Je suis une montagne de feu – Incendie de Pantin, ses morts, ses survivants.
Hier matin à 9 heures, les quelques éclopés de l’incendie du passage Roche, cheminent vers la mairie de Pantin. Une dizaine de personnes ont été hébergées hier soir dans les chambres d’un stade municipal. Les autres ont pris la fuite de crainte d’être arrêtés par la police. Béquilles trop petites et cassées, ligaments croisés qui exigeraient un repos total, ils arrivent à pied cahin-caha, sonnés. On se demande combien de blessés, combien de morts seront nécessaires pour provoquer l’onde de choc qui fasse bouger un peu les pouvoirs publics. Ce tableau digne de Bruegel est en vrai intolérable.
Hier soir nous sommes venus les écouter au stade, écouter l’horrible récit de ce qui s’est passé dans le squat. La plupart ont vu leurs amis mourir sous leurs yeux ou criant depuis l’intérieur alors que les pompiers tardaient à agir, jugeant peut-être la situation trop dangereuse pour entrer dans le bâtiment et sauver les vies. Aux Tunisiens qui étaient prêts à re-pénétrer dans les lieux car ils connaissaient les accès et pouvaient indiquer par où passer, il a été dit à plusieurs reprises : “ce sont les professionnels [En l’occurrence, les pompiers de Paris sont des militaires qui travaillent constamment avec la police] qui prennent les décisions”. L’immeuble n’a qu’un étage ; à trois mètres d’eux, ils ont fini par ne plus voir leurs amis, ni entendre leurs cris.
Ce sont les échappés qui ont évacué les premiers blessés alors que huit camions de pompiers étaient arrivés sur place. Ceux qui pouvaient faire le récit de ce qui s’est passé, ont été encadrés par la police, n’ont pas pu parler à la presse présente en masse pour la venue de Guéant et ont été emmenés puis interrogés des heures durant dans un commissariat.
Le rendez-vous à la mairie, le lendemain matin, consiste en un accueil individuel par des assistantes sociales suivi d’une réunion commune avec la directrice des assistantes sociales. Ils y vont seuls. Monsieur Bon, le mal nommé, directeur du cabinet de monsieur le maire Kern, qui hier, assurait sur place une vraie prise en charge de l’ensemble des personnes qui se trouvaient dans le squat, donne ses consignes de loin, ou ne répond plus au téléphone et n’estime même pas nécessaire de se déplacer. Ce qui est proposé aux rescapés, re-triés et sélectionnés… est digne de la politique du gouvernement actuel concernant les migrants : 30 euros quotidien par personne pendant trois jours et éventuellement la possibilité de rester dans le stade jusqu’à lundi ! À force de tragique la farce de la situation explose.
Un nouveau rendez-vous est donné à 15h30, pour donner deux trois vêtements et de nouveaux soins… Devant la mairie Jean-Jacques Briant, adjoint au maire, responsable de l’action sociale, est interpellé, à la colère des quelques personnes, citoyens, présents ici, est répondu un laconique « vous n’avez qu’à les prendre chez vous » et d’autres inepties. Les éclopés n’ont pas même un banc où s’asseoir. Un repas de midi, assis dans la cantine de la mairie toute proche ? Aucun élu ou employé de la mairie n’y pense, on ne mélange pas tout. Ainsi les compagnons d’infortune, pieds dans le sac, reviennent peu à peu vers le squat.
Sur la place un ouvrier né en Tunisie, algérien, vivant en France depuis 30 ans, se met à crier devant l’indécence de la proposition de la mairie, devant ces jeunes gens, ses fils à lui, fils de la révolution, mal traités, abandonnés par tous, il dit :
JE SUIS UNE MONTAGNE DE FEU
Je suis en colère, je ne veux plus les voir ces partis de droite ou de gauche !
Je suis un rebelle ! Ils nous marchent dessus !
J’ai travaillé trente ans pour la ville de Pantin !
J’ai balayé les rues pendant 30 ans !
J’y ai donné ma vie, ma santé !
30 euros pour nos fils !
30 euros pour se taire !!
RASSEMBLEMENT vendredi 30 septembre à 18 heures passage Roche Métro Hoche ligne 5 (…)
CIP-IDF, 30 septembre 2011.
Ce matin à l’aube, à Pantin
Ce matin à l’aube, à Pantin, 6 personnes sont mortes brûlées ou asphyxiées dans l’incendie du petit immeuble où, avec une vingtaine d’autres, elles s’étaient réfugiées depuis quelques semaines.
Ces 6 personnes seraient selon le préfet Lambert « des Tunisiens et des Égyptiens probablement en situation irrégulière », victimes selon Claude Guéant, qui s’est également rendu sur place, « des filières criminelles, qui rançonnent les candidats à l’immigration et qui après leur avoir fait miroiter l’espoir d’une vie meilleure, les laissent tomber et les laissent face à une vie d’errance et de malheur » [Rappelons à Guéant que ces réseaux criminels de passeurs n’existaient pas avant la mise en place des politiques visant à restreindre la liberté de circulation des pauvres].
Depuis le 1er septembre, la mairie de Paris n’héberge plus les migrants récemment arrivés de Tunisie, Égypte ou Lybie. Tous ceux qui grâce à la lutte, et notamment grâce aux occupations d’immeubles et bâtiments publics qui se sont succédées en mai et juin [Toutes les occupations de mai et juin (Bolivar, le gymnase de la rue Couronnes, le foyer AFTAM de la rue Bichat, Botzaris) avaient, il faut le rappeler, été évacuées et réprimées sur ordre ou avec l’aval de la mairie de Paris ou d’associations de gauche telle l’AFTAM dont le président d’honneur n’est autre que l’indigné jet set et sélectif, Stéphane Hessel], avaient réussi à obtenir pour quelques semaines des places d’hébergement dans des foyers ou hôtels sont retournés dormir là où ils le peuvent : à droite, à gauche dans des squares et des parcs, harcelés par la police municipale ou nationale, à droite à gauche dans des maisons ou bâtiments inoccupés qui foisonnent à Paris et en proche banlieue.
Comme le rappelait ce matin à Pantin un jeune Tunisien qui a réussi à échapper à l’incendie : « On n’est pas venu ici pour dormir dehors ». Quoi de plus logique et normal quand on n’a pas d’endroit où dormir que d’en réquisitionner un qui ne sert à personne ?
Le maire de Pantin, Bertrand Kern reconnaît cette légitimité aux habitants de l’immeuble, puisque selon ses propos : « C’est tragique ! C’est un drame de la misère humaine. Il s’agit de migrants récemment arrivés. Certains étaient chassés d’un square parisien, près de La Villette. Ils se sont introduits dans ce petit immeuble pour y dormir. »
En même temps, il annonce [On peut lire ses déclarations dégueulasses, largement diffusées dans la presse. Kern, le maire de Pantin qui paradait dans les lieux, est un habitué des expulsions, particulièrement acharné contre les Roms, avec la complicité d’Europe-écologie. Ce quartier, à deux pas de Paris, est en passe de devenir un petit paradis pour les classes moyennes, autour du siège d’Hermès (dont les ventes explosent sur le marché du luxe des pays « émergents »), après avoir dégagé les dernières classes populaires qui y restaient. Alibi : bien sur il y aura quelques logements « sociaux » et peut-être une crèche ou un truc comme ça.] qu’il comptait faire évacuer l’immeuble d’ici peu : « On allait saisir la préfecture pour demander son évacuation, mais le drame est arrivé plus vite ».
Comme si le drame n’était pas déjà là avant l’incendie. Comme si le drame ce n’était pas déjà de n’avoir rien d’autre à proposer pour ceux qui se disent de gauche que « évacuer, arrêter, enfermer, expulser, évacuer, arrêter, enfermer, expulser… »
Le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, a évoqué lui un « nouveau drame lié au manque de places en hébergement d’urgence, qui a mené ces personnes à se mettre à l’abri dans des locaux pas du tout faits pour ça… un drame de la misère, de l’immigration, de l’absence de solidarité de l’Europe avec un pays qui s’est battu pour plus de démocratie ».
Derrière les paroles de ce dernier que l’on pourrait juger sympathiques si on met de côté des années de politiques répressives en matière d’immigration et de coups tordus de la part du parti de Mr Bartolone, on peut se demander ce que cela signifie cette expression « le drame de l’immigration » ?
Oui des drames il y en a :
• des milliers de morts noyés en Méditerranée
• des milliers de gens emprisonnés, harcelés, battus, violés dans des centres de rétention, sur des bateaux, des prisons,ou dans des camps érigés avec l’argent et la bénédiction de l’Union européenne
• des gens qui dorment dehors, harcelés par les flics et autres charognards et qui pour manger n’ont d’autre solution que mendier, voler ou se soumettre aux diktats des professionnels de la charité.
Six hommes sont morts, d’autres ont été blessés, d’autres vont retourner vivre dehors. Ce n’est pas un drame de l’immigration mais un drame directement causé par les politiques de contrôle des flux migratoires. Ce n’est pas non plus un drame de la misère comme le dit aussi M. Bartolone, c’est juste l’un des visages de la misère.
Ces dernières semaines, à Montreuil et à Vincennes, plusieurs squats où vivaient, dans des conditions ni insalubres ni dangereuses des migrants qui en ont eu assez de dormir dehors, ont été expulsés. Il en reste quelques uns. Toujours plus prompts à construire des prisons et des centres de rétention que des logements, il est à craindre que les responsables politiques se saisissent opportunément de l’évènement pour faire « évacuer » ces squatts au plus vite. Comme d’habitude, ils diront que c’est dans l’intérêt des habitants.
Ce qui serait aussi dramatique c’est que face à cela nous soyons incapables de réagir, par épuisement, par résignation, par peur de la répression, de la misère… ou bernés par la chimère d’un changement qui ne pourrait intervenir que grâce aux prochaines élections.
16h56 : La police commence à s’agiter face aux personnes présentes en solidarité, merci de prévenir autour de vous, de passer, d’appeler à rejoindre le rassemblement à 18h devant les lieux, Metro Hoche, ligne 5, vers Bobigny.
Pantins
Comme vous avez sans doute lu ce matin, un squat a brûlé à Pantin, passage Roche, métro Hoche.
Dans ce local de trois quatre pièces avec un étage ouvert depuis plusieurs mois, déjà muré et sans eau ni électricité, vivaient une vingtaine de personnes. Principalement des Tunisiens venus de Lampedusa et quelques Égyptiens. Ce matin très tôt un incendie s’est déclaré, une bougie qui aurait embrasé un livre.
La police est arrivée très vite sur les lieux puisqu’elle était sur place lorsqu’un des habitants s’est échappé en sautant par la fenêtre de l’étage au-dessus.
Par contre il semble, selon ce garçon tunisien que je connais, que les pompiers ont vraiment tardé à arriver alors que la caserne la plus proche n’est qu’à quelques centaines de mètres.
Six personnes sont mortes de n’avoir pas pu s’échapper à temps, il y des barreaux aux fenêtres de l’étage en bas et une partie du plafond se serait effondré.
Quatre Tunisiens de la région de Tataouine et deux Égyptiens. Les corps sont évacués au fur et à mesure.
Ce secteur immobilier est en pleine restructuration, Hermès avance, à grands pas, les grues frôlent le passage Roche.
La parcelle où se trouve la maison qui a brûlée a été préemptée par la mairie de Pantin il y a trois ans. Un propriétaire qui possède des maisons à l’entrée du passage n’a pas encore cédé à la spéculation et selon la mairie cela bloque l’avancée des travaux sur le secteur. Le passage doit être détruit.
Le défilé a commencé par Guéant ce matin, se poursuit en ce moment avec les élus socialistes. C’est dégoûtant.
Il va de soi que ce qui arrive là, n’est que le résultat de la triste mécanique du pouvoir.
Évidemment pas de responsable, sinon l’autre, les socialos diront l’état, l’état dira les victimes elles–même. Validant sa politique du pire.
Et nous, serons trop dispersés pour répondre à la hauteur de cette infamie.
Oui, se jeter dans la mer pour rejoindre le pays ami, passer des mois dehors dans les jardins ou des maisons précaires, traités partout comme des chiens.
Et espérer quand même quelque chose dans ce foutu bourbier. Quelle barbarie.
Des gens passent sur place, des Tunisiens qui ont fait circuler le mot. Ceux de la maison du passage Roche faisaient sans doute partie de ceux qui dormirent un temps à la Cip, un temps à Bolivar, un temps au gymnase, un temps à Botzaris, un temps au foyer saint honoré, un temps dans une maison occupée rue Bichat, au squat du Bourdon, ou dans d’autres maisons occupées à Montreuil, à Vincennes… nous connaissons leurs visages.
Suis passée devant la coord en y allant. C’est beau comme un désert.
CIP-IDF, 28 septembre 2011.
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