[In memoriam] Mort aux boursicoteurs !

5 mars 1886 : l’anarchiste Gallo tente d’abattre des « traders » à la Bourse de Paris

(…) Ce jour-là, vers 14 h 30, Charles Gallo pénètre donc dans la Bourse avec la ferme intention de commettre un attentat. C’est un jeune homme de 27 ans, très maigre, au visage émacié encadré par un collier de barbe noir. Il porte un costume… noir, un chapeau melon… noir sur des cheveux coupés en brosse, un foulard de soie autour du cou. Une heure plus tôt, il a quitté le garni qu’il loue depuis une quinzaine de jours dans un hôtel de la rue Mouffetard avec, dans la poche, une fiole remplie de 200 grammes d’acide prussique. Comme bombe, c’est un peu léger, mais faute d’argent et de savoir-faire, il a été incapable d’en fabriquer une. (…) Gallo emporte également un révolver prêté par un ami. C’est déjà ça.

Une fois dans l’antre du diable boursicoteur, le jeune homme se rend au premier étage de la galerie sud surplombant la corbeille. Durant de longues minutes, il observe la cohue des spéculateurs qui s’amusent de fortunes arrachées à la sueur des ouvriers. En prison, il écrira : « C’est parce que la propriété individuelle existe que l’humanité se trouve partagée en deux classes ennemies : les uns qui, n’ayant que la peine de naître, reçoivent en partage l’instruction, [le savoir], la richesse, le luxe, le bien-être, le loisir, la puissance matérielle jointe à la domination intellectuelle ; tandis que les autres sont irrévocablement voués par le malheur de leur naissance à l’ignorance (…). »

Pschitt

Pour en revenir au 5 mars, il est tellement fasciné par ce répugnant spectacle qu’il n’entend même pas son voisin — un étudiant en médecine — lui adresser la parole. À 15 heures, une cloche marque la fin de la séance. C’est le moment d’agir car les agents de change se retirent, abandonnant la corbeille à « l’agioteur et au tripoteur qui spéculent la misère du peuple ». Son voisin le voit tirer de la poche inférieure de son veston un flacon de verre blanc qu’il jette à toute volée dans la corbeille. Le bruit du verre explosant sur le sol et la forte odeur d’amande amère provoquent une certaine stupéfaction, mais personne ne se roule mortellement sur le sol. (…) Sans attendre, l’anarchiste braque son arme sur les boursiers pour tirer deux premières balles qui n’atteignent personne. (…) Du reste, l’étudiant en médecine le voit tirer trois autres balles, de nouveau n’importe où. La première dans la galerie en face de lui, la deuxième dans une arcade, et enfin la troisième dans le plafond. Lors du procès, Gallo déclarera avoir renoncé à tirer sa dernière balle sur l’employé qui le ceinture, car « il [lui] a paru assez mal vêtu ». « J’ai voulu mieux utiliser mon dernier coup. À ce moment, j’ai reçu une secousse, le coup s’est perdu. » (…) Finalement, une des balles aurait, après un ricochet, effleuré la jambe d’un employé de banque. (…)

Un surveillant de la Bourse se précipite sur Gallo pour lui arracher son arme. Traîné jusqu’au commissaire de la Bourse, un certain Lechartier, l’anarchiste déclare avoir voulu effrayer le bourgeois et que « ça a raté ». Il croit bon de préciser qu’il a failli s’asphyxier en préparant le contenu de son flacon et qu’il recommencera. Sa fouille permet de trouver plusieurs exemplaires de journaux révolutionnaires du Midi, six cartouches de révolver et une pièce de cinq francs en argent dans un porte-monnaie usé. Au préfet de police, au procureur de la République et au juge d’instruction qui débarquent pour l’interroger, il répète se nommer Petrovitch et exercer la profession d’anarchiste. Mais il suffit de quelques heures aux policiers pour découvrir sa véritable identité.

« Vive la dynamite »

Charles Gallo est né dans le Morbihan d’une fille-mère qui l’a immédiatement abandonné. Il a passé les dix années suivantes dans une famille de pauvres paysans, après on ne sait pas. En tout cas, il fait des études, car il échoue à l’examen d’entrée de l’École des arts et métiers de Chalons. Cet échec fait naître en lui un vif ressentiment contre la société tout entière. [sic !] La graine de l’anarchisme est plantée dans son cœur. Il s’ingénie à fabriquer de la fausse monnaie, mais tellement maladroitement qu’il se retrouve au trou pour cinq ans, à Melun. À sa sortie de prison, il trouve néanmoins [sic !] un boulot de typographe chez un éditeur de Nancy. Il fréquente les milieux anarchistes et se met en tête de réussir un gros coup. Il hésite entre l’Assemblée nationale et la Bourse. Ce sera cette dernière.

Le 26 juin 1886, moins de quatre mois après son attentat manqué, il comparaît déjà devant la cour d’assises. Au lieu de la jouer cool, il braille ses convictions [sic] : « Vive la révolution sociale ! Vive l’anarchie ! Mort à la magistrature bourgeoise. Vive la dynamite ! » Il refuse de se laisser juger par un tribunal de bourgeois. Il faut renvoyer le procès. Trois semaines plus tard, il prend 20 ans. C’est cher payé pour un attentat qui n’a fait aucune victime. Neuf mois plus tard, Gallo débarque au bagne de Nouvelle-Calédonie où son caractère ombrageux lui vaut quelques déboires. Ainsi plante-t-il sa pioche dans le ventre d’un maton qui le cherchait. Cette fois, il ne rate pas sa cible. Seulement, en échange, il reçoit deux balles dans la tête. Mais un anarchiste a la peau dure [sic], il récupère suffisamment pour s’entendre condamner à mort. Peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Cette condamnation ne le musèle pas, il continue à invectiver gardiens et médecins, à brandir haut sa foi anarchiste, au point que les autorités le font incarcérer à l’asile du pénitencier. Il serait mort vers 1903.

Publié par des ennemis de l’Anarchie (Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos, LePoint.fr, 5 mars 2012)

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