Bombes déclenchées à distance à l’aide du téléphone portable
Une technique redoutable, une menace permanente
La technique de la bombe actionnée par puce GSM a été adoptée au début de l’année 2005, à la faveur du grand « boom » qu’a connu le marché de la téléphonie mobile en Algérie.
Le téléphone portable sert de plus en plus de détonateur aux groupes terroristes de l’ex-GSPC pour actionner des bombes à distance. Ce nouveau mode d’action concernerait 90 % des attentats perpétrés en Algérie ces cinq dernières années par les groupes armés affiliés à la branche locale d’Al Qaîda.
Azazga, vendredi 15 avril 2011, 19 heures : treize militaires sont tués dans une attaque terroriste. Un important groupe, composé d’une cinquantaine d’éléments, a pris pour cible un poste de surveillance de l’armée situé à l’entrée du massif boisé de Yakouren. Le mode opératoire utilisé est classique : explosion de bombes de fabrication artisanale actionnées à distance par téléphone portable et tirs nourris à l’arme automatique. Cinq jours plus tard, l’assaut est revendiqué par Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) dans un communiqué cité par le Centre américain de surveillance de sites islamistes (SITE). Dans la même localité, deux militaires ont été tués et trois autres blessés, en octobre 2010, dans une embuscade tendue par un commando islamiste. Les soldats ont été victimes de tirs d’armes automatiques et de bombes actionnées à distance au passage de leur convoi. Début août 2011, deux militaires ont été tués et au moins huit autres blessés dans l’explosion d’une bombe au passage d’un camion de transport de troupe à Tihammamet, à Tissemsilt, une localité située à 370 km au sud-ouest d’Alger.
Les terroristes ont enfoui sous terre une bombe artisanale télécommandée qu’ils ont ensuite fait exploser au passage des militaires. Une autre bombe plantée dans le sol a été retrouvée et désamorcée. Le 20 juillet dernier à Bouira, une bombe a explosé au passage d’un convoi militaire, blessant plusieurs soldats, dont deux grièvement. Selon des comptes rendus de presse, des bombes ayant explosé en Kabylie et dans d’autres régions du pays, ces dernières années, ont été actionnées de la même manière. Des bombes découvertes à Boudhar, dans la région de Si Mustapha (Boumerdès), lors d’une opération de ratissage, en septembre 2010, avaient été programmées pour être actionnées avec la même technique. Parfois, il suffit d’un texto (SMS) au terroriste posté sur une colline pour actionner l’engin mortel au moment voulu. Les attentats à la bombe perpétrés dans les wilayas du centre du pays, ces dernières années, ont eu lieu, dans leur majorité, sur des axes routiers empruntés par les forces de sécurité. Le changement des méthodes de lutte antiterroriste et les pressions exercées sur les maquis par les forces de sécurité ont rendu difficile les attentats kamikazes ces derniers mois, constatent des observateurs de la scène sécuritaire. Aujourd’hui, la quasi-totalité des attentats terroristes a été perpétrée à l’aide de bombes déclenchées à distance.
Dans cette méthode dite « déclenchement contrôlé », l’engin explose sous l’action d’un opérateur, celui-ci pouvant se trouver soit en contact direct avec l’engin (exemple : ceinture explosive), soit à distance. Dans le second cas, l’engin est télécommandé le plus souvent par téléphone mobile. Au début de la subversion intégriste, cela se faisait à l’aide de bâtons de TNT et de fils électriques mis en contact, via un détonateur. Dans le cas d’un déclenchement à retardement, l’engin explose après une durée déterminée fixée par une horloge mécanique ou électronique, voire une réaction chimique. « Le téléphone sert de plus en plus de déclencheur dans le cadre d’attentats à la bombe. Si actionner un détonateur à l’aide d’un GSM nécessitait encore, il y a peu, un minimum de connaissances techniques, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ainsi, pour quelques dizaines d’euros, il est possible de se procurer un système muni d’une cellule photoélectrique capable de déclencher n’importe quel appareil électrique simplement en détectant le rétro-éclairage du téléphone qui s’active lors de la réception d’un appel. Il suffit de relier les deux fils de ce dispositif de domotique à un détonateur électrique et la bombe est prête à exploser au premier appel reçu », note un journaliste français spécialisé dans le renseignement.
Grâce à internet, la préparation d’un engin explosif traditionnel ne requiert pas beaucoup de connaissances en chimie. Les apprentis artificiers n’ont nullement besoin de trinitrotoluène (TNT), de nitrate d’ammonium ou de nitroglycérine. Des produits chimiques — détergents, par exemple — disponibles dans le commerce suffisent pour confectionner une bombe dans une grotte à Sidi Ali Bounab capable de pulvériser un véhicule des services de sécurité. Tout y est sur la Toile. Embuscades contre des convois militaires en Kabylie, attaque de convoyeurs de fonds sur la route de Aïn El Hammam, séquences d’attentats kamikazes dans la capitale, préparatifs d’une bombe artisanale dans un maquis de Boumerdès, une panoplie de vidéos et de « cours » de djihad (guerre sainte) sont mis en ligne sur les sites de propagande terroriste. Il suffit d’un clic pour surfer dans le monde de l’horreur.
2009 : année meurtrière
Annoncés comme laminés, les maquis se ressourcent, contredisant sur le terrain l’accalmie prônée par le discours officiel depuis des années. En effet, force est de constater que les capacités de nuisance des groupes armés, notamment en Kabylie, demeurent intacts en dépit des coups assénés par les services de sécurité. Le département d’État américain, dans son rapport global sur la situation sécuritaire à travers le monde durant l’année 2009, avait relevé ce risque terroriste. L’Algérie, le Maghreb et le Sahel occupaient une bonne place dans ce document qui énumérait tous les attentats commis durant l’année 2009. Il note que les embuscades et les bombes enfouies ont marqué l’année 2009, en dépit des efforts consentis par les services de sécurité algériens. La technique de la bombe actionnée par puce GSM a été adoptée au début de l’année 2005, à la faveur du grand « boom » qu’a connu le marché de la téléphonie mobile en Algérie. En Kabylie, 95 % des bombes ayant explosé depuis l’année 2005 seraient mises à feu à distance à l’aide du téléphone cellulaire. Le 5 juillet 2007, l’ancien wali de Tizi Ouzou, Hocine Mazouz, avait échappé de justesse à un attentat à la bombe alors qu’il était sur la route vers Aït Yahia, dans la région de Aïn El Hammam, où il devait prendre part aux festivités organisées à l’occasion de la célébration de la fête de l’Indépendance.
C’était à l’entrée du chef-lieu de la commune d’Aït Yahia que la bombe commandée à distance a explosé, vers 9h30, au passage du cortège officiel en cet endroit. La bombe fut placée sur un mur, bordant sur quelques dizaines de mètres l’entrée de la localité. Une défaillance du réseau téléphonique a retardé l’explosion de la bombe, ce qui n’a pas permis donc d’atteindre le véhicule du wali qui roulait à vive allure. La déflagration touchera et endommagera partiellement un véhicule des services de sécurité. Un policier a été légèrement touché par les éclats de la bombe. Début février 2008, le président de l’APC d’Aghribs, relevant de la daïra d’Azeffoun, a échappé à un attentat à la bombe près du village Taboudoucht, à environ 4 km du chef-lieu de la commune. L’engin placé au bord de la chaussée explosa au passage du véhicule de marque Renault Clio à l’intérieur duquel se trouvaient le président de l’APC, Yermèche Rabah, et son adjoint qui étaient de retour d’une mission de Taboudoucht. Il a échappé de justesse à cet attentat alors qu’un citoyen, se trouvant sur les lieux, a été grièvement atteint. La bombe enfouie sous terre était probablement actionnée à distance.
Puces GSM macabres
Des puces qui devaient être cédées par le biais d’un contrat avec les opérateurs de téléphonie mobile se vendaient sur les trottoirs jusqu’à février 2008, date du lancement de l’opération d’identification des lignes téléphoniques GSM. Près du tiers des cartes Sim vendues en Algérie à l’époque n’étaient pas identifiées, selon des chiffres publiés dans la presse. Devant cette anarchie, le gouvernement a décidé de mettre de l’ordre dans la gestion des puces téléphoniques. Les trois opérateurs ont été sommés de prendre les dispositions nécessaires pour mettre fin à ces pratiques. Mais les efforts déployés par les opérateurs pour l’identification des puces anonymes se sont avérés insuffisants, voire insignifiants. Même si la réglementation obligeait les points de vente à exiger des clients la photocopie des pièces d’identité et la signature d’un contrat dûment rempli pour toute puce vendue, beaucoup d’entre elles atterrissent entre les mains des terroristes pour servir de détonateur macabre, et ce, grâce à des puces non enregistrées ou portant de fausses identités. En avril 2008, l’ancien ministre des Postes et Télécommunications avait annoncé que le nombre de puces anonymes, tous opérateurs confondus, était de cinq millions.
L’ampleur prise par la généralisation des puces anonymes a amené le gouvernement à prendre des mesures. Ainsi, les cartes à puce post-payées et pré-payées ont été, depuis, considérées comme étant des équipements sensibles, dont les procédures d’acquisition, d’exploitation, de vente seront soumises à de nouvelles dispositions comprises dans un décret exécutif, qui a été publié dans le Journal officiel le 10 décembre 2009. Toutefois, les conditions de la déclaration obligatoire des abonnés après l’octroi des lignes téléphoniques n’ont jamais été respectées. En octobre 2010, l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT) a dévoilé que certains opérateurs de la téléphonie mobile agréés en Algérie n’ont pas respecté les conditions exigées par cette institution en 2008 vis-à-vis de tous les opérateurs. Un rapport émanant de l’ARPT, diffusé en octobre 2010, a confirmé que le nombre des lignes téléphoniques utilisées sous des identifiants anonymes dépassait les 500’000 puces.
Leur presse (Ahcène Tahraoui, El Watan.com), 9 août 2011.