Sortir du ghetto doré de la subversion

 

Ce texte se veut une ébauche critique de nos pratiques dites « subversives ». Il vise à être critiqué à son tour, et sans concessions, mais par une argumentation construite. Son but est de participer à la transformation des capacités d’intervention pour une implantation sociale de nos idées et de nos pratiques dans la société réelle. La priorité politique des milieux subversifs pour la période 2011-2012 est de sortir du ghetto. Ou mourir isolés.

Communautés de survie, libéralisme, sortir du ghetto doré de la subversion

Il existe un archipel autonome, constitué de communautés de survie sur tout le territoire national, mais ayant échoué jusqu’à présent à se constituer en communautés politiques, de dimension nationale et internationale. Certes, partout des initiatives existent pour tenter de s’arracher aux rapports sociaux capitalistes mais partout ces initiatives échouent car elles restent, dans l’ensemble, tactiquement et stratégiquement isolées les unes des autres ou ne parviennent pas à fédérer leurs forces et leur intelligence pour dépasser le stade de la survie. Les pratiques qu’elles développent en leur sein ne leur procurent pas ce niveau d’intelligence pratique. C’est qu’elles n’existent localement que comme modes de vie communautaires tout en ne parvenant pas à réellement peser dans les antagonismes sociaux locaux.

Peser dans les antagonismes sociaux, c’est être en mesure de modifier le sens de la lutte de classes traditionnelle, qui est aussi un dispositif d’intégration par le capital des contradictions sociales, c’est être en position de pouvoir promouvoir socialement, pendant et après les luttes, la perspective révolutionnaire, anarchiste et communiste. Se joindre à une lutte en cours mais refuser idéologiquement d’intervenir sur les luttes de pouvoir qui déterminent son cours, n’est d’aucune utilité à l’accroissement de l’autonomie prolétarienne.

La réappropriation collective du politique, le communisme, est l’élévation du niveau qualitatif de chaque individu, la suppression des conditions de leur individualisation, dans le cours même de la lutte. C’est un accroissement de l’intelligence collective qui passe par une vision toujours plus nette des mécanismes de reproduction des rapports de domination, une vision qui ne se contente pas d’une idéologie anti-bureaucratique et anti-parti mais qui repose sur une pratique supérieure, révolutionnaire, des rapports de pouvoir, sur une réappropriation collective du pouvoir. La réappropriation collective du politique est une mise en commun du pouvoir social qui attaque toutes les formes de privatisation existantes.

Peser dans les antagonismes sociaux ne consiste donc pas à s’extraire des rapports de pouvoir, attitude angélique et aveu d’impuissance, mais bien plutôt à les assumer pour être en mesure de les affronter, dans toute leur complexité. En effet, nous ne luttons pas pour perdre du pouvoir sur nos vies mais pour en gagner.

Le maintien du ghetto, lui, n’est qu’une stagnation collective dans l’illusion, largement partagée, que les libertés existantes, les libertés concédées par le droit bourgeois, sont de bonnes libertés qui méritent d’être préservées contre tout changement.

Mais de telles libertés ne font que participer à l’individualisation de notre pouvoir social collectif ; elles portent atteinte à la construction de réelles communautés politiques.

Ces libertés existantes, qui ont été arrachées par les générations précédentes, sont le lit de Procuste des camarades, qui s’en contentent bien et sont encore à mille lieux d’en construire de supérieures et de meilleures.

Tous les milieux marginaux ont historiquement démontré leur nullité politique, le caractère petit-bourgeois de leurs modes de vie, leur contribution effective à l’atomisation généralisée ; finalement leur fonction de maintien de l’ordre, de régulateurs des conflits sociaux.

Mais il existe encore des camarades pour croire que l’expérience de la marginalité est une conquête de la liberté, un préalable à l’émancipation sociale de leur être, alors qu’elle n’est que le résultat du libéralisme hégémonique, socialement et culturellement diffus.

L’émeute est vécue comme d’autres pratiquent le saut à l’élastique pour ressentir des sensations fortes. La guerre sociale se privatise, l’ennemi de classe a gagné.

On s’illusionnera volontiers sur la puissance sociale de certaines pratiques, spectaculaires, d’autant plus si ce qui nous importe fondamentalement n’est pas de vaincre l’ennemi mais de vivre des expériences, comme des touristes.

Ainsi, on fait mine de pouvoir mener une guerre en additionnant les tares et les faiblesses individuelles au lieu de chercher à produire des qualités collectives, des qualités solides et non liquides, libérales.

Ainsi, on refuse de mettre en place des pratiques de réappropriation collective de la violence, et des pratiques de réappropriation collective de l’intelligence théorique, tactique et stratégique.

Mais l’on persiste à vanter les mérites de pratiques privées, confidentielles, individuelles, enfermées et séparées les unes des autres.

Que l’on nous explique quel intérêt pouvons-nous trouver à cultiver notre intelligence, pratique et théorique de la réalité, dans l’isolement social : c’est le point de vue libéral, capitaliste : do it yourself.

Il est donc stupide de fustiger le travail intellectuel séparé quand on refuse obstinément de formaliser les moyens collectifs de création de l’intellectuel collectif.

Comme il est tout autant stupide de blâmer la spécialisation politique et militante quand une majorité refuse d’instaurer des formes d’apprentissage collectives de l’action politique et militante.

La domination bourgeoise des modes de diffusion et de partage des savoirs et des techniques est individualisée, confidentielle et privée par besoin vital. La communisation des savoirs et des techniques est collective et publique par besoin vital.

La conception consumériste, libérale, des activités, voit comme une liberté valable de pouvoir choisir ce qu’il nous plaît, ce dont nous aurions besoin, quand nous le voulons et le décidons, et ceci jusque dans les obligations que nous impose toute guerre.

La prétendue guerre sociale que mèneraient les milieux autonomes consiste en fait pour l’essentiel à conserver des modes de vies, à conserver les acquis du libéralisme politique et social. Ni plus ni moins. La dégénérescence dans l’apolitisme, le copinage et l’idéologie, font que des décennies de luttes défensives passent maintenant aux yeux des jeunes générations pour des pratiques offensives. On vit alors sur le pays, au lieu de produire des moyens adaptés aux nouvelles conditions de luttes. Au lieu de porter le message au-delà du ghetto, on cultive un quant-à-soi mortifère et familialiste. Ainsi, il existe des communautés de survie, des communauté de l’estomac, mais pas de communauté de pensée, de communautés politiques.

C’est à qui aura le pognon et les relations pour s’instruire, voyager, vivre des expériences « émancipatrices ». Ce sont des milieux entièrement adaptés aux besoin d’un certain type de consommateurs, des consommateurs contestataires, marginaux, prétendument « subversifs », et issus majoritairement des classes aisées.

Et qui prennent leur confort affectif et social pour des libertés estimables. Que le monde entier devrait défendre.

Ultime privilège : ce sont aussi des consommateurs qui n’ont aucune obligation de résultats en matière de guerre sociale. La vérification collective des hypothèses, leur réfutation éventuelle est toujours évitée.

Il ne faut pas désespérer les bonnes volontés ! Il est vrai que l’auto-critique n’est possible que dans les conditions d’une grande santé ! Tout organisme faible et dégénéré ne supporte pas l’auto-critique. Nos « subversifs » en sont là !

Plutôt vivre dans l’illusion d’une efficacité pratique que de réviser collectivement des critères miraculeusement préservés de toute critique.

La procédure collective de vérification des pratiques est pourtant le seul accès de tous à la connaissance des résultats, la condition même d’un accroissement de l’intelligence pratique collective.

Il existe des moyens, qui ont structuré, organisé, distingué, spécifié les savoirs collectifs des luttes et des pratiques de luttes : écoles, cercles de formation, tous publics, ouverts aux prolétaires, implantés dans toutes les strates de la société et pas seulement dans les universités et les librairies de gauche. Lieux de regroupements collectifs, structures fédératives nationales et internationales. Revues théoriques, critique culturelle, activités sociales de politisation au plus près des besoins des prolétaires.

Nos milieux sont-ils capables de se doter de tels moyens ? Non. C’est qu’à force d’isolement social et politique, d’enfermement dans des modes de vie marginaux, ils manquent maintenant de ressources.

Seule une implantation sociale conséquente dans les classes sociales prolétariennes permettrait cet apport de ressources et d’intelligence sociale.

Mais nos « subversifs » tiennent-ils réellement à sortir du ghetto ?

Il ne suffit donc plus de faire usage des moyens existants, « libre à chacun », « selon les goûts de chacun », pour « faire quelque chose », quelque chose de réellement offensif.

En effet. Il ne suffit pas de « faire » comme ils disent, pour « faire quelque chose ». Encore faut-il construire une perspective d’ensemble, comparer les avancées et les reculs, les succès et les échecs, la progression ou la régression territoriale d’une pratique, d’un antagonisme social.

La « pratique » constitue, à son tour, une expérience. De cette expérience, on tire des enseignements. Une « pratique », dont on ne tire aucun enseignement, est une mauvaise pratique, une pratique débile pour débiles.

En outre, la pratique doit être comparée, critiquée, améliorée. Encore faut-il en avoir les moyens.

La théorisation de la pratique est donc une pratique elle-même vitale… pour toute pratique qui recherche l’efficacité !

Mais tout cela, sans doute, passe au-dessus de la tête de nos camarades, qui se contentent de « faire pour faire », comme d’autres pratiquaient « l’art pour l’art ».

C’est ici qu’il faut interroger le sens réel des pratiques du « faire pour faire » : quel résultat y est réellement recherché : une satisfaction immédiate et narcissique, isolée et subjective, ou un accroissement de puissance collectif, perceptible dans les rapports sociaux quotidiens ?

Les camarades les plus conséquents savent que l’isolement est mortel. Cela, la pratique contre-insurrectionnelle ne cesse de le mettre en avant. Couper les subversifs de la population, les isoler, et enfin les « nettoyer » : telle est la manœuvre, le savoir-faire de la contre-révolution.

On comprend mieux pourquoi nos marginaux sont des rigolos, que leurs prétendus modes de vie ne sont que des objets de consommation.

Tous les moyens employés doivent donc avoir pour but de rompre impérativement l’isolement de nos pratiques et de nos idées.

On mesurera l’efficacité réelle de nos pratiques à l’aune de leurs résultats en ce sens. C’est l’objectif que doivent commencer à poursuivre les camarades pour la période 2011-2012. Avec obligation de résultats, positifs.

Il ne s’agit pas seulement de faire connaître les « idées » anarchistes et communistes, comme le croient les habituels crétins d’une pratique pavlovienne et fossilisée. Il ne s’agit pas de nous adresser aux gens « instruits ». Mais de populariser, socialement, dans les quartiers populaires, dans les cités dortoirs, le communisme et l’anarchisme.

Comment ?

En tirant parti des contradictions sociales locales. Elles ne manquent pas. Ou alors la pseudo-radicalité française végètera dans le milieu social réactionnaire des petits propriétaires, des petits commerçants, des intellectuels d’État, des étudiants, bref des héritiers fragilisés par la crise actuelle du capitalisme. Ce qui revient à se soumettre au nationalisme de type soralien dans les quartiers populaires.

Il faut démontrer partout dans la société en quoi l’anarchisme et le communisme sont des pratiques sociales supérieures au capitalisme, et pourquoi ils peuvent être des moyens d’émancipation réelle pour tous les prolétaires actuellement individualisés.

Ici encore, ce ne sont pas les modes de vies marginaux et communautaires qui peuvent servir d’exemples concrets. Faire de la propagande consiste donc à diffuser nos pratiques et nos idées en réseaux toujours plus vastes et ramifiés, avec une qualité de contenus toujours vérifiable, la richesse des productions théoriques doit toujours être plus haute, plus évidente. La subversion doit bousculer, brutaliser, contraindre, convaincre toutes les sphères de la société.

Il faudra se battre physiquement dans les quartiers populaires pour faire respecter nos idées et nos pratiques. Tout ne passera pas par des projections-débats pacifiques et des émeutes communes. Il faudra aussi se battre pied à pied contre les caïds de la drogue et de la religion. Bref, agir en combattants. Et non attendre que cela tombe tout cuit dans nos gosiers.

Si on persiste dans le soi-disant usage libéré des moyens, sans produire de nouveaux moyens adaptés à la situation nationale et internationale, les moyens ne resteront que de simples supports identitaires, donc ridicules car essentiellement destinés à un public de consommateurs de classe moyenne. Et l’écart entre ce que nous voulons construire et ce que nous construisons effectivement, persistera.

Certains posent en vétérans de la subversion car ils ont tellement individualisé leur propre pratique que les satisfactions narcissiques qu’ils en tirent leur suffisent. Mais ils ne sont pas parvenus à rompre leur isolement et leur nullité historique est de plus en plus avérée.

Par conséquent, l’usage libéral, individualisé, tel qu’il existe spontanément parmi nous, c’est-à-dire, le conditionnement immédiat qui impulse les pratiques individuelles, ne tient pas compte de l’évolution sociale des rapports de forces, du degré de violence en jeu et trouve son origine dans un tout autre besoin que l’efficacité : la satisfaction de type narcissique, l’assouvissement d’un besoin moral et psychologique, non l’obtention collective de nouvelles conditions tactiques et stratégiques.

En d’autres termes, certaines pratiques dans certaines conditions, sont inadéquates à nous faire sortir du ghetto, à élargir notre base sociale, à populariser l’anarchisme et le communisme dans les mondes sociaux prolétaires. Elles ne sont que des variantes comportementales d’un libéralisme exacerbé, quel que soit par ailleurs leurs contenus idéologiques, leurs prétentions subversives.

Il existe, certes, des individus qui ne tiennent pas à « populariser » l’anarchisme et le communisme, qui, de facto, en deviennent les propriétaires, qui vivotent de petits sabotages en cercles affinitaires. Mais ceux-là ne sont que la survivance d’une tradition bien française qui ne surmontera pas les conditions de l’époque présente, une survivance qui est déjà en voie de disparition. C’est aussi ce qui guette toute pratique qui ne parvient pas à rompre son isolement social.

L’époque présente impose au contraire une rationalisation des pratiques collectives, une coordination politique de type nationale pour vaincre l’atomisation.

Tenir réellement compte de l’évolution sociale des rapports de force c’est faire de la sortie du ghetto une priorité. Car plus les conditions sociales se radicalisent, plus l’atomisation fait des ravages, y compris dans nos milieux. Seuls ceux qui ont fait de ces milieux un bac à sable touristique d’expérimentation ludique prendront cette question à la légère. Comme d’habitude.

Quant à ceux qui ont à cœur de vouloir sortir du ghetto, qu’ils ne croient pas abusivement que la discussion interminable est une solution. Il faut aussi savoir prendre des décisions et s’y tenir.

Savoirs collectifs, intellectuel collectif, politisation interne du mouvement

Il est certes plus facile de faire des chantiers, du bricolage et des concerts de soutien que de créer nos lieux de formations permettant une circulation collective du savoir.

L’anti-intellectualisme, très présent dans nos milieux, est un reste d’idéologie populiste bourgeoise, le résidu d’une entreprise de décervelage systématique des prolétaires au nom d’un réalisme social qui n’est qu’une apologie masquée de la condition prolétarienne.

Or, la suppression du prolétariat est le but de toute révolution. En d’autres termes toutes les formes apologétiques de la misère existante, prolétarienne ou non, sont à combattre comme mythes sociaux au service du maintien de la société divisée en classes.

Nous n’avons pas à promouvoir l’ignorance et le manque d’instruction dans nos rangs mais encore moins chez les pauvres. Il n’y aucune fierté à tirer d’une carence. La communisation permet à tous l’instruction.

Mais chez nos « subversifs » expérimentés, il paraît que moins on étudie les théories existantes ou moins on est capable d’exprimer une position théorique et politique, plus on est engagé dans des pratiques intelligentes.

La pratique réelle démontre au contraire que moins l’on dispose d’instruments d’analyse des pratiques, moins on en fait usage, plus les pratiques se figent en activités séparées, deviennent des fins en soi, et finissent par s’imposer comme des attributs identitaires totalement déconnectés des besoins réels d’un mouvement subversif.

Il ne suffit pas de savoir construire une maison, encore faut-il savoir l’habiter.

L’anti-intellectualisme n’est qu’une justification esthétique de la division sociale du travail, en travail manuel et travail intellectuel. Les plus débiles d’entre nous reprennent et justifient cette division quand ils ne veulent pas « se prendre la tête ».

Dans la même veine populiste droitière, on faisait autrefois l’apologie du bon sens ouvrier ; comme aujourd’hui on exalte le spontanéisme des « classes dangereuses », spectaculairement offensif. Mais le spontanéisme, comme toute chose, à un prix. Et ce ne sont pas nos révolutionnaires de classe moyenne qui en paient le prix fort.

Toujours dans la même veine, on en vient même, chez les consommateurs contestataires de classe moyenne, à encenser l’illettrisme, stigmate d’une authenticité populaire. On s’habille en clochard pour faire peuple, on parle peuple. La comédie est bien rodée et dure le temps d’une prolongation de l’adolescence.

On se garde bien d’exister socialement dans les quartiers populaires mais on écoute du rap, la musique de la révolte urbaine. Et dès qu’on voit une bande de rue, on tremble.

Comme il est facile d’être « anarchistes », « communistes », « subversifs », « émeutistes », « féministes », « anti-racistes », etc., entre gens d’une même classe, de même condition sociale !

Dans un autre registre, celui de la pensée : on fustige la pensée universitaire, on se croit plus proche du « concret », on est pas des « intellos », on prétend développer une pensée collective autonome en publiant des textes et des brochures qui ne dépassent généralement pas le niveau du gauchisme le plus éculé, on ne crée rien de neuf mais on puise dans les archives du mouvement ; on publie brochures et textes dont personne, ou presque, n’a rien à en dire de vraiment substantiel.

On prétend diffuser une « pensée » tellement autonome que les individus restent livrés à eux-mêmes, ne disposent d’aucun instrument d’analyse des pratiques, n’ont quasiment, au cours de réunions éprouvantes de connerie, rien à dire, sinon leur propre dépit, ou leur inconfort face à un mode de communication qu’ils jugent oppressant.

On s’en remet donc, aux conditions existantes d’accès au savoir. Ces conditions sont précisément celles du capitalisme, du savoir séparé, émietté. Certains, plus audacieux, affirment se satisfaire de leur expérience partielle et séparée pour lutter. Toute cette merde libérale contamine nos milieux, et nos pratiques.

Il n’est pas difficile de deviner ce qui nous attend, dans une société ultra-violente, où le combat politique va de plus en plus s’apparenter à une lutte à mort entre capitalisme libéral et capitalisme autoritaire.

Chaque année, chaque mois, nous avons les preuves physiques, matérielles, sociales, de notre écrasement parce que nous ne sommes pas parvenus à sortir de notre isolement.

À moins de s’en remettre, tactiquement et stratégiquement, à l’insurrection des classes moyennes, insurrection réactionnaire, de défense des acquis de la petite-bourgeoisie française, de la petite propriété et du petit commerce. À moins que nous fondions nos espoirs sur cette insurrection de défense des rapports capitalistes nationaux, comme une occasion d’exister en tant qu’animateurs de radicalité dans les rues des métropoles, et tout cela, au profit de la gauche et de son retour au pouvoir. Au nom de l’anti-sarkozysme.

C’est, d’après certains camarades, ce qui devrait nous servir de « politique ».

Palabre et parole directe

Alors voilà donc le résultat le plus éminemment « concret », apparent, de cette pratique de l’intelligence collective qui sévit chez nos révolutionnaires, à quoi servent réellement les publications : les forts en gueules monopolisent la parole dans les réunions, oppressent ainsi d’autres autonomes dont l’autonomie consiste à revendiquer une distribution plus équitable de la parole.

Plutôt que de formuler des contenus, la misérable culture sous-politique s’attardera sur la forme de la communication, au nom du droit de tous à la parole.

Ainsi, on a pu assister des centaines de fois à de ces spectacles où des pleurnichards se plaignent d’être privés des moyens de s’exprimer… et qui n’avaient rien à dire sur l’objet de la réunion !

Poursuivons. Des gens qui bénéficient de moyens de se cultiver supérieurs à tout ce que peuvent espérer la majorité des prolétaires, qui ont fait des études, qui savent lire et écrire, qui consomment régulièrement de la littérature, qui « voyagent », qui publient et diffusent des textes, qui prétendent mener la critique en acte de la société capitaliste, eh bien ces gens… se disent privés des moyens de s’exprimer et n’ont rien à dire !

La réunion, l’assemblée, la palabre, quel que soit son nom, est le lieu par excellence du conflit social, de la politisation la plus consciente, de la prise directe de tous sur les conditions de l’organisation sociale. Et nos pleurnichards attendent qu’on leur serve sur un plateau d’argent cette liberté d’expression ! Et ils s’étalent en ragots, en cancans, dans leur petits comités.

C’est qu’en fait, ces gens n’ont fondamentalement rien à dire en public, qu’ils méprisent l’intelligence collective, qu’ils privilégient les formes réduites, familialistes, étouffantes, de mise en commun de la parole : la bande.

C’est dans la bande qu’ils pourront dominer, profiter, tirer jouissance des ressources individuelles et affectives forcément partielles, limitées, isolées, voire paumées. Sous le contrôle du collectif, de tels individus sont neutralisés.

La manipulation de type privée peut être contre-carrée publiquement ; elle l’est rarement dans les groupes restreints, où l’affectif, le fantasme, le narcissisme font la loi.

Voilà en quoi consiste la liberté de parole de ceux qui se disent privés de parole dans les réunions : maintenir la parole enfermée dans la sphère privée, privatiser la politique, en faire une affaire privée : tout réduire à l’état de merde libérale, de choix de vie, d’expérimentation libérale de la liberté, etc.

Car s’exposer publiquement c’est aussi s’exposer aux critiques, c’est assumer la violence des échanges, du conflit. Or ceux qui méprisent les tentatives d’une parole commune, ou qui n’en ont qu’une vision idyllique, ne veulent pas risquer de voir leur petit pouvoir critiqué et balayé par quelques vérités bien senties.

C’est toujours ainsi que cela se passe avec ceux qui vous reprochent votre agressivité au lieu de vous rejoindre sur le fond, ou même de vous critiquer, arguments à l’appui. Mais le fait que ces gens bénéficient d’un certain confort social grâce à l’agressivité des rapports sociaux capitaliste ne leur pose aucun problème.

La communication libérale, atomisée, séparée convient parfaitement à un type de subjectivité sociale que le capitalisme a produit : la subjectivité libérale, y compris « subversive », « contestatrice ». Que de prétendus « anarchistes » y reconnaissent le milieu « naturel » de leur liberté, rend suspects ce « milieu » autant que ces « libertés ».

En effet, beaucoup de libéraux se déguisent en anarchistes pour justifier leur « je fais c’que j’veux ».

Tout ce que cela prouve, c’est que la forme actuelle de la diffusion du savoir, dans les milieux, communautaires, affinitaires, ne parvient pas à former des individus politiquement autonomes, capables de prendre la parole dans les réunions internes et publiques, de défendre des positions, d’en combattre d’autres, de contribuer ainsi au débat vivant, du mouvement et à son expansion.

Tout cela prouve du même coup que les individus qui font du travail manuel, de la participation aux travaux domestiques, de la « débrouille » et de la survie, le centre de leur existence, ne font que déléguer leur pouvoir à des spécialistes de la politique et de la subversion.

Quoi d’étonnant à cela ?

Quand l’économie, le domestique, dominent à ce point les priorités collectives, pourquoi faudrait-il s’attendre à une élévation du niveau politique des communautés et des milieux ?

Nous prétendons combattre partout l’hégémonie de l’économie et nous acceptons, au nom de la réappropriation de certaines pratiques, de voir l’économie nous dicter nos priorités en matière de modes de vies, d’intervention dans les luttes.

La spécialisation n’est que la conséquence la plus visible de cette domination absolue de l’économie sur nos vies.

Spécialisation de la pensée et de la politique que nous avons encouragée, par facilité, acceptant donc de déléguer en ces domaines, un pouvoir dont on ira ensuite se plaindre d’avoir été dépossédés par l’université, l’intellectuel de profession, le politique et le révolutionnaire professionnels.

L’inconséquence de ces comportements commence à être pesante, et visible. On ne pourra pas éternellement se cacher derrière des « ça me prend la tête ».

Pour l’heure, ce que démontrent les faits objectifs, au niveau national, c’est que l’évolution en cours, historique et politique, de ces milieux communautaires de survie, de ces pratiques affinitaires de « subversion », ne débouche pas sur une politisation efficace des rapports sociaux capitalistes mais à un renforcement du petit ghetto autonome, à un enlisement toujours plus profond dans la dimension domestique de l’existence ; domesticité de l’existence qui entretient un faible niveau de politique entre camarades laissant la place à la psychologisation généralisée des rapports sociaux.

Psychologisation dont nous ne pouvons plus faire l’impasse, parce qu’elle noyaute et détermine désormais toutes les pratiques et tous les contenus. C’est donc aussi avec les catégories de la psychanalyse que nous devons critiquer les pratiques existantes.

En un mot, pour contrer un apolitisme enrobée d’idéologie, qui ne peut déboucher que sur une subversion abstraite et essentiellement moralisante des rapports sociaux, il faut démontrer le lien intrinsèque, psychique, de la « subversion » avec le libéralisme culturel (les conduites « transgressives ») et démontrer que la neutralisation de la subversion n’est possible qu’à partir du moment où les conditions sociales atomisées, la jouissance et la satisfaction narcissiques, passent pour des symptômes d’émancipation sociale.

Le débat ne fait que commencer.

Indymedia Paris, 18 septembre 2011.

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5 réponses à Sortir du ghetto doré de la subversion

  1. euh? dit :

    c´est toujours merveilleux de constater a quel point, l´universitaire européen parvient a integrer les formes d´intelligence du systeme, dans sa rationnalité pompeuse et sa theorisation du grand tout. les modeles ont des cages , les cages ont des adherents.

    Que le systeme educatif, dans sa hierarchisation, sa competition, son obeissance acclamée, est put impregné les gentils eleves de la democratie n´etonne plus personne, mais que, ces schémas soient reproduit encore et encore par ces detracteurs… (soupirs)…triste realité, la definition est globale, l´adjectif devient identité, la pensée une conviction la conviction foi puis realité…

    plein de petites prisons dans les cranes, pleins de petites references etriquées, plein de petits debats d´idée, pour cerveaux trop pleins et mains trop vides…zut, et maintenant on m´insultera d´anarcho primitiviste! parceque j´ai besoin d´un standard, d´un tampon politique, d´une identification absolument necessaire!

    comme je suis content de voir a quelle point le clonage est institutionnelle, parlent entre eux sans bien distinguer la folie des connaissances, ont perdu la raison, l´instinct dans le sens, la tete dans les paumes, les lignes dans les mains, ils lisent la vie, ils vivent l´ecrit, ils pensent…et comme c´est merveilleux!

    En acceptant le systeme d´education actuelle on perd forcement en authenticité, toutes les cervelles ont les memes autoroutes, qui acheminent les memes idees, les memes idoles, toutes construitent de la meme maniere, parcequ´on y apprend a reflechir, le cul sur une chaise…des boites dans des boites, on ne finit plus que par parler aux emboités, puiqu´il n´ya qu´eux qui nous comprennent…

    hmmm, peut etre que vous auriez du fuguer, trainer votre cul hors de la coure d´ecole, levez le doigt moins souvent, dechirer vos lecons et trainer dans le rang du fond, on y comprend mieux les choses, la tronche sur le radiateur…

    « eloge de la betise » on me dira, refus primaire et arrogance sommaire, vocabulaire rudimentaire, soit…je retorquerais: « eloge de l´onanisme ».

    des grand mots, des petits actes, de la poesie d´un nouveau genre, inutile, racoleuse, pretentieuse, de la pub quoi! de la pub pour ego!

    « Sortir du ghetto doré de la subversion », comme c´est bien dit…j´en verserais une larme d´ironie…encore une fois, le paradoxe pour moteur…

  2. Bill Noir dit :

    Des contre cultures, il nous en faudrait mille, et des façons de les agencer.

    [L’individu demeure néanmoins fondamentalement « incomplet » s’il n’entre pas dans une relation transindividuelle. L’individuation collective prolonge l’individuation du vivant : elle est l’effectuation d’une naissance perpétuée. L’individu ne prolonge l’individuation vitale dont il est issu que s’il trouve les voies pour continuer à naître. On comprend alors que le fait d’incorporer un collectif transindividuel (et de modifier en retour ce dernier du fait même de cette incorporation) puisse être vécu comme une renaissance. À l’inverse, là où cette vocation n’est pas remplie, peut apparaître la pathologie. « La pathologie mentale est au niveau du transindividuel ; elle apparaît lorsque la découverte du transindividuel est manquée ». …qu’est-ce qui peut être opposé à de tels échecs ? … il faut que soit donnée une circulation entre l’émotion et l’action…->http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5608%5D

  3. Jean Thil dit :

    Petit témoignage d’un individu-cible (ou qui s’y croit), à des fins d’études des subtilités de la réalité non-encore théorisée…

    Je suis un jouisseur de cette « radicalité de classe moyenne », je refuse les contraintes parce que j’en ai les moyens, mon mode de vie est marginal et mondialisé mais je ne prétends pas organiser la Révolution, ni même « la subversion ». Si cela me chante, je m’y joindrais pour une période indéterminée, si l’on peut y danser, s’y droguer et baiser librement….

    En ce qui concerne le texte, j’ai eu une surprise rhétorique en découvrant que : apparemment ce sont donc toutes les « classes » que cherche à détruire la révolution de l’auteur, ainsi que l’apologie des misères. Si toute cette obstination, cette plongée dans l’instruction et la « théorisation de toute pratique », sont employées dans la seule optique utilitariste de cet objectif, cela me fait chier d’avance.
    En revanche si on me parle de libertés, de possibilités, d’expérimentations, d’émancipation, de futilité, d’ornements, de divagations, voire même de constructions, je suis toute ouïe !
    Et en ce qui concerne le collectif, le commun, je suis pour ; quand je n’ai rien à dire de nouveau pour l’organisation de nouvelles conquêtes je me tais, sinon je parle, j’essaie même d’être entendu !

    Je constate que l’auteur sait aussi faire (en plus de la critique du manque d’auto-critique) de l’auto-justification pour son futur rôle crucial 2011-2012 de théoricien-penseur, et j’en ricane, de même lorsqu’il veut venir instruire et purifier les quartiers prolétaires, je pouffe respectueusement, en attendant de le voir passer aux autres « classes » ; logiquement aussi je m’inquiète de voir la distribution hâtives d’étiquettes et de jugements de valeur (sous l’angle utilitariste toujours), de réponses définitives et de volonté de plier le reste de ces ignares faibles futiles et consuméristes libéraux à sa stratégie lumineuse et efficace.

    Je suis en définitive assez surpris de me voir qualifier de pseudo-subversif alors que je ne fais que déserter une organisation sociale pour d’autres étant un opportuniste, consumériste de modes de vies, doublé d’un touriste politique.

    Cependant, l’auteur, semblant trouver cela souhaitable écrit : . Ce genre de comportement m’est tout à fait repoussant à double titre : premièrement je flippe très sincèrement quand on me parle sérieusement de « l’élévation du niveau qualitatif » d’un être vivant (encore le spectre de l’utilitarisme et de l’efficience, j’attends les indicateurs objectifs de cette élévation), ensuite je suis fort satisfait d’avoir la capacité de m’individualiser, celui qui veut supprimer ces conditions est mon maton-vigile-surveillant-séquestreur potentiel, je l’évite, ou, au moment opportun, je le met hors d’état de nuire à la collectivité.

    Pour la conclusion, je me félicite (si cela est vraiment un fait objectif comme il est prétendu) du renforcement du ghetto autonome (bon, suivant la définition qu’en donnera le théoricien, bien sûr..), de posséder une morale (flexible), et je remarque que la psychologisation noyaute aussi le contenu de ce texte.

    Enfin, si le but de ce propos à multiples digressions est de prouver que l’apolitisme enrobé d’idéologie est à combattre comme bonne conscience à peu de frais, récupérant les caractéristiques du monstre capitaliste comme autant de preuves d’émancipation (prise uniquement sous sa dimension sociale), ce débat en fait m’est indifférent.
    Je crois aux faits et mêmes aux symboles et ce qui est à contrer n’est pas pour moi le fourvoiement de la « subversion », qui ici ressemble à un grand idéal tombé de son piédestal, mais notre incarcération progressive à l’air libre et notre perte d’autonomie…

    Le débat peut cependant continuer, mais le texte s’attaque à beaucoup pour un objectif bien mince.

  4. Arko dit :

    Excellent texte! Mais…
    Le vocabulaire utilisé est bien trop intellectualiste pour que celui-ci soit lu par un maximum de gens. Prolo ou pas, on n’a pas tous fait une fac de sociologie. Et pourtant c’est justement ce que ce texte critique, que les autonomes fonctionnent en cercle fermé.
    Vouloir sortir d’un « ghetto » en utilisant une syntaxe propre à ce seul ghetto me semble être un vilain paradoxe.
    Nos textes politiques anar et/ou autonome doivent pouvoir être lu par le plus grand nombre. Sans quoi personne ne nous écoutera jamais!

  5. Signé : Petit chaton tout mignon ! dit :

    Réaction « à chaud » au texte « Sortit du ghetto doré de la subversion ».

    Que le « milieu toto » ne soit plus rien d’autre qu’une « contre-culture », je suis heureux de voir que je ne suis pas le seul à m’en apercevoir (mais a- t- il déjà été autre chose ?). C’est la conséquence de s’organiser sur des bases affinitaires et idéologiques, qui débouchent forcément sur du sectarisme, au lieu de s’associer sur des bases d’une condition d’exploitation vécue et des bases de luttes.

    Résultat : on confond aujourd’hui l’autonomie avec le spontanéisme, ce qui n’a rien à voir.

    Le spontanéisme est cette doctrine débile consistant à faire du prolétaire un « sujet » intrinsèquement « révolutionnaire », mais qui ne fait pas la révolution précisément parce qu’il en serait empêchée par l’appareil institutionnel (notamment partis et syndicats) : il lui faudrait donc être « autonome » de tout encadrement pour redevenir le « sujet » « naturellement » révolutionnaire qu’il est par essence. Bonjour la blague ! Résultats, l’« autonomie » se réduit au « spontanéisme » et les deux termes se confondent aujourd’hui.

    Petit rappel : l’autonomie est, en réalité, l’autonomie de la « classe ». C’est-à-dire qu’elle consiste, selon une conception matérialiste de l’histoire, à mettre les questions d’organisation avant les questions idéologiques : l’idéologie sera le produit de la pratique de la lutte de classe, et ne doit pas lui préexister ni lui être extérieur. En conséquence, être autonome c’est être autonome de toute structure philosophique, idéologique, affinitaire ou partisane. Or le « milieu toto », surtout dans ses composante Tiqqunistes- Schmittiennes est en réalité en plein retour à ce délire « partisan » et à ces groupements affinitaires et idéologiques, et à l’individualisme- libéral forcené qui les accompagne.

    Cela dit, ledit texte (que j’ai trouvé pas mal du tout) en reste un peu trop au stade critique : toutes ces choses sont connues par tout le monde depuis longtemps, tout le monde s’accordera individuellement à dire qu’il en est « conscient »… mais personne ne fait rien.

    Plutôt que de constater que ce qu’on a sous les yeux avec le « milieu » c’est littéralement de la grosse merde qui pue la décomposition d’une vraie culture politique au profit d’un éparpillement idéologique toujours plus large et toujours plus confus (ce qui, par ailleurs, est vrai) il vaut peut- être mieux entamer une réflexion qui déboucherait sur des pistes de solution…

    La forme d’organisation de classe sur le terrain économique et social, qui fonctionne sur des bases de solidarité au quotidien et de lutte, ça s’appelle le SYNDICALISME. Rien de neuf. J’entends déjà des dents grincer : effectivement, le syndicalisme est décomposé depuis des décennies en France, je sais merci, tout le monde le sait. Cela dit on peut en avoir une lecture métaphysique, comme les léninistes, et dire que le syndicalisme serait réformiste « par essence », parce que ce serait dans sa « nature » (dans le ciel nébuleux des idées platoniciennes) ou bien analyser de façon historique, matérialiste et dialectique « comment » le syndicalisme s’est décomposé. Ce qui est un vrai travail que personne ne fait !

    On peut avoir plusieurs pistes : l’importation en son sein de la logique « partisane », que ce soit par les réformistes, les léninistes ou les anarchistes (notamment inspiré par Malatesta) et les divisions qui s’en sont suivis sur des bases politiciennes et idéologiques : le syndicat s’est divisé selon les lignes de fracture de l’extrême gauche, ce qu’il n’avait pas vocation à faire, mais plutôt à unifier le prolétariat. Il y a également le fait de la bureaucratisation, elle-même le fait d’une sous- estimation de la question de la structuration interne au profit des questions idéologiques, résultats au lieu de chercher à s‘organiser de façon efficace et réellement « communiste » on parle politique. Il y a également le délaissement de l’organisation « sociale » du prolétariat pour le repli sur les luttes de « travail », et de simple « défense » des droits. Que le syndicalisme n’ait pas rempli son rôle, c’est indéniable, dire qu’il ne pouvait en être autrement c’est avoir une lecture métaphysique et idéaliste de l’histoire.

    S’organiser sur le terrain économique et social et construire une réappropriation collective du politique, c’est ça le syndicalisme. Quand on fait un groupe de lutte aujourd’hui, y compris chez certains « totos organisés » on préfère parler de « collectif » mais un « collectif » n’est rien d’autre qu’un syndicat, c’est une hypocrisie parce que le terme fait peur … du coup on se prive des enseignements de l’histoire en faisant du rejet en bloc. Je pense qu’il y a déjà une réappropriation du mot à faire, ainsi que de la pratique.

    Au lieu d’aller chercher des conneries toujours plus allumées dans des bouquins style « Zone d’Autonomie Temporaire » ou autres Tiqquneries abracadabrantesques, il serait plutôt judicieux de se livrer à une étude approfondie de l’histoire de syndicalisme- révolutionnaire tel qu’il a existé (et existe encore aujourd’hui, m’a- t- on dit) : une organisation des prolétaires au travail et dans la vie quotidienne (via UL et Bourses du travail) pour recomposer le tissu social d’une contre- société prolétarienne coordonnée et organisée par-dessus le tissu étatique.

    Lorsque le terrain purement « social » de la « vie quotidienne » a été abandonné par le syndicalisme réformard et bolcho, il a été ramassé par le mouvement soi- disant « autonome » qui a construit toute un échafaudage intellectuel bancal en prétendant que seul le terrain social importait et que le terrain économique du travail n’était qu’un terreau de revendications réformistes qui ne pouvait pas aller plus loin que le réformisme, oubliant que des insurrections éclatent pour des histoires de pain, et jamais pour des motifs idéologiques.

    Du coup, il y a eu une division entre lutte de travail (économiques) et lutte sociales : sauf que les luttes du monde du travail, privées de lien avec les luttes sociales ne peuvent, effectivement à ce moment là, que rester réformistes. Et les luttes sur le terrain social, privé de lien avec le monde du travail, ne peuvent pas remettre en question le mode de production capitaliste, mais simplement le mode de distribution et de circulation : c’est-à-dire faire de la simple « contre- culture alternative ». Ainsi le syndicalisme est enfermé dans son réformisme et ses divisions politiciennes, et le « milieu toto » est enfermé dans sa marginalité, une « contre- culture alternative » de plus. Cette double impasse est causée, d’une part, par la surestimation de l’importance des questions idéologiques et affinitaires sur les questions d’organisations, qui masquent que derrière ces questions idéologiques et affinitaires se dissimule la question de classe : les affinités idéologiques communes sont bien souvent la conséquence d’une origine sociale commune, et voila la raison pour laquelle on se rend sporadiquement compte que les barrières sociales se retrouvent dans le milieu militant, ladite « gentrification des luttes ». De l’autre part, cette impasse est due à une division du champ du travail et du champ social- sociétal : le capitalisme c’est un mode de production et des rapports de production avant d’être un mode de distribution et des rapports sociaux, séparer les deux ne mène à rien.

    En conclusion, ce que je propose concrètement, c’est qu’il faut nous réapproprier une forme d’organisation de classe en évitant ce double écueil : ne plus s’organiser sur des bases idéologico- affinitaires mais des basses de lutte de classe unitaires, et ce aussi bien dans le monde du travail que sur le terrain social : c’est tout un « syndicalisme » réel qu’il faut refaire, s’organiser entre prolétaires au boulot et en dehors, y recomposer les liens de solidarité et de lutte, y recomposer une « culture de classe » autonome de la culture bourgeoise et de l’Etat.

    « L’autonomie », réellement, c’est ça, et ça n’a rien à voir avec le « bac à sable ludique » de la middle- class qui vit sa petite expérience affinitaire « alternative » avec les copinous de la fac et consomme de la radicalité de posture … c’est un véritable chantier de longue haleine qui implique de ne pas se chercher des excuses de radicalité intellectuelle pour ne pas retrousser ses manches : cours de soutien scolaire gratuit pour les enfants et les jeunes, mutuelles prolétariennes, collectifs/syndicats de luttes aussi bien sur les question économiques que social, ouverture de « Bourses du travail » autogérés etc…

    Mais c’est une chose dont ne veulent pas entendre parler certaines personnes confortablement calées dans leur « ghetto doré » qui s’imaginent que passer une soirée concert dans un squat et aller prendre de la came à un tecknival, entre deux « ballades grafitis » c’est ça la Révolution = de la pure consommation de posture, comme toute contre- culture, le « milieu toto » est un simple « lifestyle » consommable.

    Au lieu de chercher à toujours tout réinventer si on analysait plutôt certaines erreurs qui ont été faites pour les corriger ? Une nouvelle « théorie révolutionnaire » tous les mois j’en ai plein le cul, personnellement : la réalité est devant nous et elle est à ré- investir, on produira les idéologies dans la lutte mais faut d’abord s’organiser, et des méthodes d’organisation y en a pas dix- milles, si on reprenait celle qu’on a toujours eu ? Le syndicat c’est le « collectif » au sens le plus strict du terme, il est la forme originelle de « l’autonomie » prolétarienne : mais les deux mots se sont détachés l’un de l’autre et, détachés, ils ont pourris séparément : le « syndicat » est devenue « réformisme », « l’autonomie » est devenu « contre- culture » … si on recollait les morceaux ?

    Signé : Petit chaton tout mignon !

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