C’est donc cela qu’il y à faire à présent : s’extraire du cadre national, unir nos forces contre des « cibles logiques », prendre la rue à l’échelle européenne, quitte à traverser le continent

Grèce : sortir de l’impuissance nationale

La péremption de l’espoir, en politique, se fait toujours plus véloce. Il a fallu deux ans, dans les années 1980, pour que chacun s’avise de ce qu’il en était du « socialisme » de François Mitterrand. Au bout de trois mois, on était à peu près fixé quant à ce que serait, en fait de reniement total, le quinquennat de François Hollande.

Il n’a pas fallu trois semaines pour faucher net tous les espoirs bêtement placés en un politicien aussi madré qu’Alexis Tsipras : celui qui prétendait envoyer au diable la « troïka » s’attable sagement au premier coup de sifflet, quelles que soient les précautions sémantiques, les arguties tactiques et les rodomontades préalables.

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Mathieu Burnel dans l’émission ‘Ce soir ou jamais », France2, le 31 octobre 2014 | VOIR LA VIDÉO

Son souci de flatter, fût-ce par les artifices les plus archaïques, l’union nationale masque mal le divorce entre les promesses et les actes. Rarement on aura vu, en politique, impuissance plus criante. À croire que l’on n’avait peint l’apparatchik social-démocrate en gauchiste radical que pour mieux mettre en scène sa venue à résipiscence.

On a beaucoup glosé sur les trois semaines de « psychodrame » à rebondissements entre bureaucrates internationaux qui ont suivi la victoire de Syriza. Mais on n’a rien dit sur l’embarrassante démonstration qui a été faite là, en eurovision. Pour qui n’a pas consenti à se crever les yeux, elle se formule comme suit.

Un : voter pour un gouvernement ou pour un autre – fût-ce un « gouvernement d’ultra-gauche », comme l’a écrit Le Monde dans le cas grec – est sans effet.

Deux : tout gouvernement, en Europe, ne peut plus être qu’un relais local de la machine gouvernementale globale.

Trois : comme Podemos peut-être demain, Syriza n’a fait qu’amener à s’échouer au sein du jeu politique la puissance née dans la rue lors du « mouvement des places ».

Le mouvement des « indignés » noyauté

Car Syriza résulte de la conjonction d’une stratégie – noyauter le mouvement qu’ailleurs on a appelé  des « indignés » et se propulser à partir de là – et d’un désespoir – la voie de l’insurrection, des occupations et des grèves générales, expérimentée en Grèce des années durant, n’ayant abouti à rien, on s’en remit une nouvelle fois au vote, au vote pour un parti qui n’avait pas encore eu l’occasion de trahir, étant nouveau. Ce désespoir est lui-même le fruit d’un enfermement, d’un enfermement dans le cadre national.

Comme l’écrit fort justement la Destroïka dans son appel à aller manifester à Francfort contre la Banque centrale européenne le 18 mars, « de grèves générales sans effet en journées d’action qui n’agissent sur aucune cible digne de ce nom, les luttes semblent partout buter sur le cadre national – au Portugal, en Espagne, en Italie, en France, en Grèce. L’échelle nationale, qui fut longtemps l’échelle par excellence de l’action politique – que ce soit pour l’État ou pour les révolutionnaires –, est devenue celle de l’impuissance. Impuissance qui se retourne contre elle-même en une rage nationaliste qui, partout, gagne du terrain ».

C’est donc cela qu’il y à faire à présent : s’extraire du cadre national, unir nos forces contre des « cibles logiques », prendre la rue à l’échelle européenne, quitte à traverser le continent. Et ici, appuyer sur cette petite contradiction : la Banque centrale européenne (BCE) a beau se figurer qu’elle règne avec une autonomie kantienne sur sa république phénoménale des taux d’intérêt, elle n’en demeure pas moins quelque part sur terre.

Elle ne gouverne pas la marche du monde depuis les airs. Son nouveau siège à 1,2 milliard d’euros, elle l’a inauguré le 18 mars à Francfort, et non au pays des ombres financières, des anticipations à cinq ans, des algorithmes de marché et des nanosecondes chères à Goldman Sachs. « Vos assiettes ne sont pas à l’épreuve de nos crachats. Vos forteresses sont vulnérables », comme l’écrit aussi la Destroïka, s’adressant à Draghi et consorts.

On nous dira : « Mais tout cela est bien connu. Ce sont les vieilles lubies du mouvement antiglobalisation. Vous reproposez une stratégie qui a déjà échoué, celle des contre-sommets, ces inoffensifs rendez-vous endogames d’activistes déconnectés de tout. » C’est oublier une chose : à la différence d’il y a quinze ans, la lucidité quant aux méthodes néolibérales de restructuration des sociétés n’est plus l’apanage d’une poignée de militants, mais un fait social massif.

Depuis la fin janvier, chaque semaine étale sous les yeux de tous le caractère politique d’instances « économiques » telles que la BCE. Faire le siège de la BCE relève à présent d’une salubre évidence, qui réjouira petits et grands. À part peut-être M. Schäuble.

Mathieu Burnel (membre du groupe de Tarnac)
Mathieu Burnel a été mis en examen dans l’affaire de Tarnac.

Leur presse (LeMonde.fr, 18 mars 2015)

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