Les contes du père Chatel

 

À la veille des grandes vacances, une opération ministérielle promet un livre d’été à tous les élèves de CM1. Un progrès aux terribles relents réactionnaires.

Une opération nommée « Un livre pour l’été », initiée par Luc Chatel propose à chaque enfant de repartir avec un livre à lire pour les grandes vacances : Cette année : un recueil de contes de Charles Perrault. L’année passée : les Fables de La Fontaine. Comment ne pas applaudir des deux mains à une telle opération permettant à des élèves d’avoir un livre bien à eux ?

Certes, mais quand on y regarde de plus près, il y a de quoi s’inquiéter si ce n’est carrément de protester contre les caractères à la fois anti-pédagogiques et libéraux de cette opération.

Premièrement le fait d’avoir choisi de conserver le texte original (et non une version adaptée de ces contes) rend la lecture totalement hors de portée pour des élèves qui sont lecteurs depuis moins de trois ans. En effet qu’est-ce qu’un enfant de 9 ans pourrait retenir, par exemple, du début de Peau D’âne :

« Il est des gens de qui l’esprit guindé,
Sous un front jamais déridé,
Ne souffre, n’approuve et n’estime
Que le pompeux et le sublime ;
Pour moi, j’ose poser en fait
Qu’en de certains moments l’esprit le plus parfait
Peut aimer sans rougir jusqu’aux Marionnettes ; »

Mais passe encore. Même si de nombreuses réécritures à la portée des élèves sont aussi dans le domaine public, certains passages de ce livre sont peut-être exploitables en classe, bien que le livre, rappelons-le, soit destiné avant tout à donner envie de lire aux élèves pendant les vacances. Et l’utilisation du rapport entre le texte et les illustrations permettra certainement aux élèves de s’y retrouver…

Les illustrations ? Parlons-en ! Là encore, dans un élan irrésistible de modernité, les conseils du ministre ont décidé d’utiliser des « images d’Épinal » pour décorer l’ouvrage. On propose donc aux élèves un texte incompréhensible, décoré d’images totalement rétrogrades. À moins que l’enfant lambda de CM1 n’ait un haut souci de la valeur patrimoniale de ces éléments, on peut sérieusement douter que les chères « têtes blondes » à qui est destiné ce recueil, s’éclatent en feuilletant ces pages. En réalité, comme on travaille avec eux toute l’année et qu’on n’a pas attendu notre cher Ministre pour tenter de leur donner le goût de lire, on sait déjà qu’à part pour les enfants qui ont déjà le goût de lire, ce livre ne servira guère à autre chose qu’à caler un lit branlant.

Ces aberrations amènent donc forcément à se poser la question de qui a voulu contenter le ministre avec cette opération ? Et on voit bien qu’il n’y a que les associations les plus réactionnaires et anti-pédagogiques pour applaudir à une telle supercherie…

Ajoutons à tout ça, que chaque enseignant du CM2 « s’engage à exploiter à la rentrée » le livre avec ces nouveaux élèves, grâce à des fichiers pédagogiques déjà prêts (ben oui, pour une fois il fera bosser les gosses au lieu de faire de la garderie) une nouvelle fois au mépris de toute liberté pédagogique.

Le tableau est complet quand en retournant le livre on identifie le logo de la fondation Total. Effectivement, c’est une nouveauté, le matériel pédagogique proposé par le ministère permet désormais aux pires crapules capitalistes de diminuer leurs impôts en finançant gracieusement les apprentissages des élèves de l’école publique. À quand les « mallettes éducation à l’environnement financées par Areva ou les ateliers « développement durables » créés par Carrefour ou Leclerc ? On croit rêver mais on se rappelle amèrement qu’on plaignait, il y a quelques années, les petits Américains qui apprenaient à lire sur les logos de Coca ou McDonald dans des manuels financés par ces firmes. Les vautours capitalistes hexagonaux semblent donc, eux aussi, décidés à investir le champ pédagogique.

Bref, si la base du projet est louable, sa réalisation est bien en parfaite adéquation avec la politique actuelle du gouvernement : d’une part la forme est la plus rétrograde et anti-éducative possible, flâtant au passage tous les réactionnaires adeptes du dressage scolaire, et d’autre part, le recours à un financement privé montre que le système scolaire est tellement exsangue financièrement qu’il ne peut même pas payer un livre à une classe d’âge.

Face à cette situation il est plus que nécessaire de réclamer des moyens financiers et humains en vue d’instaurer une éducation permettant à tous, élèves et enseignants, de mettre en place des pratiques éducatives émancipatrices. L’éducation, et a fortiori le goût de la lecture, ne peuvent se concevoir sous la contrainte. Au passage, on rappellera l’excellent travail réalisé par l’éditeur associatif « Lire c’est partir », qui depuis plus de 15 ans, sans subventions, met à la disposition des classes des ouvrages historiques ou contemporains de littératures de jeunesse pour moins d’un euro. Le très bon travail qu’ils ont réalisé a sûrement plus contribué au goût pour la lecture de nombreuses classes d’âge, que ne pourront le faire toutes les subventions que les pires crapules financières pourront attribuer au système scolaire, pour se dédouaner de la pression dramatique qu’ils font peser sur les finances publiques.

Enfin, pour l’anecdote, à la lecture de passages du communiqué ministériel, « La lecture est au cœur de l’École et le plaisir de lire se découvre avec son professeur », l’auteur des contes en question doit se retourner dans sa tombe. En effet, ironie de l’histoire, Charles Perrault, jeune élève au collège de Beauvais à Paris, avait décidé avec un de ses camarades de quitter l’établissement et de ne plus y retourner après une dispute avec son professeur de philosophie. Il s’était alors consacré à la lecture puis à l’écriture…

Fédération CNT des Travailleur-euses de l’Éducation, 30 juin 2011.

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