Jamal : ses proches refusent de croire au suicide
« Jamal n’est pas mort, il a été tué, c’est un meurtre. » Le mot est lâché. Sur chaque hall d’immeubles, les affiches appellent au rassemblement.
À l’intérieur du local, près de 100 personnes sont réunies. Pour la plupart habitantes du quartier du Luth de Gennevilliers, et toutes venues pour un seul objectif : connaître la vérité sur la mort de Jamal Ghermaoui.
Un rassemblement à l’initiative du collectif Vérité et justice pour Jamal, qui intervient quelques jours après le dépôt d’une plainte contre X pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » par l’avocat de la famille de Jamal, Me Brouzrou. Une plainte visant à obtenir la saisine d’un juge d’instruction.
Le 3 octobre, alors placé au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt de Nanterre, Jamal, qui avait fêté son 23e anniversaire quelques jours auparavant, avait été retrouvé pendu avec un kit antisuicide en fin de matinée. En état de mort cérébrale, il était décédé cinq jours plus tard à l’hôpital. Rapidement la thèse du passage à tabac s’était répandue au sein de la population. Une première autopsie avait pourtant confirmé la thèse du suicide, thèse relayée par une contre-autopsie demandée par la famille du détenu.
Une conclusion à laquelle on ne veut pas croire au Luth. Hier, dans un calme absolu, les jeunes du quartier venus soutenir la famille du défunt ont écouté le témoignage de la sœur de Jamal et celui d’un père qui avait fait reconnaître par la justice la culpabilité de l’État dans la mort de son fils en prison après douze années de procédure. « Mon frère n’a pas pu se suicider, a répété Ghariba. Il aimait tellement la vie, il est resté cinq jours dans le coma avant que son corps ne lâche. »
Sarah, sa petite amie, se rendait trois fois par semaine au parloir. Souvent ils parlaient du futur logement qu’ils prendraient ensemble à la sortie de prison. « Le jour où le drame s’est produit, Sarah s’est vue refuser son parloir alors que Jamal était déjà transféré à l’hôpital mais on ne lui a rien dit, s’emporte Ghariba. Ce n’est que vers 18 heures que la famille a été prévenue. »
À l’hôpital, la sœur de Jamal affirme ne pas avoir vu de trace au cou. « Mais il avait des marques sur le corps, il a été frappé. » Une version que nie l’administration pénitenciaire : lorsque Jamal avait appris sa condamnation à quinze jours de quartier disciplinaire, alors qu’il purgeait une peine de quatre ans pour trafic de drogue, il s’était cogné la tête à plusieurs reprises. « Il ne craignait pas l’isolement. Justement, il avait demandé à sa petite amie de lui ramener des livres », assure Ghariba.
« Nous irons jusqu’au bout pour connaître la vérité, même si ça doit prendre des années, nous continuerons. »
Lors des interventions les membres du collectif et la famille ont appelé au calme. « C’est ensemble et intelligemment que nous combattrons. » Selon eux, le premier combat sera d’obtenir le rapport entier de la contre-autopsie. « J’attends que le doyen des juges fasse le nécessaire et que la demande soit prise au sérieux », assure Me Bouzrou.
Leur presse (Justine Chevalier, LeParisien.fr, 9 février 2012)
Pour hier soir la conférence de presse il n’y avait pas foule de la part des journalos car peut-être est-ce le fait que nous n’avions aucune salle car la mairie nous avait refusé des salles dans le Luth et avait comme proposition une salle au cimetière — « no comment »…, par contre notre objectif qui était de dynamiser le comité « vérité et justice pour Jamal » Allah y Rahmo par l’adhésion des jeunes du quartier dans cette lutte par leurs implication…, via la conférence de presse, une impulsion afin de dynamismer par l’information de la suite de la plainte de la famille et des témoignages tel que le père de Jawad Allah y Rhamo…
Contrairement à la presse les jeunes du quartier étaient eux bien présentEs et en nombre… nous avons occupé une salle de spectacle du quartier face au refus municipal… tout s’est bien passé car Mourad nous a bien reçu et n’a pas mal pris notre intrusion bien au contraire… Une lutte à suivre … et des jeunes de Nanterre à encourager pour la lutte anti-carcérale et contre les violences policières… à suivre !
Liste de discussion du réseau Résistons Ensemble, 9 février 2012.
NANTERRE. La famille de Jamal, mort en prison, dépose une plainte
La mère et les frères et sœur de Jamal espèrent ainsi comprendre ce qui a causé la mort de Jamal, 23 ans, détenu à l’époque pour trafic de stupéfiants.
La famille de Jamal Ghermaoui, mort le 8 octobre à la maison d’arrêt de Nanterre, a annoncé mercredi 8 février lors d’une conférence de presse organisée dans le quartier du Luth à Gennevilliers, le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile.
Représentés par l’avocat parisien Yassine Bouzrou, la mère et les frères et sœur de Jamal espèrent ainsi comprendre ce qui a causé la mort de Jamal, 23 ans, détenu à l’époque pour trafic de stupéfiants.
Placé en quartier disciplinaire le 30 septembre, après avoir, selon l’Administration pénitentiaire (AP), « agressé un personnel de surveillance », le détenu se serait tapé « à plusieurs reprises la tête contre les murs avant d’être maîtrisé » à l’énoncé de sa sanction devant la commission de discipline. Jamal G. avait été hospitalisé le 2 octobre alors qu’il avait été découvert en arrêt cardio-respiratoire dans sa cellule.
Quelques jours après son décès, le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye, affirmait qu’il s’agissait d’un suicide. Selon lui, l’autopsie concluait à une mort « par anoxie cérébrale au décours d’une pendaison cervicale » sans « lésion pouvant correspondre à des violences, et/ou des actes de défense ou de lutte ». La famille, qui réfute absolument cette version des faits, avait demandé une contre-expertise.
Réalisé le 27 octobre, le rapport de cette dernière autopsie est entre les mains du parquet de Nanterre, « qui refuse de me le communiquer dans sa totalité », déplore l’avocat parisien Yassine Bouzrou. Le document « apporte pourtant des éléments nouveaux et vient contredire la première autopsie », explique Maître Bouzrou.
Le médecin-légiste indique en effet que le corps de Jamal Ghermaoui présente des « lésions traumatiques ». Surtout, il constate que des organes manquent au corps, et que « le sillon cervical antérieur n’a pas été retrouvé ». Troublante disparition, « puisque ce dernier élément est fondamental dans la détermination d’un décès par pendaison » poursuit l’avocat.
La famille Ghermaoui avait photographié le jeune homme alors qu’il était sur son lit d’hôpital, dans le coma. Des lésions apparaissent clairement sur le corps de Jamal. Pour Me Yassine Bouzrou, « la consultation de ces clichés ainsi que les lésions décrites dans le rapport du dernier médecin-légiste permettent d’affirmer que Jamal a été victime de violences et que la première autopsie est incomplète et non conforme à la réalité ».
Lors de la conférence de presse organisée par la famille dans le quartier du Luth à Gennevilliers, une centaine de personnes étaient présentes, amis et militants associatifs. D’autres parents de personnes décédées en détention dans des conditions suspectes sont venus soutenir la famille Ghermaoui.
Le père de Jawad Zaouiya, et la sœur de Lamine Dieng ont pris la parole. Le premier a expliqué son long parcours judiciaire, douze années de procédure pour obtenir la condamnation de l’État, suite à la mort de son fils Jawad dans l’incendie de sa cellule, le 23 juillet 1996, soit onze jours après le début de sa détention à Bois d’Arcy.
Ramata Dieng a quant à elle évoqué la mort de son frère menotté dans un fourgon de police en juin 2007. « Nous nous sommes rendus compte que nous ne sommes pas seuls, le cas de Jamal n’est pas isolé, il faut se battre pour que cela cesse, dit Ariba Ghermaoui.
Mon frère avait des projets, et l’envie de vivre, il n’aurait pas dû mourir. »
Leur presse (Elsa Vigoureux, tempsreeel.nouvelobs.com, 9 février 2012)