Intouchables : « Un filtre qui permet au spectateur de ne pas voir ce qui se trame »

« Parents d’un handicapé, le succès d’“Intouchables” nous inquiète »

M. et Mme Patricot
Parents d’un enfant handicapé

Pour ce couple à la recherche d’un centre pour leur fils polyhandicapé, l’État peut profiter de l’engouement du public pour mieux livrer les familles à elles-mêmes.

Nous, parents d’un jeune homme polyhandicapé et sourd, avons obtenu, il y a quelques jours, une audience auprès d’un membre du cabinet de Monsieur Dominique Baudis, Défenseur des droits.

Nous étions reçus suite à un courrier que nous avions envoyé dénonçant le manque de structure d’accueil pour les jeunes polyhandicapés sourds, mais aussi le manque d’accompagnement des familles.

Après un entretien d’une heure et quart, nous avons compris que nous n’avions rien à faire là, que des droits, nous n’en avions pas.

En effet, la démonstration a été faite sous nos yeux d’un désengagement assumé et volontaire de l’État sur les questions du handicap. Voici ce que nous avons entendu : que nous étions seuls responsables — voire coupables — de ce jeune homme handicapé.

Nous avons entendu que dans les années 80, les mères des handicapés ne travaillaient pas et montaient les structures d’accueil nécessaires car, à cette époque, les parents étaient plus entreprenants. Ce qui était sous-entendu, c’est que nous ne faisons rien, et que nous attendons tout des autres (voire de l’État).

La langue des signes moins pratiquée

Certes, cela ne nous a pas vraiment étonnés. Depuis deux ans, nous cherchons un lieu d’accueil susceptible de recevoir notre fils. Il n’y a aucune place nulle part (et, en plus, la langue des signes est rarement pratiquée dans les centres de jour pour polyhandicapés).

Depuis deux ans, nous sommes témoins du désengagement progressif de l’État et d’un désintérêt de tous les politiques pour la question. Les crédits disparaissent ou, mieux, sont transférés vers des causes plus lucratives que le handicap : la vieillesse ou la maladie d’Alzheimer.

D’ailleurs, à l’occasion de la primaire socialiste, nous avons adressé un courrier à tous les candidats et à des dizaines de députés de gauche comme de droite… Ce courrier n’a reçu aucune réponse.

À la fin de l’entretien, et alors que nous allions partir, notre interlocutrice nous a tendu un article du quotidien Aujourd’hui sur le succès du film « Intouchables ». C’est sur cela que nous nous sommes quittés.

Ce film est un merveilleux filtre de la réalité

L’engouement pour ce film, qui sert même de modèle dans les plus hautes sphères de l’État, pose quelques questions que nous voudrions aborder ici.

Pourquoi ce film a-t-il autant de succès ? Avançons quelques hypothèses.

Tout d’abord le film raconte l’histoire d’un homme riche, travaillant dans le luxe, qui se retrouve arrêté dans sa course et paraplégique. Le public adore. Il peut s’identifier, se dire que cela peut arriver à tout le monde…

Inutile de vous dire que jamais ce film n’aurait pas eu autant de succès si l’handicapé l’avait été de naissance (ça, ça n’arrive qu’aux autres).

Ensuite il est riche, donc il peut se payer l’aidant qu’il veut, celui qui le fera vibrer et lui permettra toutes les folies dont il rêve. Là aussi, sa richesse plaît, elle soulage. Car, qui voudrait voir ou savoir que les handicapés sont, dans la réalité, maintenus en dessous du seuil de pauvreté ?

Pour conclure, il nous semble, sans pour autant nier le plaisir que certains peuvent y prendre, que ce film est un merveilleux filtre de la réalité. Une ode aux « soignants-naturels » que l’État rêve de voir proliférer pour mieux se désengager. Un filtre qui donne bonne conscience et qui permet au spectateur de ne pas voir ce qui se trame en coulisse.

Car, même si le film raconte une partie d’une histoire vraie (j’imagine que cet homme a souffert, même si cela n’est guère montré) la réalité d’un très grand nombre de personnes handicapées est tout autre : précarisation, absence de structure d’accueil, isolation, dépression.

Tribune publiée sur Rue 89, 26 novembre 2011.


Le film Intouchables presqu’inaccessible aux handicapés à Auxerre

En fauteuil roulant depuis plusieurs années, elle se faisait une joie de voir la comédie sur le handicap qui cartonne actuellement au cinéma. La sortie a tourné au chemin de croix.

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1322495376.jpgLa galère. Geneviève Gaudin l’a vécue le 16 novembre dernier au CGR Casino d’Auxerre. Auxiliaire de vie sociale au sein de l’ADMR de Ligny-le-Chatel, elle a conduit ce jour-là l’une des personnes dont elle s’occupe voir Intouchables. La comédie phénomène construite autour du handicap et qui a déjà enregistré 5,2 millions d’entrées.

En fauteuil depuis plusieurs années, la menue quinquagénaire icaunaise se faisait une joie de cette sortie cinéma.

« J’avais pris la peine d’aller voir le film avec mon mari le lundi précédent pour voir si la salle était accessible, raconte Geneviève Gaudin. Ce soir-là, Intouchables était projeté en salle 1. Je m’étais renseignée auprès du personnel pour m’assurer que le film serait bien accessible à une personne en fauteuil. »

Mais, patatras, deux jours plus tard, Intouchables a migré en salle 2, au bas des escaliers. Julien Vergniaud, le directeur du CGR Casino ne conteste pas.

« En ce moment, la programmation des deux grandes salles se partage entre Twilight et Intouchables. En fonction de la fréquentation de la séance de 20 heures, nous pouvons modifier les salles chaque jour. Je suis donc surpris qu’on ait dit à cette dame le lundi qu’Intouchables serait en salle 1 le mercredi. Nous avons cinq-six clients handicapés qui le savent et passent un coup de fil la veille de leur venue, après 20 heures, pour connaître les salles. »

Au CGR Casino, impossible en effet d’accéder aux salles 2, 3 et 4 en fauteuil. En 2014, des travaux d’aménagement sont programmés pour pallier le problème.

L’autre mercredi, Geneviève Gaudin et sa « patiente » ont fini par voir Intouchables. Grâce à trois clients du cinéma, outrés de la situation et qui n’ont pas hésité à soulever la dame et son fauteuil pour leur faire franchir les nombreuses marches.

« Comme elle était préoccupée par la façon dont elle allait devoir ressortir de la salle, elle n’a pas vraiment pu apprécier Intouchables, regrette l’auxiliaire de vie sociale. C’est quand même un comble qu’un film qui parle du handicap soit si difficile à voir. À la sortie, nous avons à nouveau été aidés par les spectateurs. »

De quoi mettre un peu de baume au cœur de la quinquagénaire qui n’avait pas été au cinéma depuis une bonne quinzaine d’années.

Leur presse (Véronique Sellès, L’Yonne républicaine), 19 novembre 2011.


« Intouchables » : le couac à Bordeaux

À l’UGC Bordeaux, le film sur le handicap est projeté dans une salle inaccessible aux handicapés.

S’il n’avait dû voir qu’un seul film cet automne, c’était celui-ci. Mais quel calvaire pour parvenir à voir « Intouchables », la comédie mettant en scène un François Cluzet en milliardaire tétraplégique et Omar Sy dans la peau d’un voyou de banlieue. Se déplaçant uniquement en fauteuil roulant, Karl-Henri Barberousse-Polynice, 38 ans, a passé une bonne partie de son lundi après-midi à chercher une salle où il puisse le voir.

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Ascenseur pas accessible

Cet Auvergnat en vacances à Bordeaux pour quelques jours tente d’abord l’UGC Ciné-cité à Gambetta. Compte tenu de l’affluence prévue, le complexe cinématographique a programmé le film dans la salle 15, qui, avec la salle 16, est l’une des plus grandes de ce cinéma.

Problème : ces deux salles ne sont pas accessibles aux handicapés. Karl-Henri Barberousse-Polynice rebrousse chemin et se dirige vers le Méga CGR Le Français. Rassuré. Toutes les salles du nouveau cinéma sont accessibles aux personnes à mobilité réduite, les parcours à emprunter fléchés.

Arrivé à l’ascenseur, le jeune homme bute sur une petite marche de 6 à 8 centimètres à enjamber avec son fauteuil pour entrer dans l’élévateur. Impossible pour lui de monter sur cette plateforme mal réglée. « J’étais en colère, raconte-t-il. Mais déterminé. En pareil cas, soit on laisse tomber, soit on se bat. » Il prend le tramway et se rend au Mégarama à la Bastide et peut enfin s’installer pour « savourer » le film…

Son cas n’est pas unique. Dès le premier week-end de projection d’« Intouchables », des spectateurs venus en fauteuil roulant ont eux aussi dû rebrousser chemin à l’UGC Ciné-cité, non sans signifier leur mécontentement au personnel d’accueil. « C’est inadmissible ! », tempête Joël Solari, conseiller municipal en charge du handicap à la mairie de Bordeaux.

Ces remarques ont bien entendu été notifiées, en premier lieu, au patron du cinéma, Pierre Bénard. « En tant que directeur, j’ai été gêné, dit-il, c’est un film très grand public et je suis obligé de le passer en grande salle. Pour l’accès aux handicapés, je suis sensible à ce sujet et j’essaye de gérer au mieux. » Il se dit « vigilant » et, en fonction de l’évolution de l’affluence, « dès qu’on pourra le projeter dans une salle accessible, on le fera. »

Un label pour le Mégarama

L’UGC est le seul cinéma bordelais où se pose encore un souci d’accessibilité. Le Mégarama a reçu le label « Tourisme et handicap », Le Français est accessible (quand il n’y a pas de souci pour l’ascenseur), tout comme l’Utopia, dont les cinq salles sont parfaitement adaptées à l’accueil des spectateurs handicapés, à un petit bémol près : la grande salle du haut étant aménagée en gradins, l’ascenseur arrivant par le bas, les personnes handicapées doivent nécessairement s’installer au premier rang.

Leur presse (Sud-Ouest), 9 novembre 2011.

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Une réponse à Intouchables : « Un filtre qui permet au spectateur de ne pas voir ce qui se trame »

  1. aspasie dit :

    Eh oui ! Il était certain que des problèmes pour voir ce film allaient se poser quand des gens sont en fauteuil… Mais, ce qu’il faut prendre en compte surtout c’est le premier article où l’on devine vraiment les difficultés de la réalité des personnes handicapées. Ne pas pouvoir voir « Intouchables » (d’ailleurs pourquoi ce titre ?) n’est qu’une goutte d’eau… Ne pas pouvoir voir d’autres fillms, des concerts, des expos, aller à la bibliothèque, aller chercher ses enfants à l’école… Adapter son logement sinon devoir déménager si un autre logement convient… être entendu face à ses besoins, survivre tant que l’on peut dans cet isolement… Soyez confrontés rien qu’à la MDPH et on verra que la comédie commence et qu’on est loin d’avoir le sourire.
    Alors quand le handicap sert à vendre un film débile ou être un sujet de campagne pour les élections tout va bien. Si ce film rassure et amuse les valides, tant mieux pour eux, les handicapés peuvent continuer à morfler.

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