Retour sur COP-15 et considération sur les sommets et autres désastres

 

« Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu. » Proverbe sage

Le feu brûle en nous, il tourne, ravive, s’éteint, crame, crève, s’échappe en fumée grisâtre et nous étouffe. Ce n’est pas un cliché, mais une réalité qui nous encercle de toute part. Cette nuit éternelle qui nous pousse à l’urgence d’être partout où une situation peut fleurir, partout où des corps essayent de se libérer de l’éternelle insatisfaction de ne jamais voir poindre le jour ailleurs que dans des cerveaux grimés. Nous étions à Copenhague, poussés par le feu et la nuit, nous y avons croisés d’autres camarades, parfois reconnaissables à la lueur qu’ils portaient et d’autres, déformés par la nuit, s’étaient déjà perdus. Nous étions présent, en‐situation, prêt à porter les gestes que cette projection comporte en elle. Nous étions prêts à embraser la nuit, qui, malgré son apparence, était déjà tombée depuis très longtemps.
Nous avons constaté, sans étonnement, l’occupation policière et nous avons remarqué avec quelle naïveté elle se greffe si bien avec les métropoles impériales. À croire que l’architecture même a été conçu pour ce moment T, qui n’était que l’instant T ou l’Empire n’avait d’autre choix que de se mettre à nu. Nous avons vu les mêmes visages impassibles sur les sujets‐citoyens, leurs pas cadencés toujours aussi bien rythmés par le martellement de l’impératif quotidien. Mais nous avons observé autre chose, que seul un enfant ou un démon aurait pu observer, Strasbourg, nous y étions également, et nous avons vu la même fébrilité des hélicoptères, la même cavalcade théâtrale et les folklores affinitaires, mais au sein du camp « altermondialiste », au sein du village monté artificiellement en vu d’accueillir les éléments les plus dociles mais aussi les plus guerriers. Que cet hélicoptère qui surveillait sans arrêt le camp où se logeaient les « black blocks » se soit aussi bien intégré au sein même d’un centre‐urbain de l’Empire en dit assez. Il en dit suffisamment pour voir que les interventions de préventions de guerre que mène l’Empire à l’intérieur de ses sommets sont de plus en plus massifiées au fur et à mesure que l’homo sacer s’épanouit. Les flics de Copenhague ne portaient ni boucliers, ni flash‐ball, ni matraques, ils étaient simplement présents, défilant comme le paysage, et surtout défiant comme les vigies. Ils ne portaient que la tradition de l’armure et du regard menaçant avec, comme simple arme, un flingue. Ils vaquaient à leurs occupations, traversant la manif en gilets jaunes‐fluo, l’air occupés à la tâche, de la même manière que les « manifestants », bardés, eux, de gilets verts ou noirs. Nous avons pris conscience que la nuit se concentre en certains points, que ces points sont plutôt des zones temporaires où le système se révèle, se déshabille et dont sa nudité ne choque aucun de ses sujets pourtant habitués à la sale gueule du biopouvoir. Nous savons que ces concentrations nocturnes sont la continuation de tout un « tissu » que les spécialistes nomment la « nuit bleue », à savoir une série d’opération coordonnée visant à la terreur, la vieille reprise du pouvoir souverain sous le masque du Spectacle.
Les concentrations policières de l’Empire mettent à nu aussi bien son fonctionnement que ses fonctionnaires. Pas uniquement les flics‐de‐chair, qui ont le beau rôle, mais aussi de ceux qui s’engouffrent dans leurs ombres. Il existe beaucoup de flics, les feux rouges en sont un exemple à frapper. Les feux de signalisation agencent parfaitement les flux de circulation, ils donnent un rythme quasi‐hypnotique pour n’importe quel Diogène qui passe, quand à celui qui se plie au rythme, il est bien obligé de danser sur le tempo de l’Empire.
Mais il existe un autre flic : celui qui « sommeille en nous », comme l’affirmait des pochoirs dans les rues de Rouen, presque arrivé à l’état d’immanence. Le biopouvoir à fait de ses sujets autant de petits fonctionnaires affairés à le faire marcher, et même quand il se désiste, lorsque la main de fer du chevalier remplace la chaleureuse poignée de la reine, ses petits fonctionnaire s’attèlent à ne voir ici qu’une exception alors que cet état d’exception n’est qu’une condition historique essentielle au fonctionnement de nos démocraties, et ces sommets participent de plein pied à ce fonctionnement. D’une part à travers le mirage de l’exception qu’ils projettent quand une de ces zones de « mise à nue » se lève, mais aussi par le terrain préparatoire qu’ils opèrent, à exhorter ses sujets les plus étonnés à passer chemin aux situations qui peuvent émerger de cette mise à nue. [Les gouvernants se réunissent souvent pour piloter du haut d’une tour de verre les aléas de l’Empire. Ces réunions de plus en plus fréquentes, avec à ses pieds une intense concentration policière, sont bien l’avenir que présage l’état d’exception, le « coup d’État permanent ».]
Car si beaucoup de nos camarades se rendent à ces contre‐sommets c’est justement dans l’espoir que l’Empire à nu est capable de faire sortir des positions, des situations conflictuelles qui peuvent élargir les champs du possible. Mais hélas, l’Empire travaille beaucoup sur ces points, et il sera de plus en plus incertain de se focaliser sur eux, tant ils deviendront la nouvelle normalité. Les 1000 arrestations de Copenhague en sont l’évidence sans preuve. Nous ne disons pas que tout est joué, vendu, et nous continuerons à distiller nos flammes et à apprendre à reconnaitre celles qui sont encore là. Nous continuerons à instaurer un climat de guerre sociale, qui rappellera sans cesse que rien n’est fini. Le meilleur des mondes n’a toujours pas triomphé, et nous sommes certains que les ruines qu’il essaye d’élever en monuments s’écrouleront tant la vie‐sans‐avenir qu’ils présagent n’est viable. Nous n’attendrons pas « que le monde tombe de lui‐même » car nous savons qu’il retombera toujours sur ses pattes, et que même sur le dos, il aura toujours le loisir de les agiter dans tout les sens. Ce que nous disons, c’est qu’il est nécessaire de redéfinir des tactiques qui prennent en compte les dimensions qu’embrassent les agencements se mettant en place. Un art de la guerre doit se (ré)activer. Nous clamons le mot « art », car l’art est toujours attaché à la vie qui le façonne, il est sensé être au service du vivant. Or la guerre que nous vivons, c’est celle contre toute forme qui s’écoule en dehors de ses agencements.
L’Empire déteste toute autre forme‐de‐vie que celle qu’il peut mutiler où en déposséder la forme. Notre art doit se fonder sur la réalité des terrains mais aussi sur les réalités de la nuit, sur la réalité de nos formes d’existences. Fini les batailles rangés de Machiavel ou de Clausewitz. Même si ces deux moyens ne sont pas des impossibilités systématiques, le black block et la technique du « disparaître » sont en voie de devenir des moyens inefficaces de par les nouvelles situations que l’empire projette dans les sommets. Un black block disparaissant anonymement dans une foule un samedi après‐midi alors que tout‐va‐bien est certainement aussi efficace que les escarmouches qui peuvent encore se faire dans les banlieues (autre de zone de « mise à nu »), mais lors des « contres sommets », que faire ? À nous de l’élaborer, après avoir accepté l’urgence de le faire.

« Faudra‐t‐il autant de sang pour attester que cent‐mille coup d’épingle tuent aussi sûrement que trois coups de massue ? »
Nous nous sommes hissés au dessus de l’espoir nihiliste, érigé notre feu en phare contre la nuit. Nous pensions croiser beaucoup de phares, mais beaucoup ont été malins et n’ont pas répondu vivant à l’appel. Ils ont préférés mourir un peu, plutôt que d’être écrasé, triste dilemme qui s’imposera bientôt à la totalité de nos camarades si nous ne réagissons pas maintenant. Nous tournons bel et bien en rond, des impasses se dessinent et des lignes de fuites se profilent, mais l’esquisse de nouvelles stratégies ne nous portera jamais dans ces replis. Elles nous permettront plutôt d’aborder des situations avec d’autres techniques que celles de Machiavel découvrant alors l’artillerie et qui contre elle préconisait de foncer le plus vite dessus.
Nous tournons bel et bien en rond, et le rond ne permettra jamais de sortir, il a toujours été le symbole ésotérique de la conservation. La perspective du pouvoir en est l’exemple. Il cherche simplement à se maintenir, à durer sans plus attendre, et travaille dur pour tout conjuguer à l’instantané. Que l’information soit traité presque immédiatement grâce à un outillage présenté comme « merveilleux » et que l’on puisse sans cesse accélérer jusqu’au point du « je consomme » devrait nous mettre la « puce à l’oreille ».
Le monde va de plus en plus vite, mais il n’a jamais bougé. Il se mord la queue avec joie et par là même nous entraîne à jouer au sportif de l’activisme et à nous mordre avec lui.

« La guerre révolutionnaire, a contrario (de la guerre “conventionnelle”), représente une exception à double titre. Non seulement, comme chacun le sait, elle possède des lois propres qui diffèrent de celles de la guerre conventionnelle, mais en plus, la plupart des lois valables pour l’un des adversaires ne s’appliquent pas à l’autre. Dans le combat de la mouche et du lion, la mouche ne peut pas mettre le lion K.O et le lion ne peut pas voler. Le cadre espace‐temps est le même pour les deux, mais on assiste bien à deux combats différents : le combat du révolutionnaire et, si l’on peut dire, le combat du contre révolutionnaire. » David Galula in Contre‐insurrection, pratique et théorie.

« Dans le degré de catastrophe où nous a jeté la démocratie spectaculaire, il est certain que rien n’est resté si précieux que les stratèges. » Guy Debord

15 août 2011.

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