Il y a des signes qui ne trompent pas : lors des dernières et avant-dernières échéances électorales (régionales et cantonales), les observateurs attentifs ont pu constater un glissement sémantique qui n’avait rien d’anodin : le Front National, jusqu’alors présenté comme d’« extrême-droite » (mais rarement comme fasciste) devient sous la plume des journalistes « droite nationaliste ». Dans le même temps, les grandes manœuvres du gouvernement sur l’identité nationale et la déferlante raciste contre les Rroms, les Arabes (sortie d’Hortefeux sur les Auvergnats) et les musulmans (ou considérés comme tels par un discours racialisant, c’est-à-dire les Noirs, les Arabes, les Turcs…) s’accompagnent d’une stratégie de réhabilitation politique du nationalisme en général, et du FN en particulier.
Cette réhabilitation est portée notamment par la Droite populaire, courant ouvertement nationaliste et raciste au sein de l’UMP, regroupant notamment des anciens des réseaux néocolonialistes et souverainistes proches de Pasqua (Thierry Mariani, figure bien connue de la Françafrique…), des anciens d’Occident reconvertis à l’UMP (Labaune…), et des membres du MIL (Vitel…), mouvement gaulliste héritier du SAC (Service d’action civique, milice armée gaulliste) qui s’est illustré notamment par son anticommunisme et sa volonté de contester l’hégémonie politique au mouvement ouvrier dans les entreprises après 68.
Le nationalisme irrigue l’ensemble de la classe politique, mais les nationalistes revendiqués (dont le FN) jouent le rôle d’aiguillon idéologique, et plus particulièrement les nationalistes révolutionnaires, dont les identitaires font partie. Mais la facilité avec laquelle leur discours fraye sa voix dans l’espace public n’a rien d’un hasard : il bénéficie de l’attitude pour le moins complaisante d’une partie de la presse, attitude qui se traduit par plusieurs axes :
— D’abord, la reprise par les journalistes des thématiques et axes stratégiques de la communication fasciste. On a ainsi pu voir Geoffrey Mercier « journaliste » (sic) du Progrès, affirmer, en faisant référence aux violences fascistes du week-end du 14-15 mai 2011 à Lyon (qu’il minimise par ailleurs), que les « organisateurs du “rassemblement pour la liberté”, des Identitaires un peu naïfs (…) n’imaginaient pas que seules les bonnes âmes pouvaient être intéressées par un discours anti-islam ». Une telle détermination à disculper les identitaires de toute responsabilité dans les violences fascistes (en créant une distinction artificielle entre organisateurs du rassemblement et auteurs de la ratonnade de Saint-Jean et des agressions à la Croix Rousse) n’est pas de la naïveté de la part de Geoffrey Mercier. C’est un choix politique conscient…
Dans le même numéro du Progrès, les identitaires ont droit à un article publicitaire, reprenant in extenso le discours des identitaires sur le hallal, partie prenante d’une stratégie de discours qui, en s’attaquant à l’islam, vise avant tout à diffuser un discours raciste.
— Ensuite, la reprise par les journalistes du discours de l’État et de la Police, de manière acritique.
Dans les jours qui ont précédé le week-end, on a vu la quasi-totalité de la presse lyonnaise (et nationale) reprendre l’axe de communication de la Préfecture : celui d’une prétendue « guerre extrême-gauche/extrême-droite ».
Du côté de l’État…
De la part de la Préfecture, ce discours n’étonne pas :
Sur le plan individuel, Carenco — préfet du Rhône —, derrière ses discours pseudo-républicains, affiche ses sympathies ou au moins sa complaisance pour certains fascistes (entre partisans de l’ordre bourgeois, on se comprend) : la première personne à qui il a serré la main lors de la soirée électorale organisée à la Préfecture lors des cantonales n’est autre que Gollnish.
Sur le plan structurel, l’État, sans avoir l’air d’y toucher, sert la soupe aux fascistes, dont il a besoin pour briser le mouvement social, monter les exploit-é-s les un-e-s contre les autres, dévier la révolte populaire contre le capitalisme.
Les exemples de ce soutien implicite sont nombreux : en ouvrant les barrages de police aux agresseurs fascistes lors du rassemblement contre la venue de Besson en janvier 2010, en ciblant les militant-e-s antifascistes et, en laissant dans le même temps les fascistes à la manœuvre (manif fasciste « anti-casseurs » lors du mouvement des retraites, défilé fasciste ce samedi 14 mai), les interpellant mollement (pour les relâcher quelques heures plus tard) afin de préserver les apparences.
La rhétorique de la « guerre des extrêmes » servie par la Préfecture a une fonction : évacuer la question du fascisme, la question du racisme, du nationalisme.
Cette lecture « apolitique », « d’ordre public » est en fait précisément politique : elle permet de présenter antifascistes et fascistes comme deux groupes excités irrationnels, alors que d’un côté les un-e-s combattent pour l’égalité sociale, et de l’autre ils combattent pour la domination raciste.
Cette approche idéologique permet ainsi de justifier idéologiquement la répression des antifascistes, et de les coincer entre le marteau de la violence fasciste et l’enclume de la répression institutionnelle de l’État. Cela permet de faire effectuer le sale boulot de l’intimidation politique par les fascistes, tout en essayant de dissuader l’autodéfense antifasciste.
La réalité sur Lyon c’est que les fascistes mènent depuis plus de deux ans une politique d’agressions politiques, racistes, homophobes, et cela avec la complaisance de la Préfecture.
L’État n’innove pas dans son soutien indirect aux fascistes. Depuis des années, la main est dure avec les antifascistes mais de velours avec les fascistes, et ceux-ci bénéficient en plus de l’idéologie dominante imprégnée de nationalisme et de racisme, dont le racisme d’État est l’expression institutionnelle.
Du côté des journalistes
La presse dans sa quasi totalité, reprend donc de manière acritique le discours préfectoral, de la même manière qu’elle le fait pour le discours policier en général.
Qu’il s’agisse de paresse (enquêter prend du temps et est peu compatible avec la logique du « business médiatique »), de servilité (« notre bon maître ne peut pas se tromper, mentir ou travestir les faits ») ou de choix politique conscient, cette attitude des pseudos-journalistes porte une lourde responsabilité dans le développement des groupes fascistes à Lyon, et donc dans les agressions racistes, homophobes et contre les militant-e-s qui en découlent.
Quand le premier février 2011, France 3 présente un rassemblement islamophobe organisé par les fascistes sous prétexte de « soutenir les victimes des attentats de Moscou », comme le rassemblement de « jeunes étudiants » concernés (sans mentionner leur idéologie politique). Quand 20 Minutes reprend le discours des fascistes sur le hallal de manière acritique, se garde bien d’expliciter l’idéologie raciste et nationaliste révolutionnaire des identitaires, et leur offre une page de pub dans la semaine qui précède la manifestation.
Quand un Geoffrey Mercier fait mine de s’interroger comme un ingénu, toujours dans le même article traitant de la ratonnade rue Saint-Jean « Alors comment sommes-nous arrivés là ? Comment alors que le risque était identifié, que les auteurs de ces faits sont connus des services de police, ont-ils pu se retrouver dans cette situation de pouvoir envahir les rues ?», il évite soigneusement d’interroger sa propre responsabilité, et celle de ses collègues, dans cette situation. Il évite soigneusement de mettre en relief le rôle de la Préfecture, qu’il ne saurait servilement mettre en doute.
Quand un Fabien Fournier (le même auteur d’un article sur le lynchage d’un couple antifasciste qui a réussi le tour de force à ne pas préciser qu’il était présent sur les lieux et à renvoyer dos à dos les compagnons des agressés et les agresseurs) titre « Extrême-droite/Gauche : face à face explosif ce samedi », il partage aussi la responsabilité qui découle d’un discours considérant fascistes et antifascistes sur le même plan : celle de la répression contre l’antifascisme militant.
Ses collègues récidivent sur le même ton le 14 mai en titrant « Extrême-droite/gauche : des débordements malgré des mobilisations très cadrées », dans la même posture rhétorique visant à faire disparaître le fascisme de l’équation (la question serait « l’extrêmisme » et non le caractère raciste, fasciste, sexiste et homophobe de l’idéologie diffusée, renvoyant dos à dos violence raciste et autodéfense antifasciste). Mais tout cela n’est pas nouveau : dans les années 30, l’État ne se privait pas d’arrêter les militant-e-s ouvrier-e-s et plus largement antifascistes qui s’opposaient physiquement à la politique de terreur fasciste.
Du côté des politiciens « de gauche » et leurs relais associatifs…
Cette répression s’appuyait comme aujourd’hui sur le discours de « pseudo-démocrates » renvoyant dos à dos fascistes et antifascistes à cette époque. Les mêmes qui ont voté massivement les pleins pouvoir à Pétain plus tard… Ceux qui présentaient les militant-e-s antifranquistes libertaires comme des voyous ou des terroristes dans les années 50-60 et 70 alors qu’eux-mêmes commerçaient avec le régime fasciste espagnol.
Le discours pseudo-républicain sur « l’affrontement des extrêmes » est partagé également par les politiciens du PS et leurs relais associatifs tels que SOS Racisme ou la LICRA (et une partie de la LDH). Ces derniers, par voie de presse, ont appelé à annuler la manifestation antiraciste sous prétexte que la « marche des cochons » avait été interdite. On voit le résultat : une dizaine de blessés, des attaques racistes contre un kebab et plusieurs autres magasins… et surtout une étape supplémentaire de franchie dans l’implantation fasciste sur la ville.
Non contentes de cela, ces associations (comme la ville de Lyon sous houlette de Gérard Collomb) ont prétendu que le maintien de la manifestation relevait de la « provocation », ajoutant leur voix au concert qui visait à renvoyer dos à dos fascistes et antifascistes. Plus encore, leurs avocats se sont appuyés non pas sur le discours raciste des organisateurs, sur le fait qu’ils allaient organiser une démonstration de force fasciste armée pour exiger l’interdiction de la marche, mais sur le « risque d’affrontement avec l’extrême-gauche ». Un tel discours ne pouvait avoir qu’une conséquence : présenter l’autodéfense antifasciste comme une violence de même nature que celle des fascistes, et ainsi paver la voie à la répression des antifascistes. Partant, laisser le champ libre à la stratégie d’implantation des fascistes sur Lyon.
Quant à Gérard Collomb, outre la reprise des mêmes allégations, il « appelle les jeunes au calme pour que Lyon continue à rester cette belle ville où chacun a envie de vivre », renvoyant dos à dos fascistes et antifascistes sous le vocable générique de « jeunes » (l’antifascisme n’est pas une question d’âge, tout en dépolitisant la question et présentant les militants fascistes comme des « jeunes manipulés »).
Dépolitisation, excuses, relais de la rhétorique et du discours raciste et islamophobe des identitaires : sans avoir l’air d’y toucher, Préfecture, politiciens et pseudo-journalistes font la promotion du fascisme, tout en lui donnant une petite touche « rebelle » (on fait mine de dénoncer après avoir diffusé le discours, on interpelle pour relâcher dans les heures qui suivent, on amalgame l’autodéfense antifasciste à la violence fasciste) visant à accréditer leur caractère de pseudo-opposants du système, alors qu’ils servent la bourgeoisie et l’État, qu’ils en soient conscients ou non, en montant les exploité-e-s les un-e-s contre les autres et en menant la répression para-légale des mouvements populaires avec la complaisance de l’État.
B. – Rebellyon, 16 mai 2011.
Dans la rubrique « Analyse et réflexion » de Rebellyon.info lire aussi :
— Quel antifascisme aujourd’hui ?
— Sur les convergences politiques entre l’extrême-droite et la gauche laïco-xénophobe.