Arrêtons d’être fièrEs, soyons révolutionnaires !

Merveilleux pied de nez de l’Histoire : tandis que notre droite moisie expose au grand jour ses accointances avec le Front National en reprenant le discours des Le Pen père et fille contre les immigréEs arabes et les musulmanEs françaisEs (présentéEs comme les ennemiEs des gays, ce qui est faux ; ce qui est vrai, en revanche, c’est que la droite, elle, nous déteste et nous discrimine à longueur de temps : nous ne serons pas l’alibi universaliste et tolérant de leur racisme !), ces mêmes arabes, ulcéréEs par les effets dégueulasses du néolibéralisme et de la dictature sur leurs vies, montrent héroïquement en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen, en Syrie qu’on peut changer les choses. Que le peuple dans la rue, ça veut dire quelque chose. Que rien n’est fatal. Que se battre pour l’égalité, la liberté, un autre futur, ce n’est pas qu’un écho vague des luttes de libération des années 70, mais c’est d’une actualité brûlante, c’est d’un enthousiasme contagieux. Aujourd’hui, ce sont les arabes, dans toute la radicalité de leur indignation, qui incitent l’Espagne, la Grèce, et la France, à se révolter à leur tour. C’est le souffle de l’émancipation que nous voudrions retrouver dans nos rassemblements et nos manifs et pourquoi pas celle d’aujourd’hui, en écho aux luttes de libération des années 1970 : celle de Stonewall, émeute sublime, moment où les pédés, les gouines et les trans’ ont pris leur destin en main. Où ils et elles ont décidé de se libérer de l’oppression. Trois jours et trois nuits de sédition à New York en 1969 : qu’elle était belle et révolutionnaire, cette colère !

Si belle que, depuis, année après année, on descend dans la rue pour commémorer ce moment, pour se rappeler d’où on vient, que toute lutte de libération, dans le fond, ne peut naître que dans la rue. Mais, de plus en plus, ce souvenir s’enlumine dans nos mémoires et prend la poussière dans nos consciences.

Nous sommes fierEs, paraît-il. Mais fièrEs de quoi, et de qui ?

Nous nous sommes contentéEs de bien peu, finalement : un ou deux bars gay, quelques élus pédés, un sous-droit, une série lesbienne à la télé…

N’y a-t-il vraiment plus aucune raison de se battre ? Certes, nous sommes de plus en plus souvent KO, à genoux, épuiséEs ; tous les jours un peu plus sidéréEs par l’abjection de ce gouvernement, lui

— qui expulse et donc condamne à mort les étrangerEs malades,

— qui pénalise les putes sous prétexte de défense des femmes (alors que Sarkozy s’interrogeait le 8 mars sur l’utilité de la Journée des femmes, alors qu’il est de plus en plus difficile d’avorter, alors que les femmes gagnent toujours 25 % de salaire en moins à travail égal…),

— qui refuse aux toxicomanes les salles de shoot permettant la réduction des risques,

— qui ignore toujours l’urgence de la lutte contre le SIDA,

— qui fait croire qu’il lutte contre l’homophobie tout en laissant ses éluEs nous insulter,

— qui empêche avec obstination toute avancée vers l’égalité des droits (ils sont contre le mariage, contre l’adoption, contre l’aide à la procréation médicalement assistée…),

— qui reste de marbre quand nos sœurs sont menacées en Ouganda (où une loi prévoit de condamner à mort les personnes LGBTI), tabassées à Moscou (où la Gay Pride, comme tous les ans depuis 2006, s’est terminée dans la violence et la répression de la police et des fachos),

— qui bétonne les franchises médicales et dérembourse les médicaments à tour de bras,

— qui veut mettre les chômeurs au travail forcé,

— qui continue de détruire les services publics, les retraites, la Sécu…

Bref : qui appauvrit les pauvres et enrichit les riches et qui, pour mieux régner, essaie de nous monter les unEs contre les autres : salariéEs contre chômeurs/-euses, « bien-portantEs » contre malades, hommes contre femmes, homos contre hétéros, « de souche » contre « originaire de », sédentaires contre migrantEs, blancHEs contre non-blancHEs.

Aujourd’hui, cette politique raciste, sexiste, homophobe, anti-pauvres : capitaliste et patriarcale, ne nous donne en rien envie de danser au rythme de la techno.

Elle ne nous donne pas plus envie de « voter » pour les candidatEs à « l’alternance » présidentielle présentée comme la panacée à tous nos problèmes : qu’attendre des promesses d’un PS toujours plus à droite qu’on a hélas déjà si tristement vu à l’œuvre ?

Cette année, c’est un comble, elle ne nous donne même plus envie de nous mobiliser, comme ce fut le cas en 2004, « pour la parentalité », même si nous rageons évidemment de voir nos familles toujours ignorées par la loi. Cette politique monstrueuse nous fait plutôt rêver d’un rassemblement plus vaste qu’un cortège de quelques milliers de transpédégouines, plus durable qu’un après-midi ensoleillé, plus désespérément et radicalement enragé qu’un défilé convenu et festif.

À nous aussi, elle nous donne envie de hurler « Dégage ! »

À Moscou, ils prennent des torgnoles, ici on danse en farandoles… mais demain : la Carmagnole !

TransPédéGouines de Strasbourg, le 10 juin 2011.

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Une réponse à Arrêtons d’être fièrEs, soyons révolutionnaires !

  1. Robin dit :

    Joli texte, voici un petit appel que l’on a fait sur Toulouse pour organiser un pinkbloc à la gay pride de cette année :

    Appel à une insurrection du désir !

    Nous ne sommes pas capitalisables, nous sommes ingouvernables.

    En 42 ans, la marche, dite, des fiertés homosexuelles est devenue une institution tristement normalisée et se montre, dorénavant, comme parfaitement dépolitisée.

    Pourtant en 1969, à New York, une répression policière au bar homosexuel Stonewall Inn déclenche une série de manifestations contre l’autoritarisme étatique. Cette lutte populaire et politique contre l’ordre moral demeure exemplaire pour toutes celles et pour tous ceux qui souhaitent définir et assumer l’orientation et les pratiques sexuelles qui leur agréent en les inscrivant, clairement, au cœur d’enjeux politiques et révolutionnaires. Le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) ou, plus contemporain, le collectif des Panthères Roses prolongent cette revendication d’une liberté de la sexualité alliée aux luttes sociales anticapitalistes.

    Les actions, menées lors des années 1980, se sont principalement axées sur de la lutte contre le SIDA. L’objectif était, à la fois, de dénoncer la stigmatisation dont étaient victimes les populations homosexuelles mais, également, d’exiger de l’État la prise en charge de cette épidémie afin d’en limiter, au mieux, l’incidence.

    Sans remettre en question la légitimité et la nécessité de cette lutte, celle-ci entraîne, malgré elle, une mise à l’écart des revendications révolutionnaires et sociales au sein du mouvement LGBT (Lesbienne, Gay, Bi, Trans) occultées par une marchandisation de la sexualité. Par cette dépolitisation, le mouvement n’a fait qu’obéir au carcan normatif d’une population hétérosexuelle pour qui les homosexuel-le-s ne s’épanouiraient que dans les limites d’une sexualité consumériste, libidinale et superficielle.

    Aujourd’hui, le seul héritage des émeutes de Stonewall serait donc la Gaypride… C’est pourquoi, il est, plus que jamais, nécessaire de se rapproprier cette manifestation. En effet, la population, dite, LGBT tend progressivement à se fondre dans un moule normatif dicté par les règles du patriarcat, par essence, hétérosexiste. Le combat pour l’institution du mariage homosexuel est, en ce sens, un exemple probant.

    Bien que la revendication de l’égalité des droits soit évidemment juste, le combat pour l’union civile entérinée par l’État doit être remis en question. Sanctifié par l’Église puis repris par la République, le mariage oblige à un modèle du couple et à une trajectoire de vie prisonniers de toutes les bassesses et de toutes les hypocrisies. Si d’aucun-e-s hétérosexuel-le-s ont toujours revendiqué le mariage à leur profit, pourquoi les homosexuel-le-s devraient-ils/elles, en tant que personnes pointées comme différentes sinon déviantes, se soumettre à ce schéma coercitif ?

    Pour couronner le tout, ajoutons à cela, un défilé qui a, cette année, pour nauséeux et lamentable mot d’ordre « En 2011, marchons, en 2012, votons ! ». Mais pourquoi les homosexuel-le-s devraient-ils/elles céder au diktat d’une démocratie bourgeoise ? À aucun moment, nous ne devons accepter d’enchaîner nos vies, nos désirs et nos rêves, aux pitoyables mièvreries et aux casuistiques jérémiades d’un État capitaliste qui, pour l’unique intérêt de quelques-uns, n’a de cesse d’asservir et d’appauvrir le peuple.

    C’est ici que l’apport théorique et militant du mouvement Queer est, plus que jamais, important. Des auteures telles que Judith Butler ou Marie Hélène Bourcier ont, en effet, permis de réconcilier la politique et la sexualité en réhabilitant la portée subversive du désir et du plaisir.

    En France, cette volonté trouve notamment son plein épanouissement avec le mouvement, dit, Transpédégouine. S’inspirant des théories féministes du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) et du Black Feminism, les transpédégouines se revendiquent comme, foncièrement, anticapitalistes, antisexistes, antiracistes et anarchistes. Par ce qualificatif, les personnes désavouées par l’homophobie se rapproprient les insultes et les clichés véhiculé-e-s par la société dominante. Elles redonnent ainsi une charge politique et une dignité à ce qui n’était, jusque-là, qu’oppressions et avilissements. Au-delà, la bisexualité, trop souvent négligée sinon niée, demeure fréquemment perçue, tantôt, comme une mode, tantôt, comme une peur d’assumer son homosexualité. Le désir et le plaisir n’ont pourtant pas à être déterminés autrement que par les personnes qui les vivent. Cette liberté de l’individu à se définir et à s’assumer comme tel concerne, d’ailleurs, tout autant les personnes qui font le choix de la prostitution. La liberté de disposer de son corps doit redonner une capacité d’action aux individu-e-s auxquel-le-s la parole a été confisquée.

    Affirmer, enfin, la sexualité comme un acte militant pose aussi la question de la déconstruction du genre. Les transsexuel-le-s sont, aujourd’hui encore, classé-e-s et analysé-e-s, dans la presque totalité des pays, comme des malades mentaux-les. Si la France a retiré le transsexualisme de la liste des affections psychiatriques (Décret paru au Journal officiel), ne serait-ce pas pour mieux réduire la part des soins prise en charge par la Sécurité sociale ? De fait, elle rendrait l’accès aux traitements plus difficile encore et elle renforcerait l’exclusion sociale. Loin de trouver son fondement au sein d’une hypothétique cause naturelle, la difficulté du passage d’un sexe à un autre, et d’un genre à un autre, vient d’une Société qui fige et qui cloisonne les identités sexuelles et sexuées à la faveur d’un modèle dominant légitimé par de fallacieuses références à la nature et à la morale. Les préjugés restent ainsi enfermés dans le cadre d’une dichotomie mâle/femelle et femme/homme. Cette fade et trop rassurante dualité contribue, finalement, au renforcement du contrôle des individus par le Capital et par l’État. Ceci, tout simplement, parce qu’elle ne remet, à aucun moment, en question la famille comme noyau du système capitaliste de reproduction de la force de travail. Au sein de la structure familiale se développe, en effet, les germes de la soumission à l’autorité patriarcale, du sexisme et de la misogynie, de la hiérarchie des individus et du déterminisme des rôles sociaux.

    Trans, trav’, pédés, gouines, bi’, prostitué-e-s, féministes ou anarchistes, nous refusons, toutes et tous, de nous soumettre à quelque ordre moral ou social. Nous refusons, par ailleurs, de voir un outil de lutte et d’émancipation devenir une pathétique kermesse où les récupérations marchandes le disputent aux manœuvres électoralistes. Nous réaffirmons, ici, toute l’importance de l’enjeu politique sous-jacent à la libre expression de nos choix individuels, de nos sentiments et de nos pratiques. Parce que nous exprimons la toute-puissance du désir et la farouche contestation du capitalisme, nous sommes révolutionnaires !

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