Étranges coutumes et mauvaises habitudes
Arroser plus que de raison un événement familial est une tradition assez répandue dans nos contrées. En général, cela ne porte guère à conséquences.
Sauf si vous avez l’imprudence de remonter en voiture et de rencontrer une patrouille de police.
C’est pour avoir fait honneur à cette coutume bien de chez nous que messieurs Arezki Kerfali et Ali Ziri ont été embarqués dans une fourgonnette en direction du commissariat d’Argenteuil, dans la soirée du 9 juin 2009. Le premier devra, en mars prochain, répondre du délit d’outrage à agents de la force publique devant le tribunal de grande instance de Pontoise. Le second ne peut plus répondre de quoi que ce soit ; transféré vers 22 h à l’hôpital d’Argenteuil, il y est mort au matin du 11 juin.
Dès l’annonce de ce décès, les circonstances qui l’ont entouré étaient suffisamment peu claires pour que se constitue un collectif pour demander avec insistance que soit établie la vérité sur ces événements et que justice soit rendue [On trouvera quelques traces de tout cela dans trois marches d’escalier qui bibliothèque].
Si, dans cette affaire, vérité et justice semblent encore bien peu accessibles, le collectif a au moins obtenu qu’elle ne soit pas classée à grande vitesse au prétexte qu’il n’y avait « pas de suspicion de bavure » puisque, selon le parquet de Pontoise, la première autopsie pratiquée sur le corps d’Ali Ziri « exclu[ai]t que la cause du décès puisse résulter d’un traumatisme, et conclu[ai]t qu’elle [était] due au mauvais état de son cœur »…
Relevé des hématomes au cours de la contre-autopsie menée en juillet 2009
par Dominique Lecomte, directrice de l’institut médico-légal du quai de la Rapée à Paris
Un article de Louise Fessard [Cet article est réservé aux abonnés, mais, pour l’essentiel, il est consultable sur le site de l’ATMF — Association des Travailleurs Maghrébins de France — qui héberge le collectif Vérité et Justice pour Ali Ziri. Il a aussi été repris, sans les illustrations, sur Danactu-Résistance.], paru dans Mediapart le 25 novembre 2011, fait un point assez complet sur les différentes étapes de l’enquête, citant abondamment les divers rapports d’experts médicaux et les déclarations des gardiens de la paix d’Argenteuil. Il est sans doute permis de dire qu’il n’est pas toujours possible d’effectuer, entre ces différents discours, des recoupements qui soient d’une netteté absolue. On oserait même affirmer que des investigations plus approfondies seraient nécessaires pour arriver à une vérité un peu plus certaine qu’une certaine vérité…
Mais le préambule de la journaliste semble bien pessimiste :
« Deux ans après cette mort et l’ouverture d’une information judiciaire pour “homicide involontaire et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique”, trois juges d’instructions se sont succédé, sans avoir entendu un seul des policiers impliqués.
L’instruction close depuis le 2 septembre 2011, le procureur de la République de Pontoise doit rendre ses réquisitions d’ici le 2 décembre. Aucune personne n’ayant jusqu’ici été mise en examen, le collectif de soutien à Ali Ziri et Me Stéphane Maugendre, avocat de la famille et président du Gisti, redoutent un non-lieu, c’est-à-dire l’abandon de l’action judiciaire. (…) »
Autrement dit, l’affaire semble d’ores et déjà « pliée », comme l’a, semble-t-il, été Ali Ziri dans la fourgonnette de la police…
La dangereuse technique de contention, dite « du pliage », est évoquée par Louise Fessard, à la suite du témoignage d’une gardienne de la paix lors d’une audition par l’IGPN :
« Face à l’agitation de M. Ziri, je me suis retournée, dos à la route, les genoux sur le siège, j’ai attrapé M. Ziri sous l’aisselle gauche. Il ne se laissait pas faire, j’ai fait pression en le maintenant, sa tête plaquée sur les genoux. Je l’ai maintenu ainsi en mettant les deux mains au niveau de chacune de ses aisselles, mon pouce vers l’intérieur de ses aisselles, et en faisant pression vers le bas. »
Louise Fessard rappelle que cette mauvaise habitude policière est « formellement interdite depuis la mort en janvier 2003 d’un Éthiopien expulsé par la police aux frontières (PAF). Ce jeune homme de 23 ans était décédé d’avoir passé vingt minutes maintenu de force le torse plié, la tête touchant les cuisses, et menotté dans un siège d’avion à la ceinture serrée. »
Un rassemblement du collectif
Le collectif Vérité et Justice pour Ali Ziri appelait aujourd’hui à un rassemblement en direction de la sous-préfecture d’Argenteuil.
À l’exception de Mediapart — et de Métro, dans un article d’aujourd’hui —, nos quotidiens, qui préfèrent sans doute de l’information plus gratinée à la sauce Sofitel, n’ont pas jugé bon d’en parler.
Il est vrai que réclamer la vérité et la justice quand des policiers aux mauvaises habitudes d’interpellation pourraient être mis en cause, cela ne fait pas vraiment partie de nos us et coutumes.
L’escalier qui bibliothèque, 29 novembre 2011.
Leur presse (VOnews.fr), 30 novembre 2011.
Comment Ali Ziri est mort asphyxié, « plié » par les policiers
Interpellé par la police le 9 juin 2009 à Argenteuil, lors d’un contrôle de la route musclé, Ali Ziri, un retraité algérien de 69 ans, tombe le soir même dans le coma à l’hôpital d’Argenteuil, où il décédera le 11 juin.
Ali Ziri, arrivé en France en 1959
Deux ans après cette mort et l’ouverture d’une information judiciaire pour « homicide involontaire et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique », trois juges d’instructions se sont succédé, sans avoir entendu un seul des policiers impliqués.
L’instruction close depuis le 2 septembre 2011, le procureur de la République de Pontoise doit rendre ses réquisitions d’ici le 2 décembre. Aucune personne n’ayant jusqu’ici été mise en examen, le collectif de soutien à Ali Ziri et Me Stéphane Maugendre, avocat de la famille et président du Gisti, redoutent un non-lieu, c’est-à-dire l’abandon de l’action judiciaire. Et ce en dépit de plusieurs rapports mettant en cause le rôle des policiers.
Il y a en particulier cet avis de la commission nationale de déontologie de la sécurité évoquant un « traitement inhumain et dégradant » et deux expertises médicales liant la mort d’Ali Ziri à l’utilisation de techniques de maintien sur un homme âgé et fortement alcoolisé (2,4 grammes par litre). La dernière expertise, en date du 15 avril 2011, conclut à « un épisode hypoxique (une diminution de la quantité d’oxygène apportée aux tissus – ndlr) en rapport avec les manœuvres d’immobilisation et les vomissements réitératifs ».
Pour Me Stéphane Maugendre, c’est la technique policière du pliage, consistant à plaquer le torse du prévenu sur ses genoux en exerçant une pression, « qui est à l’origine de l’asphyxie ayant conduit au décès d’Ali Ziri ».
Le 9 juin 2009, à 20h30, trois jeunes gardiens de la paix d’Argenteuil effectuent un banal contrôle sur une voiture, qui, selon leurs dépositions, faisait des « embardées sur toute la largeur de la route ». À son bord, Arezki Kerfali, le conducteur de 61 ans, handicapé à 60% suite à un accident du travail, et son « ami de 35 ans », Ali Ziri, un chibani revenu passer quelques jours en France pour effectuer des achats avant le mariage de son fils.
L’ambiance est à la fête, les deux hommes ont descendu plusieurs verres dans l’après-midi et « sentent fortement l’alcool », notera un policier. Le contrôle tourne mal. Les deux amis sont d’abord conduits au commissariat d’Argenteuil, l’un pour conduite en état d’ivresse, et l’autre pour outrage, puis à l’hôpital d’Argenteuil, où Ali Ziri meurt le 11 juin 2009.
La technique du pliage est-elle à l’origine de la mort d’Ali Ziri ?
Durant le trajet entre le lieu d’interpellation et le commissariat d’Argenteuil, les gardiens de la paix immobilisent les deux hommes menottés, qui, selon les policiers, gesticulaient, crachaient et les injuriaient.
« Face à l’agitation de M. Ziri, je me suis retournée, dos à la route, les genoux sur le siège, j’ai attrapé M. Ziri sous l’aisselle gauche, explique ainsi une gardienne de la paix lors de son audition par l’IGPN. Il ne se laissait pas faire, j’ai fait pression en le maintenant, sa tête plaquée sur les genoux. Je l’ai maintenu ainsi en mettant les deux mains au niveau de chacune de ses aisselles, mon pouce vers l’intérieur de ses aisselles, et en faisant pression vers le bas. »
Cette technique, dite du pliage, est pourtant formellement interdite depuis la mort en janvier 2003 d’un Éthiopien expulsé par la police aux frontières (PAF). Ce jeune homme de 23 ans était décédé d’avoir passé vingt minutes maintenu de force le torse plié, la tête touchant les cuisses, et menotté dans un siège d’avion à la ceinture serrée.
Interrogés par leurs collègues le 10 juin 2009, deux des policiers interpellateurs préfèrent d’ailleurs d’abord évoquer un simple maintien contre le siège. « Je me suis alors mise sur les genoux, dos à la route pour maintenir monsieur Ziri contre le siège afin qu’il ne recommence pas », explique ainsi la même gardienne de la paix.
Selon Me Stéphane Maugendre, Ali Ziri aurait en fait été maintenu plié « entre 3 minutes et demie et cinq minutes ». Les nombreux hématomes découverts sur son corps lors des autopsies pourraient avoir été causés par ce maintien forcé. En juillet 2009, une contre-autopsie menée par Dominique Lecomte, la directrice de l’institut médico-légal du quai de la Rapée à Paris, avait en effet relevé plus d’une vingtaine d’hématomes, pour certains très importants (17 cm) et pouvant « correspondre à des lésions de maintien », ainsi qu’un « appui dorso-lombaire et thoracique latéral droit, de l’épaule et du bras droit ».
Schéma montrant les multiples hématomes découverts sur le corps d’Ali Ziri lors de la seconde autopsie
Constatant également des signes d’asphyxie mécanique des poumons, elle avait conclu à « un arrêt cardio-circulatoire d’origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ».
Une troisième expertise du 15 avril 2011, demandée par le juge d’instruction, confirme que l’arrêt cardiaque constaté aux urgences est « secondaire à un trouble hypoxique en rapport avec les manœuvres d’immobilisation et les vomissements itératifs ». « Quel que soit le degré d’agressivité de M. Ziri, il s’agissait d’un homme âgé de 69 ans, pour lequel le manque de discernement a conduit à des comportements qui n’étaient pas sans conséquence sur (son) état de santé », indique sévèrement l’expert.
Reste à savoir pourquoi les policiers qui ont, semble-t-il, utilisé une technique interdite n’ont pas été inquiétés sur ce point. Dans son rapport de synthèse du 11 mars 2010, l’IGPN indique, assez benoitement, n’avoir « au cours de cette enquête (…) pas pu déterminer l’origine des hématomes dorsaux lombaires ».
Pourquoi les deux hommes sont-ils restés près d’une heure allongés dans leur vomi ?
À l’arrivée d’Ali Ziri et d’Arezki Kerfali au commissariat le 9 juin, c’est l’effervescence : le portail est grand ouvert et une dizaine de policiers, alertés par un message radio de leurs collègues (« Alpha, prévoyez un comité d’accueil, on a trop de souci dans le véhicule »), se précipitent dans la cour.
L’extraction du véhicule de police d’Ali Ziri filmée par une caméra du commissariat.
« Il est assez rare qu’un véhicule demande à ce qu’on ouvre la porte pour lui, cela suppose que le policier ne peut pas, pour une question de danger, s’absenter de la voiture, dira par la suite un lieutenant de police d’Argenteuil, entendu par l’IGPN. De plus, la demande de renfort pour accueillir les arrivants est également très rare, cela suppose cette fois que le véhicule ramène des interpellés particulièrement virulents. »
Cinq secondes plus tard, des policiers emmènent Ali Ziri
Les deux dangereux délinquants de 61 et 69 ans ne semblent cependant plus très agités. Ils doivent même être portés par des policiers jusqu’au commissariat. Selon les déclarations des policiers à l’IGPN, Ali Ziri, tout à fait conscient, se serait violemment débattu. « Il était lourd (82 kilos – ndlr), et se débattait avec virulence, explique ainsi un gardien de la paix entendu le 10 décembre 2009 par l’IGPN. Il ne voulait pas sortir de la voiture, il ne se calmait pas, et n’a pas cessé de nous insulter (…). Il tentait de donner des coups de pied dans le vide. »
La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), qui a pu visionner les images de la caméra de la cour, décrit une tout autre scène : « Ali Ziri est littéralement expulsé du véhicule (…), il est dans un premier temps jeté au sol puis saisi par les quatre membres, la tête pendante, sans réaction apparente, et emmené dans cette position jusqu’à l’intérieur du commissariat. »
Pour Me Stéphane Maugendre, les images de l’extraction d’Ali Ziri montrent donc clairement qu’il « est arrivé quasiment inconscient au commissariat ».
À l’intérieur du commissariat, les deux hommes, toujours menottés et qui commencent à vomir par saccades, sont placés en position couchée (sur le ventre, sur le dos ou en position latérale de sécurité, selon des témoignages policiers divergents).
Toujours d’après les policiers entendus par l’IGPN, Ali Ziri et Arezki Kerfali auraient continué à s’agiter et à les injurier, traitant notamment une gardienne de la paix de « vieille salope ». Mais à ce point, Ali Ziri n’est, en fait, même plus capable de se voir notifier ses droits, comme le constate l’officier de police judiciaire (OPJ) de service. Il « n’est pas en état de comprendre ce que nous lui notifions », « titube (…) ne se déplaçant que soutenu par deux fonctionnaires de police » et « ne répond que par borborygmes », écrit-il à 20h50 dans son procès-verbal, avant de demander le transfert immédiat des deux hommes à l’hôpital d’Argenteuil.
C’est l’heure de la relève et le transfert n’aura lieu que vers 22 heures. « Les réquisitions qui auraient dû être faites par les agents interpellateurs ne l’étaient pas », justifiera un commandant de police à l’IGPN.
Entre-temps, les policiers interpellateurs rédigent deux plaintes contre Arezki Kerfali et Ali Ziri (toujours à même le sol), respectivement pour outrage, et pour outrage et rébellion.
Dans son avis de mai 2010, la CNDS considère comme « inhumain et dégradant » le fait d’avoir laissé les deux hommes « allongés sur le sol du commissariat, mains menottées dans le dos, dans leur vomi, à la vue de tous les fonctionnaires de police présents qui ont constaté leur situation de détresse, pendant environ une heure ». Pour Me Stéphane Maugendre, Ali Ziri est « resté mourant pendant plus d’une heure ».
L’hôpital est-il fautif ?
C’est la thèse initiale du parquet de Pontoise qui a d’abord orienté l’enquête sur le délai de prise en charge d’Ali Ziri aux urgences. À son arrivée vers 22h05, bien qu’Ali Ziri ait immédiatement été placé sur un brancard, l’infirmière n’a pas jugé son cas prioritaire. Ce n’est qu’à 22h45 qu’un médecin, alerté par son teint gris, l’a trouvé en arrêt cardio-respiratoire et l’a emmené en réanimation.
Un cardiologue, expert près la cour d’appel, a ainsi estimé que « le délai de 40 à 45 minutes écoulé entre l’admission de Monsieur Ali Ziri à l’hôpital d’Argenteuil et sa prise en charge a contribué au décès de l’intéressé ». Une analyse contredite par l’expertise du 15 avril 2011 qui juge que « compte tenu de l’état d’Ali Ziri à son arrivée à l’hôpital, de son motif de passage, de l’affluence à ce moment-là, de la cause retenue pour l’arrêt cardiaque, la prise en charge a été conforme à la pratique habituelle ».
Et qui ajoute que « dans ces conditions, il est scientifiquement impossible d’affirmer que la prise en charge immédiate d’Ali Ziri dès son arrivée aux urgences aurait modifié le pronostic ».
L’enquête a-t-elle été bâclée ?
Alors que le parquet doit rendre son réquisitoire d’ici le 2 décembre, aucun des policiers, pourtant mis en cause par plusieurs rapports, n’a été entendu par les juges d’instruction successifs.
Pourtant, comme le rappelle Me Stéphane Maugendre, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme considère que « lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et qu’il meurt par la suite, il incombe à l’État de fournir une explication plausible sur les faits qui ont conduit au décès ».
En cas de privation de liberté, « la charge de la preuve pèse sur les autorités », insiste la Cour dans cet arrêt du 1er juin 2006.
Dans l’affaire Ali Ziri, c’est l’inverse qui semble s’être produit. « Sans la mobilisation d’un collectif d’associations, l’affaire était enterrée depuis longtemps », estime aujourd’hui Mohamed Nemri, de l’association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), à l’origine de la création du collectif vérité et justice.
Le jour même de la mort d’Ali Ziri, une première autopsie attribue ce décès à une hypertrophie cardiaque et un fort taux d’alcoolémie (2,4 grammes par litre). Fin de l’affaire pour le commissariat d’Argenteuil, qui s’empresse de délivrer, dès le 15 juin, un permis d’inhumer.
« Quelques jours plus tard, les policiers ont même demandé à son neveu, Nacer Kefil, le passeport algérien d’Ali Ziri pour rapatrier au plus vite son corps en Algérie », raconte Arezki Semache, cousin d’Ali Ziri.
Alerté par Arezki Kerfali, un collectif d’associations organise le 24 juin une grande marche, qui permet de relancer l’enquête. Le 8 juillet, le parquet de Pontoise ouvre une information judiciaire pour homicide involontaire, mais la cantonne aussi sec aux « faits commis à l’hôpital d’Argenteuil entre le 9 juin 2009 à 22h13 et le 11 juin 2009 ».
En clair, la juge d’instruction désignée peut enquêter sur la prise en charge d’Ali Ziri par le personnel des urgences, mais surtout pas sur ce qui s’est passé avant, lors de l’interpellation… Intrigué par les ecchymoses constatées sur le corps d’Ali Ziri à l’hôpital par plusieurs membres de sa famille, leur avocat, Samy Skander, obtient une deuxième autopsie qui conclut à « un arrêt cardio-circulatoire d’origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ».
Il faudra encore deux demandes de la juge d’instruction, qui écrit que « les constatations médicales semblent situer les causes du décès lors de la mise en œuvre des gestes techniques d’interpellation par les policiers », pour que le procureur consente, en septembre 2009, à élargir l’enquête aux faits précédant l’entrée à l’hôpital d’Ali Ziri.
Spécificité française, tout au long de la procédure, ce sont des policiers qui enquêtent sur des policiers : d’abord des officiers de police judiciaire d’Argenteuil qui interrogent dès le 10 juin 2009 leurs trois collègues, puis l’inspection générale de la police nationale (IGPN).
L’un des seuls regards extérieurs vient de feu la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS, une autorité administrative indépendante aujourd’hui remplacée par le défenseur de droits), qui, en mai 2010, demande à ce que des poursuites soient engagées contre plusieurs fonctionnaires de police pour « traitement inhumain et dégradant ». En vain.
Depuis juin 2009, trois juges d’instructions se sont succédé, Marie-Denise Pichonnier, puis Jean-Marc Heller, remplacé fin août 2011 par Laurène Roche-Driencourt. Une situation liée, selon Me Stéphane Maugendre, à l’« état catastrophique de l’instruction en banlieue parisienne ».
Aucun n’a jugé utile d’entendre les policiers. Même refus concernant les demandes des deux avocats d’organiser une reconstitution, et le visionnage de la vidéo enregistrée par la caméra de la cour du commissariat.
« La présomption d’innocence existe, y compris pour les policiers mais l’enquête n’a pas été menée comme dans un dossier normal, dénonce Me Stéphane Maugendre. Dans un dossier normal, trois personnes suspectées d’avoir tapé sur un policier auraient immédiatement été mises en examen. Le fait que, dans l’attente de la fin de l’instruction, les policiers n’aient même pas été déplacés d’Argenteuil renforce le sentiment d’impunité. »
Arezki Kerfali a-t-il été victime de violences policières ?
L’autre interpellé, Arezki Kerfali, affirme lui avoir fait un malaise, après avoir été mis au sol lors de l’interpellation du 9 juin. « Les policiers m’ont marché sur les pieds, sur les épaules et ont posé un pied sur ma tête », explique-t-il au téléphone. Une version démentie par les témoignages des policiers et des commerçants recueillis par l’IGPN.
« Il était dans un état épouvantable à sa sortie de garde à vue, le 10 juin 2009 », affirme cependant sa femme, Josianne Kerfali, qui a eu le réflexe de photographier les hématomes de son mari.
Le dépôt de plainte pour violences a également été un chemin de croix. « Arezki Kerfali ne voulait pas retourner au commissariat d’Argenteuil, relate Mohamed Nemri. Nous sommes allés à la gendarmerie d’Argenteuil, qui a refusé de prendre sa plainte, puis au commissariat voisin de Bezons, où le commandant de police a également refusé, au motif que des collègues étaient concernés et qu’il ne pouvait pas être juge et partie ! » Finalement déposée au tribunal de grande instance de Pontoise, la plainte n’a, d’après le dossier, donné lieu à aucune investigation.
Le 9 juin 2009 au commissariat, un jeune homme en garde à vue dit pourtant avoir été témoin d’une scène choquante. « L’un des policiers est venu vers cet homme (Arezki Kerfali – ndlr) et il a posé son pied sur la tête du Monsieur et lui a dit une phrase du genre “Tu vas essayer”, il fait bouger la tête en appuyant avec son pied comme on pourrait le faire avec une serpillière, explique-t-il, entendu par l’IGPN le 11 décembre 2009. C’est comme s’il voulait lui faire essuyer son vomi avec sa tête. »
Aucun des policiers n’a été questionné sur cette grave allégation. En revanche, Arezki Kerfali reste poursuivi pour outrage. Convoqué en mars 2011 au tribunal de grande instance de Pontoise, il a obtenu que l’audience soit repoussée à mars 2012.
Deux ans et demi après les faits, Arezki Kerfali est toujours sous antidépresseurs et suivi par un psychiatre. « On ne s’en est pas remis », soupire sa femme, qui parle d’« acte raciste ».
« Je ne dors plus, je fais des cauchemars, explique Arzki Kerfali. Je voudrais que ces policiers soient suspendus. Ça fait quarante ans que je suis en France et je n’avais jamais vu des policiers se comporter comme ça. »
Leur presse (Louise Fessard, Mediapart), 25 novembre 2011.