Menacé de prison pour avoir relayé sur Internet des conseils en manif
C’est de loin la menace judiciaire la plus inquiétante de ces dernières années contre un média alternatif français. Mercredi 7 mai, un Toulousain a été placé en garde à vue puis convoqué au tribunal le 29 juin. Il risque jusqu’à cinq ans de prison et 45’000 € d’amende, la peine la plus grave pour une affaire qui ressort du droit de la presse. Il est accusé de « provocation à la commission d’un crime ou d’un délit ». À titre de comparaison, l’apologie de crime contre l’humanité, est punie de la même peine.
Mais qu’a donc bien pu faire cette personne pour vivre durant deux mois avec la menace de plusieurs années de prison ? Il est accusé (sans preuve quasiment) d’être le responsable éditorial de Iaata.info, un site d’info participatif, anti-autoritaire et au fonctionnement horizontal à Toulouse. Sur cette plate-forme collaborative, un article a été publié relayant quelques conseils connus et rabâchés face aux techniques de maintien de l’ordre en manifestation, ce fameux savoir-faire que les gouvernants français souhaitent exporter partout, en particulier dans les dictatures.
Jusqu’à présent, les procès contre des médias alternatifs portaient en écrasante majorité sur des diffamations [Comme « Le Jura libertaire », poursuivi par Hortefeux pour diffamation contre la police. Le récit de son procès mercredi 7 mai est d’ailleurs édifiant.] Nous n’avons jamais eu connaissance à ce jour de l’utilisation du délit de « provocation à la commission d’un crime ou d’un délit ». Les conseils pour faire face à la police sont pourtant légions sur l’ensemble des médias proches des mouvements sociaux. Ils se multiplient au fur et à mesure que la violence policière s’aggrave, occasionnant chaque année en manifestation des centaines de blessé·e·s parfois graves, des incarcérations de plus en plus fréquentes, voire des fins tragiques comme celle de Rémi Fraisse. Menacer de prison ce qui constituait jusqu’alors une pratique courante et légitime est une étape supplémentaire dans la collusion entre la justice et la police [Et puis, à partir du même article de loi, pourquoi ne pas aussi poursuivre les réalisateurs de films qui montrent favorablement des personnes qui résistent à la police, en utilisant les mêmes techniques de renvoi de lacrymos à l’envoyeur ou de solidarité active face à des arrestations, ou même des cambrioleurs ?].
Ces conseils face à la répression sont d’autant plus nécessaires que le maintien de l’ordre est de plus en plus politique. Les flics, CRS, gardes mobiles et autres « bakeux » dispersent violemment la moindre manifestation qui contrevient à la très singulière conception de « l’ordre » des autorités. Une répression sans cesse accrue qui tend à limiter radicalement « le droit de manifester » par l’exercice de la terreur (la mutilation au flashball par exemple) et de la répression aveugle (les peines de prison distribuées à tour de bras après les manifs qui dépassent le strict cadre de la promenade).
Dans ce contexte, les poursuites judiciaires faites à nos camarades de Iaata sont d’une gravité extrême. Que les médias « dominants » ou « bourgeois » ne s’en inquiètent pas ne serait pas étonnant, vu la lecture très restrictive qu’ils font souvent de la liberté d’expression [Notons que les scandaleuses peines de prison pour apologie de terrorisme n’ont pas ému les défenseurs de « Charlie »] ou des manières convenables de s’opposer à des situations insupportables. Ils pourraient pourtant eux aussi, à l’occasion, faire les frais de la judiciarisation de tels propos.
Mais que les sites, journaux, maisons d’éditions, radios etc. « alternatifs » [Et les collectifs, organisations ou individus qui les utilisent au quotidien !] ne se saisissent pas massivement de cette affaire serait extrêmement grave. Une telle condamnation nous placerait en permanence sous la menace de poursuites similaires. Un texte de soutien est déjà diffusé sur toute une série de sites : Face à la répression, l’information est une arme : soutien à Iaata.info. Le signer et le relayer est le plus évident des premiers gestes.
On ne peut que souhaiter que mille Iaata fleurissent. Et face à la violence du maintien de l’ordre, que mille conseils en manifestation soient diffusés partout !
L’Atelier médias libres, 12 mai 2015