Lettre ouverte aux responsables de la Triennale d’art industriel à Milan (1er janvier 1957)

Messieurs,

Vous avez beaucoup tardé à répondre à la lettre par laquelle, l’année dernière, le Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste vous demandait un emplacement pour construire un pavillon expérimental dans le cadre de la XIe Triennale. Sachant que la réalisation dépendait d’une entente immédiate entre nous, vous avez voulu, en gagnant du temps, faire échouer ce projet sans prendre les risques d’un refus. Et maintenant, il nous vient aux oreilles que vous répandez systématiquement le bruit que notre lettre vous aurait été écrite en termes injurieux.

Nous ne serions pas surpris outre mesure d’apprendre que vous avez pu considérer comme injurieuse une lettre qui n’était que froide. Personne, ni en Italie ni en France, ne vous prête assez de discernement et d’éducation pour être assuré que ces nuances vous sont perceptibles. Mais nous sommes fâchés que vous osiez tirer argument, contre nous, de ces injures imaginaires, pour votre mauvaise propagande.

Vos procédés, Messieurs, commencent à nous déplaire. Nous avons pris sur nous de recevoir correctement votre agent, le nommé Pica, qui s’est introduit dans notre Congrès d’Alba, en septembre dernier, bien que ses attaches apparussent jusqu’à l’évidence. Nous avons finalement convenu de le laisser partir avec les documents qu’il avait pu glaner. Notre patience est maintenant épuisée.

Toi, Broggini, tu n’es rien d’autre qu’un cocu. Cette question t’obsède, tu ne peux penser au-delà. Tu es donc irresponsable, nous t’en donnons acte. Mais démissionne.

Lombardo, tu as eu dans ta jeunesse quelques bonnes idées et, il faut bien le reconnaître, un véritable intérêt pour le problème des arts plastiques dans leurs rapports avec l’industrie. Depuis, ton évolution n’est pas belle, et toi-même, à y bien penser, tu ne dois pas en être fier. Tu n’es plus qu’un chef de publicité, pas très habile. Même tes patrons sont volés.

Mollino, puisque tu es si impatient d’entendre des injures sur ton compte, au point de solliciter les textes pour les découvrir, tu vas être déçu : tu es une nullité si parfaite — et Lombardo lui-même ne se prive pas de le dire — que tu décourages l’injure, même des spécialistes.

Nous vous prévenons, Messieurs, qu’il vous faut désespérer de nous manœuvrer davantage. Rejoignez vos couvents respectifs, l’âge en vient.

Paris, le 1er janvier 1957

Au nom du Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste : M. Bernstein, Constant, M. Dahou, G.-E. Debord, J. Fillon, G. Gallizio, A. Jorn, R. Rumney, P. Simondo, E. Verrone, G. J Wolman

Rédaction de Potlatch : 32, rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.
Bureau du Bauhaus imaginiste en Hollande : 25 Henri-Polaklaan, Amsterdam C.
Laboratorio Sperimentale : 2 via XX Settembre, Alba.
Organising Commitee of the Provisional Congress for the psychogeographical fragmentation of the urban district of London c/o I.C.A., 17-18 Dover Street Picadilly, London W1.

 

« Nous vous enverrons, dans deux ou trois jours, quelques exemplaires d’une lettre ouverte que nous adressons à la Triennale de Milano, en réponse à ce qu’ils ont dit à notre propos. »

Lettre de Guy Debord aux camarades présents à Alba, 1er janvier 1957.

 

« Ci-joint un exemplaire d’une lettre à la Triennale de Milan. »

Lettre de Guy Debord à Constant, 9 janvier 1957.

 

Caro Jorn, ho ricevuto questa mattina la lettera inviata da Parigi alla XI Triennale. Anche se non porta la mia firma, ti avverto che non voglio avere più niente a che fare con il Moviemento per un Bauhaus immaginista perchè un movimento formato da genii come te e i tuoi amici francesi è fuori della mia misura.

Milan 5 gennaio 1957 – Sottsass Jr.

« De l’humour à la terreur », Potlatch n° 28, 22 mai 1957.

 

Lettre d’Asger Jorn et Guy Debord à Ettore Sottsass [Ettore Sottsass, architecte responsable de la Triennale de Milan, signataire de la plate-forme d’Alba en 1956. — Texte français d’une lettre envoyée en italien.]

Paris, le 15 janvier 1957

Sottsass,

Nous avons compris en 1956 qu’un mouvement formé de génies tels que moi et mes amis français est au-dessus de tes moyens : donc la lettre ne portait pas ta signature. À présent, suffit.

Jorn, Debord

 

« Sers-toi de notre lettre à la Triennale comme critère du comportement moral de ces gens en précisant naturellement que les injures ont été réparties arbitrairement entre des personnages dont nous ne connaissions même pas les noms. En effet, malgré son caractère totalement anodin, cette lettre fait visiblement le partage entre les Italiens acceptables et les imbéciles qui voulaient s’amuser sans danger auprès de nous. L’architecte milanais Ettore Sottsass, qui avait participé au congrès d’Alba, mais qui ne nous avait pas paru capable de faire quelque chose de bon avec nous, a écrit à Jorn dès qu’il a appris comment nous traitions la Triennale, pour dire qu’il ne voulait plus avoir rien de commun avec nous “perchè un movimento formato da genii come te e i tuoi amici francesi è fuori delle mia misura”. »

Lettre de Guy Debord à Ralph Rumney, 16 janvier 1957.

 

« J’ai communiqué ta réponse à nos amis.

Nous sommes bien d’accord sur le fait que la position du Bauhaus imaginiste était insuffisante. La lettre à la Triennale a entraîné une protestation des Albares (cette lettre avait été envoyée seulement pour les mettre au pied du mur, Asger ayant jugé Simondo à Turin très au delà de l’opportunisme tolérable), et la démission éclatante de Sottsass, que tout le monde avait oublié. Nous n’avons donc plus de relations avec les Albares, Olmo excepté. Mais nous avons quelques adhésions et contacts nouveaux. »

Lettre de Guy Debord à Constant, 19 janvier 1957.

 

« À propos de la Triennale, voici notre avis très définitif :

1°) Cette affaire de la Triennale était une très petite affaire. Elle est complètement finie. Nous ne devons pas nous en occuper encore, jusqu’à faire de ce petit détail un acte important de notre groupe. Ces gens de la Triennale ne méritent pas notre attention plus longtemps. Il faut rester sur la position de notre lettre, ni plus ni moins. Car s’ils disent que cette lettre a été faite à Alba (par de jeunes provinciaux) c’est pour essayer de diminuer la gravité des injures que le public italien les a vu recevoir de la part de l’avant-garde internationale. Ce qui est le plus pénible pour eux c’est que l’on sacheque nous avons tous effectivement signé cela !

2°) Il ne s’agit pas de se “venger” des gens d’Alba. Ils ont fait sottement un geste qui empêche la collaboration entre eux et nous. C’est tout. Nous n’avons pas d’hostilité contre eux ; nous pensons simplement qu’en nous obligeant à la rupture, ils ont perdu beaucoup, et que nous, nous n’avons rien perdu.

Donc, il ne faut pas leur envoyer des lettres d’injures. Mais surtout, si nous leur écrivions des lettres d’injures, nous ne devrions pas les faire signer par des individus comme Baj et Manzoni qui sont encore plus éloignés de nous que les gens d’Alba. »

Lettre de Guy Debord à Ralph Rumney, 23 janvier 1957.

 

« (…) nous avons pris conscience de certaines méthodes irrationnelles, néfastes et choquantes, appliquées par Asger, depuis deux mois en tout cas, dans les affaires du mouvement. J’en donne deux exemples :

a) la lettre à la Triennale avait été discutée en décembre par Asger et nos amis italiens, et approuvée par tous à condition qu’elle ne soit pas injurieuse (ceci pour diverses raisons tactiques — par exemple une perte de possibilités économiques à Alba, qui s’est en effet produite). Nous l’avons rédigée à Paris sans avoir eu connaissance de cette discussion préalable. Il est bien évident alors que la réaction d’Alba se trouve formellement justifiée : l’envoi de notre lettre n’engageait pas le groupe d’Alba sans prendre son avis — ce qui est faisable — mais contre son avis nettement exprimé. (…) »

Lettre de Guy Debord, Piero Simondo et Michèle Bernstein à Ralph Rumney, 3 février 1957.

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