « rouge-bruns » décerné à tout-va, l’éloge du bilan social de Jospin Premier ministre et de l’intervention au Kosovo, l’ode à la « liberté de ton » d’un dessinateur d’extrême-droite hollandais, le traitement très différencié des religions etc. Forcément, j’ai du mal à me retenir…
Mais ce n’est pas le sujet. Clairement, Charlie Hebdo n’est pas dans notre camp. À en croire une légende urbaine, depuis que Val a trouvé, sur France Inter, chaussure (à clous) à son pied, Charlie ne serait plus avec Charb ce qu’il a été. L’équipe de l’hebdo, après le départ volontaire de son timonier, aurait soudain vu la lumière et ce qui a été ne serait plus. Bof… Là n’est pas la question.
Charlie Hebdo n’est pas du tout le seul journal que quelqu’un essaie de faire taire.
La censure existe en France. En nombre, de petits journaux radicaux tombent tout les ans. Victimes de condamnations financières de l’État, du retrait de l’agrément postal (véritable liquidation économique à la discrétion de la Poste), du changement de règlement des messageries NMPP, des condamnations pour injures (l’info peut être juste mais, si elle est injurieuse, elle entraîne des condamnations), du préjudice économique (là, toute critique d’entreprise est impossible), de la guerre économique etc.
Mais là n’est pas la question non plus.
La question, c’est l’obligation de défense de la liberté inconditionnelle de la presse qui serait garante de notre démocratie. Obligation qui ne souffre aucune remise en cause.
Voila la grande question.
Crève !
Voilà qui pousse Olivier Besancenot, facteur de gauche, à pétitionner pour la survie de France Soir, quotidien qui vomit au gré de ses colonnes sa haine des fonctionnaires, des syndicats, des grèves.
Cela a pourtant été démontré à plusieurs reprises depuis décembre 1995 ou depuis la campagne du TCE : les médias mentent, c’est à dire qu’ils participent activement à la propagande libérale (la « pédagogie médiatique » [Visitez souvent le site d’Acrimed. C’est un ordre.]). Oui, pas tous, mais vu le nombre de journaux, et d’exemplaires de ces journaux, émissions radios, télé … les médias mentent dans une telle proportion qu’il devient superflu de préciser « en majorité ». Pour une poignée de titres et d’émissions respectables (Le Monde Diplo, Fakir, La-bas si j’y suis, FPP, La décroissance, Z, Article 11, CQFD etc.), c’est en flot continu que la pensée libérale se déverse par les multiples organes du même animal médiatique.
Je ne dis pas qu’il faut censurer, interdire.
Les actionnaires et les annonceurs le font très bien quand les journalistes, pour des questions de survie professionnelle, ne les ont devancés.
La censure ne se fait pas à base de cocktails molotov, mais avec du pognon.
Et ce n’est pas notre problématique. Nous n’en avons ni l’envie, ni les moyens (de cette censure ; faut suivre un peu, tout de même…).
Revenons-en à l’obligation de défendre les médias (en se frappant très fort la poitrine).
Nous disions donc que le « quatrième pouvoir » n’est pas un contre-pouvoir, mais un outil largement aux mains des ennemis de la justice sociale.
Y a-t-il un devoir de défendre des gens se trouvant dans l’autre camp [Pour les médias dans notre camp, il y a une bonne raison. Abonnez-vous.] ? Et surtout, en quoi cela s’imposerait-il comme plus grave, comme un devoir sacré, impératif pour tout démocrate ?
« Il n’y a qu’un dieu, c’est la Liberté-de-la-presse et les zotages Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière en sont les prophètes. »
Pourquoi ne parler des otages français à l’étranger que lorsqu’il y a des journalistes parmi eux (vous avez remarqué, à la fin du 20 h, il n’y a plus la pensée pour les zotages) ?
Pourquoi considérer qu’en temps de guerre, il serait plus grave de tuer un journaliste étranger que des civils locaux ?
Pourquoi l’incendie d’une rédaction serait plus dramatique que l’incendie du garage Renault d’Aulnay ou d’une maternelle à Épinay ?
Pourquoi s’attaquer à un journaliste est plus condamnable que de s’attaquer à un délégué syndical, pratique de plus en plus courante dans l’indifférence générale ?
Pourquoi l’incendie de Charlie serait-il plus important que l’incendie du squat de la rue des Pyrénées où résidaient 40 familles de Rroms ? Et ceci malgré un mort lors de cet incendie ? Et le fait qu’il fasse suite à plusieurs incendies criminels anti-rroms.
Pourquoi celui de Charlie est-il plus abominable ? [Une petite liste pour remettre les choses en contexte : À Paris un squatt de Rroms a été victime d’un incendie criminel en octobre ; À la Porte de la Villette, un campement de Rroms a été victime d’un incendie criminel en juillet ; À Orly un campement de Rroms a été victime d’un incendie criminel en avril ; À Ivry-sur-Seine un campement de Rroms a été victime d’un incendie criminel en février ; À Orly un campement de Rroms a été victime d’un incendie criminel en janvier (un autre) ; À Bobigny un campement de Rroms a été victime d’un incendie criminel en février ; Ça ne fait pas sens, ça, mon salaud ?]
Non. Ces questions ne se posent.
On les balaie du revers de la main en les taxant de nulles et non-avenues. De populistes et anti-démocratiques.
S’attaquer aux médias est PLUS grave car … les médias nous le disent. Tout comme les sondologues expliquent que les sondages prouvent que les sondages sont garants de la démocratie. Tout comme les enseignants enseignent que l’enseignement est vital.
M’est avis qu’une seule de ces proposition est juste.
Oui, foutre le feu à un local est criminel et dangereux. Ne serait-ce que pour les voisins. Mais brûler un local de journal n’est pas plus grave que de brûler un local syndical.
Il n’y a pas de devoir de se précipiter pour condamner le plus vite possible l’équipe de Charlie Hebdo ou les musulmans en général (suivant là où l’on voit des coupables [Qui a parlé d’arnaque aux assurances ?]).
Il n’y a pas là d’atteinte au sacré qui justifie mobilisation de tous les croyants.
Si ?
Mathieu Colloghan – Article 11, 4 novembre 2011.