La justice française refuse d’extrader une militante basque

 

Le 15 septembre, le tribunal de grande instance de Bordeaux a refusé l’extradition de Marixol Iparraguire, militante d’ETA arrêtée en 2004 et menacée par quatre mandats d’arrêts européens émis par un juge espagnol. La cour européenne des droits de l’homme exigeait sa remise en liberté. Le 13 septembre, Jean-Marc Raynaud, militant de la Fédération anarchiste, assistait aux débats. Il nous livre un intéressant compte rendu d’audience. Pas vu à la télé !

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1316404834.pngRésumé des épisodes précédents. Marixol Iparraguire, militante d’ETA, a été arrêtée en France en octobre 2004. La cour européenne de justice exige la remise en liberté d’un présumé innocent non jugé au bout de cinq ans. Marixol a été jugée en décembre 2010, soit six ans après avoir été arrêtée. La France préfère payer des amendes à l’Europe. Marixol a pris vingt ans. On lui reprochait beaucoup de choses en Espagne. Mais le dossier était vide. Pas d’empreintes digitales. Pas de trace ADN. Pas de témoignage direct. Juste des aveux extorqués sous la torture par la Guardia Civil à des prisonniers basques. La justice française savait et s’est couchée. Marixol a fait appel. D’un point de vue juridique, cet appel suspend toute autre procédure. D’extradition, entre autre. On apprend cela en première année de droit. Mais l’Europe de la répression marche beaucoup mieux que l’Europe sociale et a trouvé une astuce. On n’extrade plus, on « prête temporairement ». Marixol, la maman d’un petit Basque que nous avons scolarisé (à l’école libertaire Bonaventure) et que nous avons hébergé (chez nous) pendant trois ans comparaissait mardi 13 septembre 2011 devant le TGI de Bordeaux. Motif : mandat d’arrêt européen, pour « prêt temporaire », émis par l’Espagne du « camarade » José Luis Rodríguez Zapatero.

Bordeaux, mardi 13 septembre 2011, 11h15, Tribunal de Grande Instance. Escaliers majestueux. Un soleil de plomb. Bizarre. Pas un rat. Nous montons les marches, rongés par l’inquiétude. Ces enfoirés sont capables d’avoir changé la date du procès au dernier moment. À l’entrée, deux flics débonnaires devant un portique antédiluvien. Même pas de scanner. On aurait pu rentrer n’importe quoi. On est à la campagne et dans le sud ? Ça cause pointu. Comme on dit à Bordeaux : « C’est bonnard ! »

On rentre. Trois Charentais. Thyde et sa grande gueule légendaire. En à peine dix secondes elle commence à embrouiller une vingtaine de flics qui stationnent dans le hall. Marco, 75 ans, a le cœur qui bat la chamade. Ma pomme, pas très rassuré, dans son numéro bien rôdé de vieux péquenot ne comprenant rien à rien. C’est pas dieu possible que nous ne soyons que trois !

Ouf, les amis basques et la famille débarquent à une trentaine. Il y a le père de Marixol. Quatre vingt et quelques au compteur. Un mètre quatre vingt dix. Son kolossal béret (basque). Sa canne. Papy est impressionnant. Annie, de Jakiléa (un formidable journal de défense des droits de l’homme au pays Basque). Putain qu’elle est belle. Et quelle pêche. Mon pote Mikel, libéré depuis quelques mois, un anar d’ETA (et oui !) que j’adorais visiter au bagne de l’île de Ré, n’est pas là. Il bosse. Mais sa princesse est présente. La petite…, toute chétive dans sa robe blanche, exhale une énergie à nulle autre pareille. Le grand…, est descendu de sa montagne. Un roc. Et puis, il y a…

11h30, début de l’audience. Les flics, un peu tendus, nous expliquent où il faut s’asseoir. Des fois que… Marixol entre dans l’arène. Elle a les traits tirés. Elle arrive de Lyon. Elle n’a pas un regard pour les juges. Quelques bisous à la volée. Elle nous salue en basque. La salle répond. Le président commence à flipper. On le sent impressionné. Pas habitué à ce que…

Le président ânonne la demande d’extradition temporaire de l’Espagne. Il précise que son boulot se résume à examiner la lettre du droit. Moi y en a surtout pas vouloir élever le débat. On sent le gentil chien. La petite journaliste de l’AFP sourit. Ça ne sent pas bon. Et puis, la parole est à l’avocat général. Une toute petite quarantaine. Il n’a pas l’air aviné et, incroyable, se montre attentif. Ça dure dix minutes. Il refuse, mais très poliment et très modérément, tous les arguments de la défense. Sauf un. Il dit qu’effectivement, si Marixol est extradée, même temporairement, cela va gêner l’organisation de sa défense dans le cas de l’appel qu’elle a fait par rapport à sa condamnation à vingt ans par la cour d’assises anti terroriste de Paris. C’est évident, quand on est extradé et torturé en Espagne, ça n’aide guère à… Le proc est un malin. Il demande donc que l’on n’accède pas à cette demande de l’Espagne tant que la procédure n’aura pas été à son terme en France. Un blanc chez les juges. C’est quoi ce proc ? Mais c’est lui le chef. Alors courage prudence.

Ensuite, une plaidoirie remarquable d’une petite avocate inaudible. Puis vient le tour de Marixol. D’une voix forte elle remet les compteurs à zéro. Je m’appelle Marixol Iparraguire. Il y a trente ans, j’avais vingt ans. Mon compagnon était d’ETA. Il a été tué sous mes yeux. J’ai été torturée pendant onze jours. Ma famille a été torturée. Il y avait trop de traces. J’ai été relâchée. Je me suis enfui en France. Pour l’heure, les seules accusations à mon encontre reposent sur des aveux extorqués sous la torture. La torture existe toujours en Espagne. Vous ne pourrez pas l’ignorer éternellement.

Ça dure un quart d’heure. C’est incroyable. Le proc, les juges, boivent les paroles de Marixol. Ils se décomposent au fil de son témoignage. Je me mords la langue et les joues pour ne pas pleurer. Le président semble ébranlé. Il remet son jugement à jeudi. Une fois n’est pas coutume, je ne suis pas pessimiste. J’ai raison. Le jugement vient de tomber. Marixol ne sera pas extradée. Il est donc encore quelques magistrats qui, à défaut de suivre le chemin de l’honneur, refusent du moins, parfois, de suivre celui du déshonneur.

Paco – Le Post, 17 septembre 2011.

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