Grande-Bretagne : les procès à la chaîne des émeutiers présumés

Émeutes : 1.051 arrestations à Londres, selon la police

La police londonienne a annoncé 1.051 arrestations et 591 mises en accusation dans la capitale britannique à la suite des émeutes et des pillages de ces derniers jours. Au total, plus de 1.500 personnes ont été interpellées en Grande-Bretagne dans le cadre de ces violences, les plus graves depuis les émeutes raciales des années 1980.

Des tribunaux à Londres, Birmingham et Manchester sont restés ouverts pour la deuxième nuit consécutive pour traiter des différents dossiers d’infractions présumées.

Des centaines de magasins ont été pillés, des bâtiments ont été incendiés et plusieurs personnes sont mortes lors de ces émeutes, qui ont éclaté samedi à Tottenham, dans le nord de Londres, avant de gagner d’autres quartiers de la capitale et de s’étendre à plusieurs villes.

L’Angleterre a vécu quatre nuits de violences urbaines, le Premier ministre David Cameron écourtant ses vacances en Italie pour tenir des réunions de crise destinées à répondre aux émeutes.

Parmi les victimes, figurent trois hommes percutés par un véhicule à Birmingham alors qu’ils étaient descendus dans les rues de leur quartier pour empêcher les pillages. Trois suspects étaient interrogés vendredi par la police dans le cadre de l’enquête ouverte pour homicide.

La police a également ouvert une enquête pour meurtre après le décès d’un homme de 68 ans, découvert dans une rue de Londres après avoir affronté des émeutiers. Le sexagénaire a succombé à ses blessures jeudi soir.

Leur presse (AP), 12 août 2011.

 

Émeutes : débordés, les tribunaux anglais travaillent la nuit

Les tribunaux tentent de faire face à l’afflux de centaines de pillards et d’émeutiers présumés interpellés lors des violences qui ont secoué plusieurs villes d’Angleterre, dont Londres.

Dans le centre de la capitale britannique, jeudi 10 août, des fourgons de police stationnaient en file indienne autour du tribunal de Westminster, théâtre d’une procession ininterrompue de prévenus appelés à comparaître. « C’est le chaos, en bas », a confié un avocat de la défense.

La police londonienne a procédé à 922 arrestations en rapport avec les violences, les actes de pillage et autres troubles à l’ordre public. Sur les 922 personnes interpellées (compte arrêté à jeudi midi), 401 ont déjà été inculpées. Face à cet afflux inattendu de prévenus, les juges des tribunaux de la capitale et d’autres grandes villes anglaises ont siégé toute la nuit.

FILLE DE MILLIONNAIRE

À la barre du tribunal de Bexley, près de Londres, Laura Johnson, 19 ans, fille de millionnaire : la jeune fille a été arrêtée au volant d’une voiture remplie d’appareils électroniques volés et de bouteilles d’alcool d’une valeur de 5000 livres (5680 euros). Elle restera en détention.

Natacha Reid, 24 ans, s’est rendue d’elle-même à la police parce qu’elle « n’arrivait plus à dormir » après avoir fait main basse sur une télévision dans un magasin. Malgré ses remords, elle encourt une peine de prison. Ce ne sont pas les regrets, mais la diffusion de sa photo dans la presse qui a poussé une autre jeune adolescente du sud de Londres à se rendre à la police.

Elle affirme n’avoir été que spectatrice des violences et des pillages, mais on la voit sur des images de caméras de surveillance se faufiler à deux reprises dans un magasin avant d’en ressortir avec un écran plat. Sa demande de remise en liberté sous caution a été rejetée.

ÉTUDIANT EN JOURNALISME

Même refus pour Barry Naine, salarié d’une association caritative de 42 ans, interpellé alors qu’il pénétrait dans un magasin de vêtements à Peckham, dans le sud de la capitale.

Parmi les premiers à comparaître à Westminster, un étudiant en deuxième année de droit accusé de faire partie d’un gang qui a mis à sac plusieurs cafés et restaurants du quartier de St John’s Wood, dans le nord de Londres, mercredi soir. Marouane Rouhi, 21 ans, est l’une des seize personnes interpellées pour violences dans le cadre de cet incident. Il reste en détention.

Ahmed Farah, 27 ans, étudiant en journalisme, arrêté en possession d’une arme blanche à Hackney, dans l’est de Londres, passera la nuit en prison après le rejet de sa demande de libération sous caution.

Leur presse (Le Monde.fr), 11 août 2011.

 

Grande-Bretagne : portrait-robot d’une génération à la dérive

Dans la salle d’audience de la cité de Westminster, les jeunes émeutiers britanniques sont jugés à la chaîne.

Au tribunal de Londres, où sont jugés les émeutiers présumés arrêtés ces dernières heures, brosser le portrait-robot du « casseur » ne va pas de soi. Surtout quand le bien-pensant quotidien conservateur The Daily Telegraph consacre toute sa une à trois pilleurs supposés : un gosse de onze ans aux joues roses, une blonde authentique de 19 ans, fille de bonne famille, un employé d’une école primaire de 31 ans, d’origine africaine.

Dans la salle d’audience du tribunal de la cité de Westminster, au sud de Londres, plus proche de la salle de classe de banlieue que des palais dorés de sa très gracieuse majesté, les prévenus se prénomment Youssef, Marwan, Samir, Omar, Ibrahim… Ils ont entre 16 et 20 ans. Tous sont nés en Angleterre. Bien habillés d’un polo de bonne facture ou d’un tee-shirt de marque sportive, ils sont pour certains déscolarisés, sans travail et vivent le plus souvent chez leur mère séparée ou divorcée, d’expédients et de trafics divers. Dans le box vitré où ils comparaissent entre deux policiers noirs en chemise blanche et cravate, ils n’ont pas peur, affichant une relative indifférence à l’examen de leur dossier ou même ricanant.

Prison ferme

Contrairement à la procédure française de comparution immédiate, qui permet de juger en 24 heures un délinquant pris en flagrant délit dans la rue à une peine de prison ferme, le système anglais apparaît plus complexe. En ce jeudi matin, il s’agit d’évaluer la gravité des charges retenues contre les prévenus et de statuer sur leur remise en liberté ou leur maintien en détention dans l’attente d’un procès. Aucune mesure de clémence n’a été prononcée jeudi matin par la juge à la soixantaine bien sonnée, l’air sévère même quand elle ajuste un sourire, et qui pourrait être leur grand-mère. Avocat commis d’office de trois prévenus, Robert Katz n’en est pas surpris. « Le gouvernement veut probablement taper fort pour faire un exemple », affirme-t-il sans crainte de laisser penser que la justice britannique ne serait pas tout à fait indépendante.

Rentré précipitamment de vacances en Toscane après deux nuits d’émeutes, le Premier ministre David Cameron a promis de rétablir « la loi et l’ordre ». « L’Angleterre est malade », a-t-il dit, paraphrasant Shakespeare qui trouvait en son temps qu’il y avait « quelque chose de pourri » dans le royaume. À Westminster, tous les prévenus sont là sous l’accusation de violent desorder (troubles sérieux à l’ordre public), deuxième degré dans l’échelle des incriminations, le plus grave étant le rioting (l’émeute). Dans le premier cas, les accusés encourent six mois de prison, dans le second dix ans.

« Immaturité émotionnelle »

Ibrahim a 16 ans et demi. La juge veut savoir si l’un de ses parents est présent. Réponse négative de l’avocat qui voudrait que son jeune client soit assigné à résidence, dans l’attente d’être jugé, quitte à pointer au commissariat du coin. La juge refuse, la représentante de l’accusation, une jeune blonde ardente, ayant juste avant égrené la liste des huit infractions pour lesquelles il a, ces dernières années, été reconnu coupable. Cela va des incivilités à la détention et à la consommation de cannabis, un inventaire qu’Ibrahim a écouté en se frottant les yeux ou en se caressant le menton, parfaitement glabre. « Il y a une escalade », observe la juge. « C’est un délinquant d’habitude. Son mode de vie est tel qu’il ne se conformera pas à une assignation à résidence », dit-elle d’un ton neutre, tout en lui reconnaissant « l’immaturité émotionnelle » plaidée par son avocat.

Pas de cadeau non plus pour Youssef, 19 ans, dont l’avocat avait tenté de démontrer que c’est un bon garçon qui fait le ramadan et va à la mosquée. Son casier judiciaire affiche une condamnation à trois mois de prison avec sursis pour détention et consommation de drogue. La procureur relève qu’alors on lui a donné une chance de se racheter en le laissant en liberté. Interpellé une nuit d’émeutes dans des circonstances qui restent à éclaircir, la justice préfère se le garder sous la main. Samir, 18 ans, paraît content de lui avec sa petite barbichette, et ce n’est surtout pas un tribunal qui va l’intimider. Les policiers lui ont mis la main au collet alors qu’il sautait, criait dans la rue, se montrant « agressif ». Becky Owen, représentante de l’accusation, lui reproche d’avoir participé à un « kidnapping ». Deux acolytes tenaient en respect un homme, et il a filmé la scène. Son avocat souligne que son client est scolarisé, qu’il a eu l’équivalent de son bac et se prépare à faire une école de commerce, qu’il aide sa mère à élever ses frères et qu’il travaille pour des organisations caritatives dans le cadre de matchs de football. La juge ne veut rien savoir, d’autant qu’il s’est montré récalcitrant au moment de son interpellation. Jour et nuit, c’est ainsi depuis deux jours dans deux tribunaux de Londres, la justice suit son cours.

Leur presse (Le Point.fr), 11 août 2011.

 

Londres : l’insondable péril jeune

Des centaines de personnes arrêtées sont jugées à la chaîne, mais les motivations des émeutiers restent floues.

Les jeunes sont-ils au cœur des émeutes ? Sans doute, puisque la police londonienne a arrêté un gamin de 11 ans. Mais le premier à plaider coupable, hier, était un homme de 31 ans travaillant comme assistant dans une école primaire. Poursuivi pour s’être trouvé dans un magasin pillé, sans rien voler, il a été relâché en attendant son procès.

Le Highbury Corner Magistrates Court juge ainsi à la chaîne depuis mardi soir, nuit comprise, les centaines de personnes arrêtées lors des trois jours d’émeutes dans la capitale. Deux chambres correctionnelles sont mobilisées ; procureurs, juges et avocats y assurant une sorte de trois-huit. Suivait un étudiant de 19 ans coupable d’avoir piqué deux tee-shirts. Souvent, le dossier de l’accusation tient à peu de choses. Pour le trentenaire jugé hier vers midi, le procureur résume : « On l’a vu sortir d’un magasin qui était l’objet de pillages. Il n’avait pas d’article volé sur lui. » Un second rôle, mais suffisant pour être poursuivi. Cet homme a été relâché en attendant son procès au fond, le 19 septembre, devant une Crown Court, un tribunal qui peut délivrer des peines plus sévères. Et sa liberté a une condition : un couvre-feu. « Vous ne pouvez pas sortir de chez vous entre 19 heures et 7 heures du matin. Vous porterez un bracelet électronique. L’alarme sonnera si vous sortez et vous serez emprisonné », explique le juge.

Portrait-robot. Qu’est-ce qui motive les émeutiers anglais, ceux qui, contrairement à ces prévenus, ont été vraiment actifs ? Comme souvent, un mélange de colère et d’ennui, de provocation et d’opportunisme, une sorte de doigt majeur tendu à toutes les autorités, à commencer par la police, et un hommage à la société de consommation, via les pillages. Au-delà de la jeunesse, majoritaire, il est difficile de dresser un portrait-robot. Hier, le quotidien The Guardian résumait : « Qui fait cela ? Des jeunes venant de quartiers pauvres, mais pas seulement. » D’autant que ce petit monde compte nombre d’opportunistes qui profitent de l’ouverture d’un magasin pour s’offrir un cadeau. « Hé ! Les banquiers piochent bien dans l’argent public quand ils sont en difficulté. Pourquoi nous, on ne pourrait pas se servir ? » rigole un habitant du quartier populaire de Hackney.

Mehmet, 21 ans, qui tient avec son père un « Social Club » à Kingsland Road, a croisé une bande de « 60 à 80 » émeutiers qui assaillaient lundi soir son quartier de Dalston, après avoir tenté de brûler un bus. « Des jeunes de 15 à 16 ans, parfois moins, dit-il. Ce n’étaient que des gosses ! Ils nous disaient : “Ne vous inquiétez pas, on n’a rien contre vous les Turcs, c’est contre le gouvernement !” » Ce qui a laissé Mehmet sceptique. D’après lui, il n’y avait pas de grand message politique : « Ils voulaient juste s’amuser, profiter de l’occasion ! »

Sur Kingsland Street, ils ont trouvé à qui parler : les commerçants turcs qui s’étaient organisés. « Ils avaient des armes, nous aussi », raconte Mehmet, en tâtant sa barre de fer disposée sous le comptoir. Devant la résistance, la bande s’est vite divisée en petits groupes, puis a disparu : elle ne cherchait pas l’affrontement, ou alors à distance, seulement, en balançant des projectiles sur les flics. Car beaucoup ont surtout envie de se payer la police. De l’humilier comme ils estiment qu’elle les humilie, surtout quand ils sont noirs. Un quadragénaire de Hackney a une explication : « Ces jeunes, les policiers les arrêtent constamment, les fouillent en les traitant de “nègres” et de “salopes”. Ils veulent donc se venger de ce harcèlement. » Et pour eux, se retrouver en position de force constitue un moment jouissif : narguer des forces de l’ordre contraintes à l’impuissance, puis se régaler devant les images de commerces et de voitures en feu qui passent en boucle sur les télés et terrorisent les Londoniens. Une revanche de laissés-pour-compte, maîtres du jeu urbain pour quelques heures.

Contradictions. La presse conservatrice réclame à leur encontre la plus grande sévérité, estimant qu’il n’y a aucune justification à leurs actes. Pour le Times, les émeutes constituent « une honte pour la nation » et la police doit retrouver son « monopole » sur l’usage de la force.

Est-ce la bonne méthode ? Même sans slogans explicites autres que quelques tags « Fuck the pigs » (« nique les porcs », la police), les émeutiers expriment une lutte contre le système établi. Jay Kast, 24 ans, travailleur social, a expliqué au Guardian que ce qui les unit, c’est le sentiment d’être « piégés par le système. Ils ne se sentent pas collectivement impliqués dans la société, ils s’en foutent ». Parmi eux, Kast a vu des jeunes Noirs, mais aussi « des gamins turcs ou asiatiques, et des adultes blancs ». Comment s’adresser à eux ? Un autre travailleur social, de Hackney, ne sait plus : « On nous dit qu’il faut les amener autour d’une table, discuter. Mais ça ne veut rien dire, pour eux, discuter autour d’une table… » Paradoxe : pour un père, « tout ce qu’ils demandent, c’est que quelqu’un les écoute. Pas qu’on leur dise “fais ceci, fais cela”. Ce rôle, les parents doivent le tenir ».

Face à ces contradictions, personne ne semble avoir de solution. « Ce n’est pas seulement qu’ils veulent piller, il y a autre chose derrière », assure un animateur. Mais quoi ? Toute la difficulté est de le comprendre. « Le gouvernement doit concentrer ses efforts là-dessus », ajoute-t-il. Mais hier, la priorité de David Cameron, le Premier ministre, était ailleurs : l’urgence d’un retour à l’ordre (lire ci-dessus). Pour traiter les causes profondes, il faudra attendre.

Leur presse (Libé), 11 août 2011.

 

« Ces policiers tétanisés, ces fringues, c’est trop tentant… »

REPORTAGE – Si les gangs ont mené les charges et les actions les plus violentes, ils étaient entourés de « badauds » de l’émeute, qui ont donné de l’ampleur au pillage.

« Les peuples arabes luttent pour la liberté… ces jeunes pour un écran plasma ! » ironise Yasar, un commerçant qui a vu son magasin partir en fumée à Croydon, dans le sud de la capitale. « Ce n’est pas une révolte, mais du shopping instantané de masse… », renchérit Yolanda, également attaquée.

Ce déferlement de violence leur semble meaningless (absurde, vide de sens). Ce mot revient dans toutes les bouches. Comme s’il était impossible de comprendre pourquoi les villes anglaises flambent depuis plusieurs jours. Car ce qui ressemblait à une révolte communautaire, dans le quartier pauvre de Tottenham, au nord de Londres après la mort d’un père de famille tué par des policiers dans des circonstances qui font l’objet d’une enquête, a très vite évolué en razzia généralisée.

Les casseurs, d’abord principalement noirs à Tottenham, à l’image du quartier qui regroupe de nombreux Jamaïquains et des familles originaires des Caraïbes, sont devenus sans couleur, sans religion. « C’est le ramadan, en ce moment, je doute que les musulmans soient impliqués », répètent les observateurs. Et si la rancœur contre des policiers régulièrement accusés d’opérer des contrôles au faciès ou d’être impliqués dans des bavures est réelle dans ces quartiers… elle n’a pas été le fuel de la révolte partout.

Les boys des quartiers nord qui se sont déchaînés le samedi soir ont donné le ton en ravageant tout autour d’eux. Quel que soit le niveau social de leurs voisins ou leur origine. Jean-Vincent, Antillais, était dans sa voiture en compagnie de trois amies noires, lorsqu’un groupe a fait irruption à Greenwood. Ils avaient bloqué la route et tenaient des briques. « Vous ne voyez pas qu’on est noir ? » a lancé l’une des jeunes filles en espérant ainsi apaiser leur rage. C’est à cet instant qu’un pavé a traversé le pare-brise, puis un deuxième, avant qu’ils ne réussissent à fuir… sonnés. « Au moins on ne se sent pas spécialement visé comme Blanc », ajoute Paul, un entrepreneur pris au milieu des feux le lundi soir à Cambden. Et ce sont des Sikhs qui ont entrepris de défendre à la fois leur temple et la mosquée voisine à Southall.

Casseurs endurcis et amateurs

Si l’émeute a démarré comme un de ces grands spasmes qui ont secoué les quartiers ghettos depuis les années 1980, elle s’est transformée en une « mob », une de ces mobilisations instantanées rassemblant des centaines de personnes qui ne se connaissent pas. Par Twitter, Facebook et SMS. En version bobo, cela consiste à rassembler des foules pour un apéro géant.

Ces derniers jours, les mobs sont devenues des meutes. Tous, qu’ils soient de petites frappes de quartier ou des jeunes grisés par l’événement, se sont greffés, par la magie d’Internet, saluée lors des printemps arabes, et détonante lorsqu’elle sert la casse. La messagerie gratuite du BlackBerry (BBM) a fait fureur, véritable « général d’armée qui dit où attaquer », ironise une policière. « Tout le monde à South London. (…) On emm… la police. Amenez vos sacs et caddies », intimait l’un des messages. Certains officiels souhaitaient couper le réseau pour tarir le flux de ces mots d’ordre, « mais c’était impossible ».

Si les gangs ont mené les charges et les actions les plus violentes, ils étaient comme entourés de « badauds » de l’émeute, qui ont donné de l’ampleur au pillage. On a arrêté un serveur sans casier, une hôtesse d’accueil, un cuisinier de 47 ans, qui se servaient dans des magasins dévastés ou démolissaient eux-mêmes des vitrines ! Parmi les 750 personnes déjà interpellées à Londres, on trouve les habitués du commissariat. Mais aussi des anonymes qui semblaient promis à une vie rangée. « Je passais, je suis entrée dans le magasin éventré. Toutes ces fringues gratuites et les policiers qui semblaient tétanisés, c’était trop tentant… », explique une étudiante.

Ce mélange détonant brouille les explications. Même si la carte des émeutes recouvre largement celle des quartiers populaires. « Beaucoup d’émeutiers viennent probablement de familles défavorisées et marquées par le chômage. Ces jeunes ont pillé les magasins car ils en avaient l’opportunité et n’avaient rien à perdre », analyse John Pitts, criminologue, dans le Guardian. « Cette génération, bombardée de pubs et élevée dans le culte d’une consommation excessive, s’est déchaînée. »

La jonction entre les casseurs endurcis et les amateurs est d’autant plus facile que, à Londres, les quartiers sont mêlés. Ici, point de cités HLM massives avec leurs bandes d’en bas des tours. Les gangs sont dans la ville, plus discrets. « Normalement, chacun fait son business, dans son coin. Bien sûr y’a du trafic, y’a des meurtres parfois. Certains ont le couteau facile », explique un Jamaïquain de Greenwoood. « Mais on ne traîne pas en bas. Et on peut apparaître avec un 4 × 4 sans se faire embrouiller par les autres », raconte Denis. « On est des individualistes. Mais il faut croire que l’esprit des mobs a prospéré. » Notamment chez les plus jeunes. « On est descendu prendre des fringues, avouent deux sœurs de Hackney. Nos parents ont rigolé. »

Certains justifient leur pillage d’un sommaire : « Y’en a marre de voir les riches se goinfrer et nous trimer », comme cet adolescent au teint laiteux sous la capuche. Mais les arguments sociaux heurtent vite les nombreux épiciers immigrés qui ont vu leur boutique ravagée… « J’ai même vu un jeune voler du riz ! Quelle blague », raconte une victime. Et d’ajouter, pince-sans-rire, comme pour compléter sa démonstration : « Dans la rue entièrement pillée de Croydon, un seul magasin était indemne : la librairie ! »

En être pour retenir l’attention

« En réalité, il y a les vrais gangs et beaucoup de petits jeunes du quartier totalement désœuvrés, raconte Coralie, tandis qu’elle surveille sa rue la nuit à Kentish Town. J’ai grandi ici, je suis la seule à avoir étudié. Leurs parents sont chômeurs. Ils ne font pas de différence entre ce qui est bien ou mal. Là, ils s’amusent. Pour une fois qu’on leur prête attention. Cela les change de la maison. Alors ils continuent pour qu’on les regarde. »

En 2005 et 2007 en France, les émeutiers branchaient la télévision, pour comparer « les performances » des quartiers. Désormais, le Net recrée le front en temps réel. « Et c’est vrai qu’on a envie d’en être », ne pas laisser passer les projecteurs, lâche un gamin. Sans réaliser que des milliers de clichés ont été placés sur les réseaux sociaux cette fois par la police qui appelle les internautes à identifier les pillards…

Leur presse (Le Figaro), 10 août 2011.

Ce contenu a été publié dans La liberté est le crime qui contient tous les crimes, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.