Ayman al-Aswad est arrivé en France il y a quelques semaines. Cet opposant syrien originaire de Deraa dans le sud du pays, a fui avec sa famille alors qu’il était recherché, listé parmi les opposants à éliminer. Il raconte l’étincelle qui mit le feu aux poudres : comment le régime arrêta et tortura des enfants pour un tag.
Quand êtes-vous sorti de Syrie ?
Je suis sorti clandestinement le 12 mai par la frontière jordanienne car j’étais activiste et étais poursuivi par le régime. Je suis resté sept mois ensuite dans ce pays, à relayer toutes les informations qui nous arrivaient en particulier les vidéos.
On dit que la révolution est partie de Deraa lorsque des enfants ont tagué des inscriptions contre Bachar al-Assad sur des murs de la ville. Pouvez-vous confirmer ?
Cette histoire est une raison directe du début de la révolution mais il ne faut pas occulter que la vraie raison réside dans les 40 ans durant lesquelles les Syriens ont vécu sous un régime despotique.
Quinze enfants avaient écrit sur les murs d’une école élémentaire « ton tour est arrivé docteur » [Bachar al-Assad est médecin ophtalmologiste, NDLR]. Ils ont arrêté tous ces enfants à l’exception de deux qui se sont cachés chez moi.
Ils ont torturé les enfants très violemment, ils leurs ont arraché les ongles, notamment. Il y a une vidéo bien connue qui montre le visage de l’un de ces enfants avec des hématomes.
Les parents ont demandé leur libération par l’intermédiaire des grandes familles de la ville. Mais la demande a été rejetée.
Au troisième jour, il y a eu une rumeur selon laquelle les enfants allaient être libérés pour essayer d’atténuer la révolution. En fait, ils ont apporté un groupe d’enfants dans des véhicules à l’endroit où il y avait un rassemblement de la population, à côté de la mosquée. Mais les gamins libérés n’étaient pas ceux qui avaient écrit sur les murs de l’école. Certains faisaient bien partie de ce groupe mais les autres avaient été arrêtés durant les jours précédents, aux premiers jours de la révolution. Ceux qui sont restés détenus ont été gardés longtemps.
Ils ont été libérés petit à petit, sauf un. Je ne me souviens plus de son prénom mais son nom est Abazit, c’est le fils de Saani Abazit. Ils l’ont gardé sept mois en détention car ils attendaient que les traces sur son corps disparaissent. Finalement il a été libéré lors de l’Aïd el-Fitr.
Quelle est la situation aujourd’hui à Deraa ?
À Deraa il y a toujours la présence de l’armée, il y a toujours des barrages partout. La sécurité est partout. Les centres sanitaires sont confisqués au profit des forces de sécurité, les écoles également. Même le stade est devenu le siège des forces armées et sert de centre de détention pour les habitants, dont certains sont envoyés ensuite à Damas. Il y a aussi des couvre-feux.
Et du point de vue humanitaire ?
La situation est déplorable. Cela fait onze mois que la population n’a pas de revenu, pas de travail. La seule chose qui atténue la situation c’est la solidarité entre les personnes et les dons des familles qui travaillent à l’étranger. Il y a des snipers en haut des bâtiments officiels. L’électricité et les communications sont rarement opérationnelles.
Le fioul est très rare, les bonbonnes de gaz également et lorsqu’on en trouve le prix est multiplié par quatre. Et il y a des manifestations tous les jours. Ils dispersent les manifestants avec des grenades lacrymogènes mais aussi parfois à balles réelles. Tout rassemblement à Deraa est une manifestation. Quand les élèves sortaient de l’école au début ils manifestaient.
Quelle activité aviez-vous dans la révolution ?
Je suis un opposant indépendant. Dès le premier jour j’ai participé aux manifestations et comme j’étais déjà militant j’ai aidé à formuler les revendications, à organiser le mouvement. Dès le premier jour, en fait, BBC arabic m’a appelé. Alors j’ai commencé à donner des informations à l’extérieur du pays, ensuite d’autres médias ont fait de même : France 24, Al-Jazeera… Nous étions plein d’espoir et je suis resté sous ma propre identité.
Les 20 premiers jours j’étais le seul à témoigner. On a essayé de m’arrêter le troisième jour des manifestations. J’étais visé mais j’ai pu m’échapper. J’ai appris que je figurais sur une liste des personnes à assassiner. Ils ont arrêté ma femme six heures et lui ont dit qu’ils allaient me découper en morceaux. Ma famille et mon voisinage ont subi un harcèlement. Leurs maisons ont été perquisitionnées plus de dix fois, mises sens dessus-dessous. Ils cherchaient même dans les tiroirs de la cuisine, comme si j’avais pu m’y cacher. C’était pour les effrayer. La télévision syrienne et la chaîne officielle Al-Dounia a démenti tout ce que je rapportais, affirmant que j’étais aveugle alors que je disais au téléphone avoir vu les choses de mes propres yeux. Comme vous le constatez, je suis parfaitement voyant.
Un an après, quels sont vos espoirs de voir la révolution bientôt aboutir ?
Dès le premier jour de la révolution, tous les sujets étaient discutables entre nous sauf un : la possibilité de retourner en arrière vers les temps de l’esclavage. Le peuple sait que le régime va tomber. Ce que nous ne savons pas c’est : à quel prix.
tempsreel.nouvelobs.com, 15 mars 2012