Le printemps des révolutions arabes éclot… en Espagne ?

 

Sans maison, sans taf, sans retraite, sans peur

Les vents de révolution auraient-ils réussi la traversée du détroit de Gibraltar ? Pourrait-on imaginer que l’élan de la subversion né en Tunisie finirait par gagner aussi l’Europe ? Les mobilisations en cours en Espagne, au Portugal, en Grèce, ces derniers mois, invitent à rêver : un germe de révolution serait-il enfin en train de pousser ?…

La semaine dernière, des milliers de personnes sont descendues dans plus de 50 villes espagnoles pour crier leur ras-le-bol et leur mécontentement contre toute la classe politique, principale responsable d’une crise qui enfonce le pays dans une précarité devenue insoluble. Depuis lors ce mouvement, baptisé « Movimiento 15-M » (parce que né le 15 mai) ne cesse de prendre de l’ampleur. Depuis le début de la semaine dernière, et à l’aune du succès de la journée du 15 mai, des centaines de militants avaient décidé d’occuper spontanément les places des villes les plus importantes. Ceci avait provoqué une vague immédiate d’arrestations ; mais la répression n’a pas fait reculer : au contraire, la madrilène « Puerta del Sol » est devenue, tout comme la place Tahrir au Caire, le haut lieu de résistance qui ne cesse de rassembler de plus en plus de monde. Cela fait une dizaine de jours que des milliers de personnes campent sur la place. Au début, il était question d’y rester jusqu’à la journée des élections municipales du 22 mai. Les résultats n’ont rien changé : le campement continue.

Les Espagnols se disent indignés et affirment ne plus avoir peur (« Sans maison, sans taf, sans retraite, sans peur » était un des slogans que l’on pouvait lire sur les pancartes). Cette mobilisation massive est en effet la réponse collective et organisée de la société espagnole face à une situation politique, économique et sociale qui devient de plus en plus tendue. 21% de la population est au chômage. À cela s’ajoute un pacte social qui entérine la précarité comme mode de vie. Aucune perspective de futur pour les jeunes. Des conditions de travail de plus en plus dures. Plus de retraite digne de ce nom. Les élections municipales arrivent dans un climat particulièrement tendu, parce que la crise ne cesse de s’aggraver et que les partis politiques ne représentent plus personne. Que réclament-ils ? L’engagement de tous dans la vie politique et sociale, plus de justice, des services publics pour tous, un changement global et réel. Des initiatives pour lutter contre la précarité sont envisagées : comme l’occupation de logements vides, décision prise aujourd’hui en assemblée générale. Dans les autres villes, des assemblées générales ont lieu tous les jours.

Le succès de la mobilisation surprend tout le monde : ni les médias, ni les partis de gauche, ni les syndicats majoritaires n’avaient pensé qu’elle serait à ce point suivie et reconduite. La population s’organise, dans toutes les villes, en dehors des circuits traditionnels, de manière spontanée, en assemblées générales dans la rue, par Internet, par téléphone… Les révolutions arabes et les révoltes en Grèce sont devenues le modèle à suivre. L’hétérogénéité des manifestants est aussi inédite : les moteurs de cette révolte ne sont pas forcément des militants chevronnés, mais plutôt des individus anonymes, désabusés, sans expérience de lutte préalable ; ce qui explique aussi que ce mouvement se revendique parfois « apolitique » ou « citoyenniste ». Dans tous les cas, il s’agit d’un mouvement très large qui s’inspire des pratiques libertaires dans son mode d’action et qui est jusqu’à présent capable de rassembler des gens très hétéroclites.

À noter que ce mouvement d’occupation des places publiques fait tâche d’huile, au Portugal notamment (place du Rossio à Lisbonne), ou les jeunes précaires sont mobilisés depuis le mois de mars. Des appels à des rassemblements spontanés sont aussi prévus en France pour les jours qui viennent.

La jeunesse européenne va-t-elle se réveiller ? En tout état de cause, nous soutenons les Espagnols dans l’expression de leur désarroi et colère, espérant qu’il s’agit d’un signe annonçant quelque chose de plus large et profond, ouvertement politique et anticapitaliste. De la même manière nous soutenons les peuples portugais et grecs, dans cette même en lutte. La CNT-f espère que ce ne soit pas qu’un feu de paille, mais bien les braises d’une révolution sociale.

Secrétariat international de la CNT, 24 mai 2011.

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