[Chroniques de mitard publiées du 7 au 11 septembre 2012]
La nuit ne porte plus conseil
La nuit ne porte plus conseil, nous avons été trop nombreux à compter sur elle. Ça fait longtemps que je ne compte plus les moutons pour m’endormir. Dix ans de nuits blanches, matelas dur comme de la roche, même mes pensées raisonnent tellement c’est vide dans cette cellule de mitard. Témoignage en temps réel, mon dos courbaturé en a subi les frais. Mais je jure sur la tête des quatre murs de ma grotte de m’en sortir vivant. Je conçois, concède qu’ils ont maquillé, mis une couche de peinture pour essayer de cacher les traces d’une précédente tentative de suicide.
Je suis devenu comme un animal en cage, aucune émotion face à ces kilomètres de murs et de barbelés. Pour ne pas étouffer, je passe mes après-midi en promenade. Promenade bétonnée de la tête aux pieds, grillage barbelé au-dessus du crâne. Difficile d’entrevoir le ciel qui te rappelle qu’il existe d’autres lieux que ta cage de fauve.
Les courriers de tes proches sont lus et relus, disséqués par tes geôliers. Une fois qu’ils t’arrivent en mains propres, ça te procure un plaisir inestimable. Le « JE T’AIME » de ta chérie en fin de lettre a le goût de miel. De braqueur de banque, je m’efforce de devenir poète. La plume des « citéens », l’encre du ghetto, autodidacte, un pari fou pour qui m’a connu à mes heures barbares. Gamberge de trentenaire, Robin des blocks n’a pas d’arc mais un stylo, des mots, des pensées, des anecdotes. Trente ans de voyoucratie à essayer de gommer comme une rature au milieu d’un texte, toujours visible comme le nez au milieu de la figure.
L’expérience est le nom que l’on donne à nos erreurs. Alors j’en ai beaucoup, beaucoup trop pour un simple « citéen ». Ainsi font, font, font les mecs des bas-fonds. Les armes et la violence en héritage. La « ZONZON » ne fait plus peur on s’y entasse tous en chœur, aux assises c’est les enchères. Tu passes de dix à quinze de quinze à cinq ans selon l’humeur de tes juges. Ça rentre, ça sort de prison comme dans un moulin « passage obligé » pour les indigènes de la France d’en bas. Vite ! Vite ! Il nous faut un vaccin de toute urgence pour nous guérir de cette mentalité pirate. Les générations se suivent et se ressemblent dans le ghetto.
J’essaie de conjurer le mauvais sort en comptant désormais sur nous-mêmes et plus rien attendre de personne.
[La Chronique de Youv derrière les barreaux est disponible en téléchargement gratuit sur le site des Éditions Antisociales. Elle est à suivre sur le compte Facebook dédié.]