Depuis le mois de mars, de nombreux Tunisiens qui ont traversé la Méditerranée et ont gagné l’Europe via la petite île italienne de Lampedusa sont arrivés à Paris. Au Maghreb, on les appelle les harragas, c’est à dire les brûleurs de frontières, nom donné à ceux qui traversent les frontières sans visa ni autorisation. Quelques centaines d’entre eux se sont alors installés dans des conditions très précaires dans un square situé sous le périphérique porte de la Villette.
De là, naît un collectif, « Les Tunisiens de Lampedusa à Paris », qui, depuis fin avril, mène diverses actions, rassemblements, occupations, manifestations pour avoir des papiers et un lieu pour vivre dignement et s’organiser. À ces actions participent différentes personnes qui elles ont des papiers et ont en commun de lutter pour la liberté de circulation et d’installation, contre les expulsions et les centres de rétention.
Lors d’actions collectives comme lors de la vie de tous les jours, nous savons bien que les personnes sans papiers ne courent pas les mêmes risques que les celles qui en disposent. Pour les sans-papiers, au moindre contrôle et a fortiori à la moindre incartade c’est le couperet de l’enfermement en centre de rétention et de l’expulsion qui risque de tomber. En cas de condamnation judiciaire, en plus d’une éventuelle peine de prison ou autre il y a aussi toujours le risque d’être doublement puni par une interdiction du territoire français (ITF) qui entraîne bannissement et compromet sérieusement toute possibilité de régularisation ultérieure.
Mais contrairement à ce qu’il se passe dans la vie de tous les jours où, atomisés, nous nous laissons parfois aller à passer notre chemin quand, dans la rue ou un couloir du métro, des uniformes contrôlent les identités et raflent les sans-papiers, dans une action collective on peut plus facilement faire le choix de ne pas accepter de participer au tri de ceux qui auraient le droit de vivre en France et de ceux qui ne l’auraient pas.
Aussi à plusieurs reprises, depuis fin avril, après des arrestations mélangeant personnes sans papiers et à papiers, plusieurs parmi cette dernière catégorie ont refusé de donner leur identité à la police et de se soumettre au fichage signalétique.
Elles ont donc refusé de se faire photographier et de donner leurs empreintes. Tout d’abord par solidarité avec leurs camarades tunisiens mais pas seulement.
Refuser la signalétique c’est d’une façon générale refuser d’être fiché dans un monde où nous le sommes toujours de plus en plus sous n’importe quel prétexte. Dans le cadre d’une lutte pour la liberté de circulation et d’installation comme celle qui est menée actuellement, c’est aussi plus clairement refuser de collaborer à des procédures qui participent au contrôle des flux migratoires et à la répression qui partout en Europe s’exerce contre les personnes migrantes.
En effet, la prise d’empreinte est notamment utilisée pour établir une traçabilité des sans-papiers à un niveau européen.
Le système Eurodac permet aux États membres d’identifier les demandeurs d’asile et les personnes « ayant illégalement franchi les frontières extérieures de l’Europe » en comparant leurs empreintes avec celles contenues dans une base de données centrale où figurent 2 millions de candidats à l’immigration. Grâce aux prises d’empreintes et au fichier Eurodac, n’importe quel État peut savoir par où une personne est arrivée en Europe, et décider en fonction de cela de l’expulser dans cet État, l’expulsion prenant alors le doux nom de réadmission.
Les photos et empreintes permettent aussi à la police de recouper diverses informations pour établir l’identité des personnes sans papiers au delà de leurs déclarations, l’établissement de cette identité facilitant les procédures d’expulsion de celles et ceux qui, parce qu’ils sont là depuis peu de temps, parce qu’ils n’ont pas de famille, pas de travail, pas de particularisme sans cesse rétrécissant, ne peuvent obtenir ces fameux papiers sensés nous autoriser à vivre.
Le vendredi 17 juin, à partir de 13h30, un certain, M. X, surnommé M. Lampedusa, passera en procès devant la 23e chambre 2 du TGI de Paris pour refus de signalétique. Il avait été arrêté le 4 mai suite à l’expulsion sur ordre de la mairie de Paris d’un immeuble vide réquisitionné par des harragas tunisiens et des personnes solidaires de leur lutte. Ce jour-là, 120 personnes avaient été placées en garde à vue. Emmené avec des sans-papiers, il a décidé de lier sa situation à la leur, n’ayant pas de papiers en sa possession à ce moment-là.
Les 1er et 8 juillet [À la 10e chambre 2 pour le 1er juillet. À préciser ultérieurement pour le 8 juillet], d’autres Mlle, M. ou Mme X comparaîtront devant des juges pour avoir, lors de cette lutte avec les harragas tunisiens, refusé de se soumettre à la signalétique suite à des arrestations collectives mêlant sans-papiers et à-papiers.
Pour toutes et tous, solidarité !
Des papiers pour tout le monde ou plus de papiers du tout !
Liste Migreurop, 13 juin 2011.