[Premier juillet, 16h]
Le bilan du 30 juin est lourd, 7 morts et de nombreux blessés dans la destruction du siège principal des ikwans à Moqattam. Tous tués par balles par des éléments parqués à l’intérieur du siège.
À Assiout, les tirs contre les manifestants pacifistes ont fait 3 morts et beaucoup de blessés.
Les manifestants affluent sur les places des grandes villes, un nouveau jour de mobilisation annonce un autre tsunami prévu demain.
À Tanta, capitale du gouvernerat de Gharbeya, les rebelles ont destitué le gouverneur et nommé un gouverneur militaire [sic – NdJL], un mouvement amené à faire tache d’huile ailleurs.
Les forces armées ont annoncé qu’ils s’adresseront au peuple égyptien dans quelques heures.
Galila Elkadi
[1er juillet, 17h09] Égypte : coup d’État soft ou soutien au peuple ?
Il y a deux minutes, déclaration de l’armée : « le CSFA donne 48 heures au régime pour donner satisfaction aux demandes du peuple et proposer une feuille de route ». Les conf de presse se bousculent, 17h, Tamarod, Front du 30 juin… à 21h, Morsi. Dans la rue la majorité des gens applaudissent, et hurlent leur joie, c’est effectivement un premier succès pour eux. Sur les réseaux sociaux, c’est un déferlement de critiques du coup d’État soft de l’armée, maintenant pour certains ou dans 48 heures pour d’autres. Que va faire Morsi ? Un gouvernement de transition pour préparer des élections, un référendum ?
Ça s’accélère : quatre ministres du cabinet Hisham Qandil viennent de remettre leur démission : Tourisme, Telecom, Affaires Légales, Environnement. La foule pourrait bien redescendre dans la rue ce soir pour dire sa joie et sa méfiance.
Jacques Chastaing
[1er juillet, 17h13] L’armée égyptienne prend les devants
Le ministre égyptien de la Défense et chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Sissi a donné lundi 48 heures aux forces politiques pour « satisfaire les revendications du peuple ». Il a expliqué que celles-ci ont été exprimées d’une manière « sans précédent ».
Le général n’a pas demandé explicitement la démission du président Mohamed Morsi, principale revendication des opposants qui ont manifesté par millions dimanche. Il a en revanche déclaré que l’armée présenterait sa propre « feuille de route » pour sortir le pays de la crise si les politiques n’arrivent pas à s’entendre.
Il a ajouté que l’armée, qui a géré la transition entre la chute d’Hosni Moubarak en février 2011 et l’élection de M. Morsi l’été dernier, ne souhaitait plus s’impliquer en politique ou au gouvernement.
Plus tôt dans la journée, le mouvement Tamarrod, à l’origine de la contestation contre Mohamed Morsi, a appelé le chef de l’État à quitter le pouvoir avant mardi 17h00 (locales et suisses). Il menace, dans le cas contraire, d’engager un mouvement de « désobéissance civile totale ».
Le départ du président doit « permettre aux institutions étatiques de préparer une élection présidentielle anticipée », affirme un communiqué de Tamarrod publié sur son site internet.
Tamarrod (« rébellion » en arabe) appelle l’armée, la police et l’appareil judiciaire à « clairement se positionner du côté de la volonté populaire représentée par les foules » de manifestants dimanche.
Appel au dialogue rejeté
Le mouvement rejette en outre l’appel au dialogue lancé dimanche par le président Morsi. « Impossible d’accepter les demi-mesures. Il n’y a pas d’autre alternative que la fin pacifique du pouvoir des Frères musulmans et de leur représentant, Mohamed Morsi », affirme-t-il.
Soutenu par de nombreuses personnalités et des mouvements de l’opposition laïque, libérale ou de gauche, Tamarrod assure avoir collecté plus de 22 millions de signatures pour une présidentielle anticipée, soit plus que le nombre d’électeurs de M. Morsi en juin 2012 (13,23 millions).
C’est ce mouvement qui avait appelé à des manifestations monstres, au cours desquelles dimanche des « millions » d’Égyptiens, selon l’armée, ont défilé à travers le pays à l’occasion du premier anniversaire de la prise de fonctions du premier président civil d’Égypte.
Au moins six personnes ont été tuées dans les heurts de dimanche entre partisans et adversaires du chef de l’État, selon un bilan communiqué lundi par un responsable du ministère de la Santé.
Leur presse (ATS)
[1er juillet, 18h] Communiqué de l’armée
1. Un grand salut à la lutte du grand peuple égyptien qui est sorti en masse hier et a envoyé au monde entier un message civilisationnel.
2. La sécurité de l’État est fortement menacée.
3. Les forces armées ne vont pas s’impliquer dans la politique.
4. Les forces armées offrent un ultimatum de 48 heures à toutes les parties en présence pour répondre aux attentes des manifestants.
5. En l’absence d’une réponse, le devoir moral des forces armées appellera son intervention pour tracer une feuille de route à laquelle seront associés toutes les forces en présence et en particulier ses jeunes et dont elles contrôleraient la mise en œuvre.
Il s »agit d’un communiqué historique, une prise de parti évidente auprès des rebelles [sic – NdJL].
Seule la lutte paie.
Galila Elkadi
[1er juillet, 18h] Course de vitesse pour prendre le pouvoir entre le peuple et l’armée
Dans une déclaration du CSFA (Conseil Supérieur des Forces Armées) lue par le ministre de la défense Sissi, l’armée déclare son soutien aux manifestations du 30 juin, demande au régime de Morsi d’entendre le peuple et lui donne 48 heures pour lui donner satisfaction faute de quoi, le CSFA mettrait en place une feuille de route pour prendre le pouvoir avec d’autres forces politiques.
La foule commence à affluer à Tahrir, la plupart hurlent leur joie à l’annonce de la déclaration de l’armée, d’autres pleurent et un certain nombre dit qu’ils ne veulent pas d’un coup d’État militaire dans 48 heures, fut-il soft, rappelant tous les crimes dont l’armée s’est rendue coupable lorsqu’elle a assumé le pouvoir, de la chute de Moubarak à juin 2012. Le mouvement Tamarod (Rébellion) lié au FSN, appelle à des marches dès maintenant sur le palais Qubba où serait réfugié Morsi pour le renverser. Est-ce une course de vitesse entre la rue et l’armée pour avoir l’initiative de renverser Morsi ? À juste titre pour le peuple qui ne doit pas se placer dans les mains de l’armée. D’ailleurs, bon signe, la place Tahrir ne chante pas « L’armée et le peuple une seule main » mais unanimement « À bas Morsi ».
5 ministres viennent de démissionner du cabinet Qandil. La TV d’État à Maspéro a déjà fait son coup d’État ne cessant de passer des infos sur les manifestations du 30 juin dénonçant Morsi. Une rumeur court, les hommes qui défendaient le siège central des Frères Musulmans au Caire à Moqqatam en tirant à balles sur les manifestants seraient des membres du Hamas. Beaucoup de réactions d’enthousiasme sur les réseaux sociaux maghrébins, tunisiens, algériens, marocains aux manifestations du 30 juin. Vers la contagion au Maghreb ?
[1er juillet, 18h] La place Tahrir est pleine
À 18 heures place Tahrir, la place est pleine, il semble qu’il y ait encore plus de monde, si c’est possible que dimanche. La foule est ravie de la déclaration de l’armée, mais ne semble pas vouloir laisser carte blanche à l’armée.
[1er juillet, 19h] Coup d’État militaire et manifestations de masse
Les gens dansent sur la place Tahrir, les hélicoptères militaires passent très bas avec d’immenses drapeaux égyptiens et des ballons et les pilotes saluent la foule, les gens hurlent leur joie et crient maintenant « Le peuple et l’armée sont une seule main », la place et les rues devant le palais présidentiel sont également pleines de gens dont certains demandent à l’armée d’intervenir tout de suite pas dans 48 heures. Mais ce n’est pas parce que la foule applaudit au soutien de l’armée qu’elle souhaite un retour au pouvoir de l’armée et un régime anti-démocratique.
De grosses manifestations commencent à Mahalla, Sharqeya, Port Saïd, Monofeya et d’autres villes.
Il semblerait que des troupes de l’armée se soient saisies de l’aéroport, où ils ont arrêté des dirigeants des Frères Musulmans qui fuyaient, et de la TV d’État.
La maison du multi milliardaire et véritable homme fort des Frères Musulmans, Kairat al-Shaker a été brûlée par la population pendant que ses gardes du corps ont été arrêtés par l’armée.
Le ministère de l’intérieur déclare qu’il ne prendra aucune mesure contre les policiers qui manifesteront. Un compte à rebours de 48 heures commence à s’égrener sur certaines télés privées. 10 ministres ont démissionné, les gouverneurs de Damiette et Ismailiya également. Tamarod annonce qu’il ne participera pas aux négociations entre partis demandées par l’armée pour trouver une solution à la demande du peuple. Les procureurs viennent de demander au procureur général de démissionner. Des annonces de meetings et conférences de presse des partis se multiplient ce soir. Des rumeurs disent que Morsi proposera ce soir un référendum « Dois-je rester ou partir ? »
[1er juillet, 21h] Immense fête populaire et…
Partout dans les rues du Caire, les gens descendent dans la rue, se congratulent, s’embrassent et dansent. Il y a encore plus de monde dans les rues qu’hier. Reste-t-il des gens dans les immeubles ? Pour eux, c’est quasi fait, Morsi est « dégagé ». En tous cas, le compte à rebours a commencé. Peut-être a-t-il également commencé pour les autres dictateurs en place de la région mais dans un autre timing ?
Même immense joie que lors de la chute de Moubarak, mais cette fois beaucoup sont avertis et ont bien l’intention de ne pas se laisser faire par l’armée. Des chants certes, « L’armée est le peuple sont une seule main » mais aussi « Il partira nous resterons »… Avec 40% des Égyptiens en dessous de la ligne de pauvreté, les hausses de prix, les coupures de courant et d’eau, la pénurie d’essence, des milliers de grèves en quelques mois sur ces sujets, tout nouveau gouvernement devra commencer par régler ça et toute réelle démocratie ne peut se faire sans démocratie économique. Huit députés viennent de démissionner. Tamarod, qui a initié la pétition de 22 millions de signatures contre Morsi qui a débouché sur la journée d’hier, vient de dire que la déclaration de l’armée couronne le mouvement du peuple, déclare que Morsi n’est plus président et donc que le peuple doit occuper lui-même les deux palais présidentiels à partir de demain mardi 2 juillet à 17h. En même temps Tamarod demande des élections présidentielles anticipées et un gouvernement technocratique de transition présidé par le président de la Haute Cour Constitutionnelle et le Conseil National de Sécurité (l’armée). Le parti al Nour (salafiste) vient de dire qu’il avait neutre pendant les manifestations d’hier et que la déclaration de l’armée était ambiguë et ne protégeait pas le peuple d’une possibilité de dictature militaire. Des dirigeants des Frères Musulmans seraient en train de demander l’asile politique en Europe? Le siège du gouvernorat de Kafr el-Sheikh vient d’être saccagé par la foule mobilisée, le gouverneur, Frère Musulman, s’est enfui. Le siège du parti islamiste Wasat, incendié. Manifestations géantes partout en Égypte. L’armée s’est emparé du siège du gouvernorat de Fayoum et a arrêté le gouverneur.
[1er juillet, 22h] Explications et récit
Explications
Avec l’affaiblissement progressif du pouvoir des frères Musulmans sur fond de records historiques de grèves et protestations depuis des mois, puis les manifestations massives du 30 juin contre Morsi et enfin l’ultimatum de ses organisateurs pour que Morsi dégage qui arrivait à échéance mardi 2 juillet à 17h, faute de quoi, ils appeleraient à une grève générale illimitée et un mouvement de désobéissance civile jusqu’à la chute du régime, l’armée, pour voler au peuple la deuxième révolution qui venait, a décidé de réitérer son coup de janvier 2011, lorsque devant la menace d’une grève générale, elle avait décidé de laisser tomber Moubarak.
Mais il y a plusieurs différences importantes entre aujourd’hui et il y a deux ans.
D’une part Morsi avait été élu et la rue vient de démettre un président élu. Ce qui est quelque chose qui ne s’oublie pas. Moubarak était un dictateur classique avec des élections bidons. Morsi était aussi un dictateur, les élections qui l’ont mené au pouvoir étaient truquées mais beaucoup de gens avaient eu le sentiment de participer à une véritable élection démocratique, en tous cas en comparaison avec ce qui se faisait auparavant. Renverser un président élu par la rue, car même si c’est l’armée qui met la dernière main, c’est le mouvement populaire qui a fait l’essentiel, c’est légitimer la révolution contre les élections. C’est dire : si vos élus ne tiennent pas leurs promesses, vous n’êtes pas obligés d’attendre les prochaines élections, vous pouvez les renverser avant. C’est vous le vrai pouvoir, le peuple, la rue, la révolution. C’est pour ça que les USA sont gênés d’abandonner un président élu. Ils légitimeraient ainsi tout ça. Donc aussi pour ailleurs : partout dans le monde vous pouvez renverser ceux que vous avez élu et qui vous trompent. Ça fait du monde. Et si on pense à la Turquie, le Brésil, la Tunisie, la Bulgarie, le Chili, la Bosnie, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et tellement d’autres, ça risque de ne pas tomber dans les oreilles de sourds.
Mais il y autre chose. Contrairement à il y a deux ans, s’il est possible qu’encore bien des Égyptiens se fassent des illusions sur l’armée, notamment tous les primo-manifestants qu’on a vu hier, il y en a bien d’autres, des centaines de milliers, qui ont souffert dans leur chair et fait consciemment l’expérience répressive du régime militaire en se battant contre le gouvernement du CSFA au moins d’octobre 2011 à juin 2012. Ils sont férocement hostiles à l’armée et s’en méfient comme de la peste. La marge de manœuvre de l’armée est donc infiniment rétrécie, mise sous la surveillance des meilleurs militants de la révolution. Si l’armée prend le pouvoir, à chaque faux pas, elle sera la cible de leurs critiques et attaques. Et les soldats tout comme les policiers sont beaucoup moins sûrs pour les généraux qu’il y a deux ans. Il est fort probable que s’il leur faut à nouveau réprimer un peuple qui lutte, ils pourraient ne plus l’accepter. Et il n’y aura plus la religion pour aider le sabre. En tous cas, beaucoup moins. Or le prochain gouvernement, provisoire ou pas, militaire ou pas, devra faire face aux multiples luttes économiques, qui ont parsemé les premiers mois de 2013 et qui continueront, voire probablement s’amplifieront. Car si on renverse un gouvernement, beaucoup se diront probablement c’est pour qu’il change quelque chose ; la faim n’a pas de patience et la situation économique se détériore très rapidement.
S’il y a un pouvoir militaire, ce risque bien d’être un colosse aux pieds d’argile et si l’armée s’écroule après le « goupillon », il n’y a plus rien pour protéger les possédants et leurs propriétés.
C’est pourquoi, indépendamment de leurs calculs, ce serait important que dès aujourd’hui, les gens se saisissent de la rue, des places et demain dès 17h des palais présidentiels, des gouvernorats, des municipalités… chassent les Frères mais aussi les Felloul, avant l’armée, avant la fin de l’ultimatum de l’armée, pour le « pain, la justice sociale et la liberté ». Tout pas fait dans ce sens, sera la meilleure défense contre l’armée… Sans oublier les effets en retour que la deuxième insurrection égyptienne pourra avoir à partir des pays arabes et ailleurs.
Récit
On chante et danse partout, dans les rues, le métro, les bus, sur les balcons… La TV d’État, aux mains des militaires, ne cesse de passer des messages et images anti Morsi. Hier c’était pour Morsi. Beaucoup de femmes dans les rues, heureuses d’être débarrassées de la tutelle islamiste
[2 juillet, 0h15] Après la fête, les affrontements ?
Place Tahrir, c’est un festival de chants et de feux d’artifice qui n’arrêtent pas depuis plus de 6 heures, tout comme devant le palais présidentiel où la foule est toujours si immense.
De gigantesques manifestations anti-Morsi du même type dans la plupart des villes d’Égypte. C’est la fête mais pas partout.
À Mahalla, principale ville ouvrière d’Égypte, les manifestants ont décidé de mettre en pratique immédiatement la grève générale et la désobéissance civile.
Morsi semble avoir renoncé ce soir à faire une déclaration. Il aurait été fait prisonnier — sous toute réserve — par la garde républicaine. On parle d’une rencontre entre Morsi et Sissi.
Des manifestations pro Morsi se déroulent actuellement. Il n’y a pas de comparaison de taille entre les immenses manifestations anti-Morsi et les moyennes ou petites en sa faveur. Cependant les Frères Musulmans n’ont pas abandonné ; on compte des dizaines de milliers de manifestants à Raba’a Adawya au Caire pour Morsi et contre la dictature militaire. Des centaines devant l’université du Caire. Des dizaines de milliers d’autres marchent à Marsa-Matruh en scandant des slogans contre le CSFA. Manifestations moyennes ou petites pour Morsi et contre le CSFA à Giza, Qena, Arish, Sohag, Suez, Assiut et Minya. Des centaines de supporters de Morsi ont pris les rues à Al Tor City dans le Sud-Sinai. Affrontements violents à Fayoum, Beni Suef et surtout à Suez entre pro et anti Morsi. Le quartier général des Frères Musulmans brûle à Assiut. L’armée intervient. Une rumeur dit que l’armée pourrait intervenir pour « protéger » les manifestants anti Morsi des Frères Musulmans place Tahrir et devant le palais présidentiel. Protéger des millions contre des milliers ?
Une conférence de presse ce soir des Frères Musulmans et alliés islamistes refuse la déclaration du CSFA, dénonce un coup d’État et appelle tous les Égyptiens à descendre dans la rue pour défendre la légitimité de la loi (!) et des élections (!), bref la guerre sainte pour la démocratie représentative. Obama va apprécier.
De cette confusion, on peut être sûrs que les Égyptiens sauront approfondir non pas de savoir auprès de qui on peut espérer un salut, mais ce qu’ils veulent eux, quels sont leurs objectifs à eux. Ceux définis il y a déjà deux ans : pain, justice sociale, liberté.
Images des manifs pro Morsi montrés par la chaine TV des Frères Musulmans qui multiplient les chiffres de participation. par exemple plusieurs millions à Rabaa alors qu’ils ne sont que plusieurs dizaines de milliers. Il est possible que les photos ci-dessous soient des vieilles photos de vieilles manifestations. Ils sont coutumiers du fait.
Commencées de manière pacifique les manifestations d’hier et d’aujourd’hui pourraient prendre un caractère plus violent cette nuit.
[2 juillet, 8h45] Une immense fête toute la nuit, les Frères Musulmans résistent
Toute la nuit, ça a été une immense fête pacifique place Tahrir et devant le palais présidentiel Ittahidiya à Héliopolis lointaine banlieue du Caire. Parmi les chants et les slogans, un qui peut être significatif, après les « À bas Morsi » c’est « À bas les moutons » visant les Frères Musulmans mais aussi, à travers ça, les manifestants affirment qu’ils ne seront plus jamais les moutons de qui que ce soit, religieux ou militaires.
Une fille est née cette nuit place Tahrir, baptisée Tamarod. À Luxor, Kafr el Sheikh et Mahalla, les manifestants ont anticipé l’appel à la désobéissance civile pour aujourd’hui 17h, en assiègeant les gouvernorats. À Kafr el Sheikh, ils auraient pris le bâtiment du gouvernorat. À Sharqiya, les habitants d’un immeuble ont chassé du bâtiment les Frères Musulmans.
Ce matin, une déclaration de la présidence égyptienne a rejeté l’ultimatum de l’armée et celui du peuple au nom de la légitimité électorale. Une autre déclaration de la présidence a appuyé ce rejet par le fait qu’Obama aurait téléphoné cette nuit à Morsi pour lui dire son soutien. La Maison Blanche dit qu’Obama a affectivement téléphoné à Morsi mais pour seulement dire son « inquiétude ». Pour les Égyptiens Obama a choisi son camp, il soutient Alqaida, le Jihad islamique, le Hamas et la Jamaa Islamya…
Les islamistes et les Frères Musulmans ont décidé de se battre car ils craignent qu’ils soient les boucs émissaires de la prochaine période ; les anciens moubarakistes voulant se venger, les anciens de la police et l’armée aussi, et surtout la population les hait comme jamais aucun
régime n’a été haï. Les commerçants islamistes craignent pour leurs magasins, déjà quelques-uns ont été pillés, d’autres pour leurs maisons ou voitures, leur vie tout simplement. Certains dirigeants des Frères Musulmans ont fui le pays.
Le parti salafiste Al Nour a déclaré qu’il se prononçait pour un gouvernement technique préparant des élections présidentielles anticipées. Sûrement en 1356 !
Les chefs de la police soutiennent l’ultimatum des militaires. 6 ministres ont démissionné du gouvernement (d’autres infos selon la Middle East News Agency disent 12 ministres et 3 gouverneurs).
Affrontements cette nuit à Giza entre la police et les Frères Musulmans. Quatre militants du Hamas qui tiraient sur la foule et lançaient des grenades depuis le siège national des Frères Musulmans à Moqattam (Le Caire), auraient été lynchés par la foule, qui, après avoir brûlé le bâtiment, l’occupe.
La situation à Assiut est peut-être emblématique de ce qui va se passer. C’est une ville de la Haute Égypte où il y a beaucoup de coptes, jusque là sous contrôle de la Jamaa al-Islamiya, une organisation terroriste islamiste qui soutient le gouvernement de Morsi. La ville vivait sous la terreur. Or dimanche 30 juin, il y a eu plus de 50’000 manifestants (5 fois plus que pour la chute de Moubarak) montrant un courage incroyable pas atteint au moment de la chute de Moubarak car la Jamaa al-Islamiya et les Frères Musulmans n’hésitent pas à tuer, ayant déjà fait plus de 1000 morts sur les dernières années. Et lundi 1er juillet les manifestants étaient à nouveau des dizaines de milliers cette fois-ci à assiéger le siège des Frères Musulmans, d’où les Frères et les terroristes de la Jamaa al-Islamiya tiraient sur la foule et la police qui avait pris position pour les manifestants qui criaient « Assiut dit aux terroristes que les chrétiens et les musulmans sont unis ». En fin de journée, le siège des Frères Musulmans était brûlé et détruit par les manifestants qui criaient « Victoire ». Bref ce n’est pas la police ou l’armée qui a vaincu c’est le courage populaire. Ce qui pourrait se passer sur tout le pays dès cet après midi.
En fait peu à peu émerge de tout cela une conscience, qui se dit, que la démocratie de la rue est plus importante, plus juste que la démocratie des bulletins de vote. Que c’est ça la révolution.
Par ailleurs on voit que les soutiens politiques de l’armée, en Égypte comme ailleurs, prennent prétexte d’un risque de chaos, guerre civile ou bain de sang, déjà avant le 30 juin, encore plus maintenant où les Frères Musulmans ont décidé de résister, pour demander, justifier une intervention de l’armée. À ce moment ils pourraient faire passer ça, non pas comme une interruption du processus démocratique électoral, mais comme une nécessité de force majeure, pour éviter le chaos né de l’opposition entre deux camps. Et Obama pourrait alors soutenir l’armée. Plus il y a de sang, plus ça les arrange. En même temps, ils craignent aussi en ce cas une deuxième insurrection populaire qui les renverserait eux-aussi, l’armée se dissolvant dans l’insurrection.
La Rage de la chanteuse rap française Kenny Arkana commence à faire un tabac en Égypte. Ici, chanté en français, sous-titrée en anglais.
[2 juillet, 13h30] Vers une deuxième révolution considérable ?
Alors que les Frères Musulmans et leurs alliés islamistes appelaient les Égyptiens à descendre dans la rue dés ce matin pour défendre Morsi et la légitimité électorale, il y avait très peu de monde à leurs manifestations. C’est la débandade dans ce camp. Des dirigeants islamistes sont arrêtés dans les aéroports, tentant de fuir. Selon l’agence de presse moyen orientale Mena, 12 ministres auraient déjà démissionné, les deux portes paroles de Morsi et du gouvernement, et le cabinet du premier ministre a déjà annoncé sa démission deux fois ce matin, repris deux fois par des démentis. D’après CBC, Obama viendrait de lâcher Morsi en disant que la démocratie est plus importante que les élections. Donc on peut faire la même chose partout, la révolution partout ? Par contre, une foule est déjà en train de se rassembler devant le palais présidentiel Qubbal où serait caché Morsi, bien avant la fin de l’ultimatum lancé par Tamarod à Morsi pour qu’il dégage, à savoir 17h aujourd’hui. Ce qui veut dire deux choses, que Morsi est foutu mais aussi que les manifestants n’attendent pas sur l’armée pour qu’elle fasse le boulot à leur place. Que leurs illusions sur l’armée sont plus que limitées, qu’ils étaient contents que l’armée les soutiennent [sic – NdJL] mais c’est eux qui dirigent. On peut s’attendre, ce qui a déjà commencé dans trois gouvernorats, s’étende partout, à savoir que les manifestants chassent tous les Frères Musulmans et Islamistes de leur positions politiques et s’emparent des gouvernorats et municipalités. Et pareil pour les biens des Frères ultra riches comme la famille qui possède la chaine de supermarché ZAD appartenant à l’homme fort des Frères Musulmans qui ont déjà été brûlés et pillés à un endroit. La révolution politique et une amorce de révolution sociale ! (…)
[2 juillet, 15h30] Le peuple accepte le soutien de l’armée mais ne veut pas d’un gouvernement militaire
Une heure trente avant la fin de l’ultimatum populaire, les gens continuent à s’amasser place Tahrir et devant le palais Qubbal. Première tente érigée devant le palais. Quatre portes du palais sont bloquées (sauf que Morsi serait ailleurs. Quand on dit deux jours à l’avance qu’on va traquer la bête dans sa tanière, c’est sûr qu’elle cherche une autre cachette. Qubal, dérivatif ?).
C’est la débandade chez les Frères Musulmans. Le procureur général d’Égypte vient de déclarer qu’il a démissionné il y a quatre jours, mais que Morsi n’a pas voulu. Le pauvre ! Trois nouveaux ministres viennent de démissionner, pétrole, finance et du plan. Les bus pour aller à l’aéroport sont archi bondés. Le cabinet du premier ministre Qandil vient une troisième fois d’annoncer sa démission globale. Le ministre de la Justice dément. Ce doit être le seul qui reste. Même chez les rois, ça ne va plus, la princesse Fawzia est morte ce matin. À ces démissions, s’ajoute aussi la désobéissance civile qui semble se répandre un peu partout dans des provinces, et au Caire. Presque tous les bureaux des gouverneurs des Frères musulmans ont été bouclés par les manifestants ou cadenassés. Ils ne peuvent plus y accéder. À Louxor, la province a décrété officiellement son indépendance en disant qu’elle ne dépendait plus du pouvoir central. D’autres provinces pourraient suivre. À Fayoum, ville où il y avait hier des affrontements entre pro et anti Morsi, le QG des Frères Musulmans brûle. Le sièges des Frères à la cité du « 6 octobre » (Le Caire), brûle. 48 Frères qui fuyaient ont été arrêtés ce matin à l’aéroport. Un des chefs les plus violents des islamistes, qui a appelé les croyants à mourir pour leur foi, le Salafiste Hazem Abu-Ismail a fui en Allemagne. Affrontements entre policiers et Frères au Caire. Les jets privés sont interdits de vol. Les deux ministres de la Défense vient de rencontrer Morsi et son premier ministre, pour qu’ils se dépêchent de se rendre à l’armée avant que le peuple ne se saisisse d’eux … et de l’Égypte par la même occasion ? L’armée prête à être déployée dans les villes « pour éviter les heurts » dit-elle. Quels heurts ? Morsi serait toujours dans l’immeuble de la garde républicaine, protégé, prisonnier, otage ?
Sur « I télé » hier « l’armée a toujours été garante de la stabilité » : comme Pinochet ?
Quand les gens apprennent qu’Obama a demandé à Morsi de tenir compte des exigences du peuple égyptien, les gens répondent « Trop tard. On veut qu’il parte ». Fiasco sur toute la ligne de la politique américaine et des politiques occidentales de soutien à Morsi, légitimement élu. Où sont les politiques et les journalistes qui parlaient d’hiver islamiste ?
L’opposition (FSN), a pris ses distances avec la ligne de l’armée, affirmant qu’elle ne soutiendrait aucun « coup d’État militaire » alors qu’hier elle pressait encore l’armée d’intervenir au plus vite, ce qui témoigne probablement de l’opposition du peuple à un pouvoir militaire dur, mais le FSN souligne que l’ultimatum ne signifiait pas que les militaires voulaient jouer un rôle politique. Quels hypocrites ! El-Baradei, vient d’être désigné comme porte-parole du FSN. Il se place pour le prochain ministère comme larbin des militaires ? Ce n’est pas parce que les gens ont applaudi au soutien de l’armée qu’ils veulent un gouvernement militaire. Baradei pourrait être le prochain « dégagé ». Une blague égyptienne aujourd’hui : Il paraît que Ramses II a démissionné, le porte parole de Hatshepsut’s aussi, pendant que Tutankhamon hésite encore.
Jacques Chastaing