Amsterdam en lutte contre les squats

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L’Unité mobile était présente en force, hommes et femmes de grande taille en tenue de combat, casque intégral sur la tête, matraque au poing et revolver à la hanche. Ils ont affronté quelques jets de pierres, de bouteilles et de peinture. Ils ont répliqué avec des gaz lacrymogènes et des jets de canons à eau qui ont eu vite raison des frêles barricades et des téméraires qui tentaient d’entraver le passage des fourgons.

À 50 mètres de là, sur le Passeerdersgracht, au coeur d’Amsterdam, des jeunes filles portant de jolies robes blanches de mariée étaient venues soutenir, sur le mode ludique, les personnes visées par cette opération policière très médiatisée. À savoir l’évacuation des locataires d’un bâtiment désaffecté, membres du collectif artistique Schijnheilig, « krakers » parmi les plus célèbres de la ville et lointains héritiers d’un courant qui révolutionna les Pays-Bas dans les années 1970. À l’époque, le mouvement organisa un peu partout des occupations d’immeubles et développa une version très néerlandaise du grand mouvement de protestation mondial de la jeunesse de l’époque.

L’étonnante confrontation d’Amsterdam, au début du mois de juillet, illustre de manière parfaite l’évolution d’un pays passé d’une douce euphorie à un raidissement généralisé. Les sympathisantes des squatteurs eurent beau crier et gesticuler en agitant de petites poupées en plastique — pour dénoncer, expliquaient-elles, les policiers qui ne seraient que des « marionnettes sans cerveau » —, le lieu a été nettoyé en quelques dizaines de minutes. Les marteaux hydrauliques ont fait sauter les serrures, et tous les occupants du Schijnheilig ont été traînés, menottés et embarqués. Bobos trentenaires, garçons portant des dreadlocks, punkettes aux collants troués, anars, autonomes encapuchonnés : tous ont tenté, en vain, de faire un sit-in, et une jeune femme a même sauté dans le canal.

Calme et déterminé, un officier de police a résumé le bilan : 140 occupants du squat et des sympathisants arrêtés, pas de blessé. Point barre.

Le lendemain, les journaux expliquaient que beaucoup des occupants de Schijnheilig avaient refusé d’indiquer leur identité, mais que 52 d’entre eux avaient été transférés vers le service des étrangers, susceptible de les détenir au-delà du délai légal (deux fois six heures) prévu par la procédure néerlandaise. « Une manière de les mettre sous pression », a commenté un avocat. La plupart des personnes arrêtées semblaient, en effet, capables de fredonner parfaitement Sinterklaas Kapoentje, la première chanson qu’apprennent tous les bons petits Néerlandais pour remercier le grand saint dispensateur de jouets. Mais au pays de Geert Wilders, pour certains, les « krakers » ne sont, en réalité, rien que des dealers de drogue étrangers.

Quelque 160 bâtiments et appartements sont encore occupés illégalement à Amsterdam et quelques dizaines d’autres dans le reste du pays. Deux fois rien par rapport à ce qu’avait généré le mouvement Provo en 1966 et son prolongement, les « krakers », qui a pris sa forme définitive en 1975.

En octobre 2010, le Parlement néerlandais a voté une loi déclarant illégal le fait d’occuper sans autorisation un bâtiment, un terrain, la caravane résidentielle ou la péniche d’autrui. Il aura fallu plus de trente années de procédure pour faire aboutir le processus législatif. En 1993, une réforme du code de logement avait prévu que le squat restait possible, mais seulement dans des lieux vides depuis plus d’un an. Ce compromis avait eu pour effet d’affaiblir, mais pas de faire disparaître, un mouvement qui était déjà victime de ses débats internes et se divisait entre les partisans de l’usage de la violence contre le « système » en général et ceux qui entendaient limiter leur champ d’action à la défense de l’accès au logement pour les jeunes et les déshérités.

Le grand fait d’armes — et le véritable tournant — du mouvement des krakers fut l’immense protestation du 30 avril 1980, jour du couronnement de la reine Beatrix, à Amsterdam. La scène tourna en un gigantesque pugilat, malgré la présence de 10’000 policiers, gendarmes et autres militaires dans les rues. Des tireurs d’élite avaient été postés sur les toits et l’espace aérien fermé au-dessus de la ville. Rien n’y fit : les affrontements entre les forces de l’ordre et les révoltés firent des centaines de blessés et causèrent des millions de florins de dégâts, marquant un premier tournant dans la paisible histoire de l’après-guerre du royaume.

Depuis, l’esprit des « krakers » a survécu, animant encore une certaine protestation contre la spéculation immobilière mais surtout les partisans d’une autre façon de vivre, de travailler et d’habiter.

À La Haye, la Villa Kabila, ancienne ambassade de la République démocratique du Congo, est occupée par quelques artistes qui, parfois, ouvrent les portes aux visiteurs pour un concert ou un repas. À Maastricht, l’ancien entrepôt du Landbouwbelang, occupé depuis neuf ans, possède une salle de danse qui peut accueillir 500 personnes et des groupes rock renommés.

Avant d’être vidé, le Schijnheilig d’Amsterdam avait reçu la visite du Volkskrant, et le journal a raconté comment le mouvement local, dirigé par un thésard de 29 ans, passionné par l’œuvre de Calvin, entendait promouvoir l’art expérimental. « Dans le climat politique actuel, c’est déjà un geste politique », déclarait-il. Bien vu, jeune homme.

Leur presse (Jean-Pierre Stroobants, Le Monde.fr), 18 juillet 2011.

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