Le stage en immersion à la caserne de Monthléry s’est révélé une expérimentation hasardeuse et à l’idéologie dangereuse.
Cela s’est passé durant la semaine du 2 au 6 mai, dans la caserne militaire du 121e régiment de Montlhéry. Dix collégiens venus de l’établissement de réinsertion scolaire (ERS) de Nanterre ont été aux ordres de l’armée pendant une semaine.
Ce stage en immersion était présenté par l’inspecteur d’académie des Hauts-de-Seine comme une « expérimentation de coopération entre l’Éducation nationale et la Défense ».
Étaient concernés des élèves exclus définitivement de leur établissement au moins une fois, et pour lesquels l’Éducation nationale espérait, semble-t-il, qu’une telle expérience leur apprendrait à marcher « au pas cadencé » (formule extraite d’un document de l’inspection d’académie pour ce stage), en entonnant La Marseillaise comme un seul homme à la levée du drapeau tricolore tous les matins.
Car le principe d’une immersion a été respecté à la lettre : uniforme pour tout le monde, y compris pour le personnel présent sur le terrain (dont une psychologue scolaire !), réveil à 5h30 du matin, garde-à-vous, hymne national, travaux d’intérêt général, apprentissage du code du soldat, parcours d’obstacles, marche à pied…
Des sorties ont aussi été organisées, notamment la visite du musée de l’Armée aux Invalides et le ravivage de la flamme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe.
L’opération de com tourne au cauchemar pour les autorités — Non, ce n’est pas un mauvais rêve. Nous sommes en France et cela se passe en 2011. On imagine la suite.
Ce fut une semaine émaillée d’incidents, d’altercations entre les élèves eux-mêmes, entre les élèves et les gradés. Insultes, coups, menaces. « C’était très difficilement gérable », reconnait même un gradé dans Le Parisien.
Ainsi, la cérémonie du ravivage de la flamme sous l’Arc de Triomphe a été suivie seulement par trois élèves, les huit autres en ont été exclus, les gradés et le personnel de l’Éducation nationale craignant un incident…
Dès le deuxième jour de stage, une journaliste de télévision qui devait tourner un reportage toute la semaine sur cette expérience s’est vue refuser la possibilité de rentrer dans la caserne.
Un tel fiasco n’avait apparemment pas été prévu ni par l’armée, ni par l’Éducation nationale qui avaient donné au départ l’autorisation de filmer largement pour mettre ainsi en avant un projet académique innovant.
La journaliste n’a pu revenir que le vendredi, et les élèves ont alors toujours été « accompagnés » lors de leur interview ce jour-là.
Absence de réflexion et sirènes idéologiques inquiétantes — Cette « expérimentation » consternante réalisée par des fonctionnaires de l’école républicaine nous dit plusieurs choses.
D’abord, l’absence de réflexion de certains responsables de l’Éducation nationale s’agissant des problématiques concernant les élèves en voie de déscolarisation. Au point de se bercer de douces illusions, espérant qu’un tel cadre proposé redonnerait, comme par magie, aux adolescents concernés le goût de l’effort et le sens de la discipline.
Ensuite, derrière cette naïveté qui révèle un vide conceptuel sur les notions d’apprentissage et de politiques éducatives, pointent des sirènes idéologiques particulièrement inquiétantes.
Ce stage en immersion dans une caserne militaire marque la volonté de faire adhérer spécifiquement ces élèves à la nation française dont l’armée serait le dépositaire, et dont eux, issus de l’immigration, seraient dépourvus.
Le parcours chaotique de la semaine de stage révélerait alors immanquablement le caractère définitivement inassimilable de ces catégories de population « pas comme nous », et qui ne « nous » veulent pas.
Les sites d’extrême-droite réjouis par l’échec de l’opération — De multiples sites d’extrême droite (Fdesouche.com, Defrancisation.com entre autres) et le Front national lui-même (sur le site de la Fédération départementale de l’Essonne) ne s’y sont pas trompés en reprenant immédiatement l’article du Parisien (6 mai) qui évoquait ce stage, comme nouvelle preuve du bien fondé de leur position.
Le titre « Réinsertion de la racaille : échec total » du site Françaisdefrance apparait comme un condensé de ces points de vue.
Cet événement nous montre également que les discours entendus sur les immigrés, les « jeunes des cités » et sur l’identité nationale depuis plusieurs années au sein même du pouvoir ont des effets concrets sur des politiques publiques que mènent certains agents de l’État sur le terrain.
Les dépositaires de cet ordre du discours ne sont pas seulement des responsables académiques censés répondre aux attentes du pouvoir pour traiter ces exclus du système scolaire.
Le fait que différents agents de l’Éducation nationale se soient pris au « jeu » en enfilant un uniforme pendant toute la semaine face à leurs élèves n’est pas l’élément le moins troublant de cette confusion des genres.
Des réminiscences du colonialisme à la française — Les héritages de la France coloniale résident aussi dans cette intention partagée de confier ces jeunes, rebelles à l’autorité, par des soldats. Le revêtement de l’uniforme, on l’a dit, mais également les marches à pied, la mise au garde à vous, le réveil matinal, tout cela participe d’une volonté de domestiquer ces « corps-frontières », comme le définit la sociologue Nacira Guénif-Souilamas, que l’on enferme.
L’exercice de coercition n’a pu aller à terme, les soldats ne pouvant appliquer les sanctions habituelles, et en premier lieu, les séries de pompes… Mais nous sommes bien là face à une catégorisation ethno-raciale mis en œuvre dans le fonctionnement ordinaire d’un organisme public.
Ce référent ethno-racial, implicite au sein de l’Éducation nationale — explicite sur les sites d’extrême-droite précités —, est mobilisé par ses agents pour naturaliser leurs difficultés professionnelles. Un tel stage aboutissant à un échec permet d’ailleurs de justifier le discours déculpabilisant mettant en avant le fait qu’il n’y a rien à faire avec « eux ».
Même en situation d’échec, ces jeunes sont confiés à l’école — Pour finir, envoyer ces collégiens vivre une semaine « à la dure » dans une caserne, revient à les engager eux-mêmes dans un processus de désinstitutionalisation dont ils n’ont évidemment pas besoin.
Quelles que soient les fautes commises qui leur ont valu une ou plusieurs exclusions de leur établissement scolaire, ils restent des élèves dont l’institution scolaire a encore la charge.
L’école renonce à sa mission dès lors qu’elle décide — même provisoirement — de ne plus s’adresser à l’enfant comme élève, mais comme personne portant un uniforme militaire et enfermé dans une caserne.
L’organisation d’un tel stage participe du processus de disqualification dont ces élèves sont l’objet dans notre société, processus dont l’Éducation Nationale apparait aussi comme l’un des principaux acteurs.
Leur presse (Sébastien Ledoux – Enseignant et chercheur ; Rue 89), 23 mai 2011.
Les jeunes difficiles à l’école de l’armée
Les collégiens de l’établissement de réinsertion scolaire de Nanterre ont participé à un stage militaire cette semaine. Avec un résultat plutôt mitigé…
Ce matin, ce sera la quille pour une quinzaine d’adolescents de Nanterre. Depuis le début de la semaine, ces collégiens, élèves de l’établissement de réinsertion scolaire (ERS), des jeunes en très grande difficulté, sont en stage au 121e régiment du train (121e RT) de Montlhéry, en Essonne. Comme chaque jour dans le cadre de cette expérience, ils vont se lever à 5h30, avaler un rapide petit déjeuner et se mettre au garde à vous le temps d’une cérémonie des couleurs.
Une Marseillaise plus tard et ils recevront un diplôme avant de repartir vers Nanterre en début d’après-midi.
Sur le papier, l’expérience avait de quoi séduire. L’Éducation nationale avait décidé d’immerger ces jeunes réputés à problèmes, tous exclus au moins une fois d’un établissement scolaire, dans un milieu où les maîtres mots sont rigueur, effort et discipline : l’armée.
Le 121e RT, un régiment spécialisé dans les transports, et dont une grande partie des effectifs est originaire de la région, n’avait pas été choisi au hasard. Malgré tout, il semblerait que les ados du 9-2 aient donné du fil à retordre aux militaires professionnels. Si cette unité n’a rien d’un bataillon disciplinaire, le 121e n’est pas non plus un camp de vacances. Le programme mêlait aspects très militaires et notions civiques : réveil aux aurores, treillis-rangers pour tous, du sport, des travaux d’intérêt général (TIG : le ménage dans le jargon militaire !), apprendre la Marseillaise, s’initier au maniement d’un défibrillateur, découvrir le code du soldat, parcours d’obstacles, une visite au musée des Invalides, etc. Ils devaient aussi intégrer la science du paquetage, de la course d’orientation, du bivouac et s’adonner à une petite marche de 5 km. Un document émanant de l’inspection d’académie précisait, sans doute dans un excès d’optimisme : « Tous les déplacements se feront au pas cadencé »…
Des espoirs en grande partie déçus. Cette semaine placée sous le signe de l’autorité s’est finalement révélée très tendue. Au point que la hiérarchie militaire a décidé de ne pas la médiatiser plus que cela. Peu désireuse que cette opération soit considérée comme un fiasco, la Grande Muette s’est montrée peu loquace. Selon nos informations, le stage a été marqué par des altercations à répétition et une hostilité ouverte à l’égard des encadrants militaires. Quand à la Marseillaise, il n’y a pas que sur les terrains de foot qu’elle a été bafouée. « Certains la chantaient en rap en modifiant les paroles comme on peut l’imaginer, soupire un gradé. On a beau avoir essayé de les séparer, d’isoler ceux qui apparaissaient comme des meneurs, c’était très difficilement gérable. » Une des raisons de ces problèmes tient au statut de ces jeunes. Ils ont beau se trouver dans une enceinte militaire, ils restent mineurs et civils. Pas forcément formés à une pédagogie de pointe, les militaires se trouvaient donc limités dans leurs moyens de coercition. Impossible de leur imposer les traditionnelles séries de pompes en cas de manquement à l’autorité. « L’Éducation nationale a sans doute compté sur nous pour les mater… » résume un militaire avec amertume. Raté ! Malgré tout, du côté des militaires comme de l’Éducation nationale, on espère que l’expérience n’aura pas été totalement inutile.
Leur presse (Olivier Bureau, Le Parisien), 6 mai 2011.
En 2003, Cyril Driancourt, un adolescent de 15 ans atteint d’un retard mental, est confié à l’aide sociale à l’enfance du Finistère, sur ordonnance du juge pour enfants de Brest, après des violences et une fugue de son école spécialisée. On lui propose alors un «séjour de rupture» en Afrique, sorte de pari éducatif censé le faire rentrer dans le «droit chemin». Pendant six mois, l’adolescent devra aider à la construction d’un village fermier à Livingstone, dans le sud de la Zambie.
http://ecolesdifferentes.free.fr/BICEPS2.html
Mouais l’article du prof de rue 89 pue autant que celui du parisien.
Ils veulent rouvrir les vieux « Boot Camp » des années 90′ ?
« Pas forcément formés à une pédagogie de pointe, les militaires se trouvaient donc limités dans leurs moyens de coercition »
Mouarf !!!