[Burkina Faso] De la chute de Compaoré à une révolution confisquée

Burkina Faso : de la chute de Compaoré à une révolution confisquée

Arrivé à a tête de l’État avec le putsch du 15 octobre 1987, le capitaine Blaise Compaoré a assis son pouvoir en interne en maîtrisant l’appareil militaire et sur le plan international en jouant le rôle de pivot de la Françafrique et de l’impérialisme occidental dans le cadre de la lutte antiterroriste des années récentes. Mais ce régime dont certains thuriféraires français n’ont pas cessé de chanter les louanges [Pour avoir un aperçu de ce qu’a été le lobby pro-Compaoré en France on peut être édifié en allant sur le site du CISAB] a fini par voir sa base sociale se rétrécir à un clan familial et à quelques supplétifs attirés par la perspective du pouvoir et de l’argent facile. Encore prêt à manipuler la constitution comme il l’a toujours fait depuis 1991, Compaoré a été acculé à quitter le pouvoir par une insurrection populaire d’une ampleur inégalée. Malheureusement, la séquence politique qui a suivi semble montrer que la victoire du peuple n’est pas pour autant acquise.

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Les fondements du régime Compaoré

Se référant dans les premières années de son régime au processus révolutionnaire initié par Sankara qu’il s’agissait alors de « rectifier », le régime de Blaise Compaoré s’est doté d’une façade civile à partir de 1991 avec l’adoption d’une constitution. Malgré ce ravalement, le régime était demeuré fondamentalement militaire en s’appuyant sur l’armée, notamment sur le Régiment de sécurité présidentielle. Devenu, suite à la mort d’Houphouët-Boigny en 1993, une pièce centrale de la Françafrique dans la sous-région, il a pu compter durant tout son règne sur des soutiens renouvelés des politiques français qu’ils soient de « droite » ou de « gauche » malgré des crimes de sang à répétition et des implications dans des guerres civiles meurtrières dans les pays voisins comme au Liberia et en Sierra Leone ou encore plus récemment encore en Côte d’Ivoire. Paradoxalement, cela ne l’a pas empêché de se poser en médiateur dans les crises de la sous-région. En effet il a participé à la gestion de six crises ouest-africaines (Niger, Togo, Guinée, Liberia, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Mali) d’où l’étiquette de « pompier pyromane » qui a fini par lui coller à la peau, au point par exemple d’avoir été récusé par la partie malienne dans les négociations concernant la crise au Nord du Mali. Une autre opportunité dont il a su se saisir sur le plan international est la présence de groupes islamistes armés au Sahel. Ainsi, depuis plusieurs années, il avait accueilli discrètement le redéploiement des troupes françaises, le commandement des opérations spéciales (COS), et les forces américaines dans le pays au titre de la « lutte contre le terrorisme ».

Une contestation sociale et politique ancienne

Le 3 janvier 1966, une manifestation populaire emmenée par les syndicats avait chassé du pouvoir Maurice Yameogo, le premier président de ce qu’on appelait à l’époque la Haute-Volta. En 1975, ce contre-pouvoir syndical avait aussi mobilisé la population pour dissuader le général Lamizana de mettre en place un régime de parti unique. On voit donc que la capacité du peuple de s’opposer voire de mettre fin à un pouvoir dictatorial ou autoritaire n’est pas nouvelle dans l’histoire du pays. Sous le régime de Compaoré, comme souvent en Afrique ce sont les étudiants qui ont été les premiers à se mobiliser contre le régime, dès mai 1990, ce qui s’est soldé par une répression féroce organisée par la Sécurité présidentielle qui a torturé les étudiants et même assassiné le président de l’Association nationale des étudiants burkinabé (ANEB), Dabo Boukary. Mais c’est surtout à partir de 1998 que le régime va être confronté à un mouvement de contestation de masse à la suite de l’assassinat du journaliste d’investigation, Norbert Zongo. Au moment de sa mort il enquêtait sur le décès de David Ouédraogo, chauffeur de François Compaoré, frère du chef de l’État, suite à son passage entre les mains des tortionnaires de la garde présidentielle. Durant près de deux ans, le régime fait face à une contestation sans précédent. Après avoir fait des concessions apparentes tant sur le plan politique que judiciaire face à la demande de justice et de remise en cause du pouvoir patrimonial, le régime était revenu à ses fondamentaux, la répression et l’intimidation de ses adversaires. Mais à partir de 2008, un nouveau cycle de mobilisations débute au sein de la Coalition contre la vie chère mis en place par les syndicats qui n’ont pas cessé de jouer leur rôle de contre-pouvoir. En parallèle d’autres mobilisations moins « centrales » ont eu lieu par exemple contre les compagnies minières dans le contexte du « boom minier » de l’or (cf. CA précédent n° 244 novembre 2014), contre la culture du coton transgénique développée par Monsanto ou encore au sujet de l’accaparement des terres par l’agrobusiness, ce qui révèle bien le rôle de relais de l’impérialisme joué par un régime dont le caractère népotiste était bien connu, avec deux personnages centraux : le frère du président François Compaoré et sa belle-mère Alizeta Ouedraogo qui avaient la haute main sur les affaires économiques du Burkina. En 2011, à la suite de la mort d’un collégien à sa sortie d’une garde à vue par la police, la version officielle d’un décès par une méningite met la ville de Koudougou dans un état d’insurrection. Le mouvement prend de l’ampleur dans tout le pays dans les semaines qui suivent. À la colère contre l’impunité, l’arrestation et la mort de manifestants se greffent d’autres revendications sociales, tel l’arrêt des coupures d’eau et d’électricité pour factures impayées, la réduction des frais d’inscription aux examens (BEPC, baccalauréat), des mesures vigoureuses contre la vie chère, l’indépendance de la justice et la sécurisation des magistrats, la subvention de certains produits de grande consommation, la suppression de certaines taxes, la réfection des routes dans les provinces, la fin de la pollution engendrée par les activités des transnationales minières, la fin de l’inamovibilité des directeurs généraux des entreprises d’État, la fin de l’accaparement des terres par les oligarques, l’amélioration du prix d’achat du coton aux producteurs et baisse du prix des intrants, le droit à l’orpaillage artisanal, etc. Sur ce mouvement populaire, sont venues ensuite se superposer des mutineries dans l’armée : environ huit vagues pouvant s’étendre sur plusieurs jours et à différentes garnisons en moins de deux mois et demi qui causent décès, viols, blessés, destructions de biens publics et privés, pillages. Le 14 avril 2011, la garde présidentielle elle-même se rebelle, obligeant Blaise Compaoré a fuir son palais quelques heures. Une fois que ses revendications ont été prises en compte, le RSP va être utilisé pour mater les autres mutins. Débutée en février 2011, l’expression étendue du ras-le-bol populaire n’a pris fin qu’en juin 2011. Ces différents mouvements qui éclatent souvent spontanément en réaction à un événement (souvent de nature répressive étant donné la nature du régime) sont aussi inscrits dans un cadre organisationnel qui s’est créé à partir de la fin des années 1980 avec la création de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), puis du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP). Ce sont ces mêmes organisations qui ont été à la base du Collectif de lutte contre l’impunité né à la suite de l’affaire Zongo en décembre 1998 ou le CCVC en 2008. Plus récemment dans la même orbite est née l’Organisation démocratique de la Jeunesse (ODJ). Cependant après 2011, on assiste à l’éclosion de « mouvements citoyens » dont le plus médiatique est le Balai citoyen apparu en 2013 avec des chanteurs comme Smockey et Sams’K. Le Jah, notamment influencés par le mouvement Y’en a marre apparu à la même époque au Sénégal.

L’éclatement du bloc au pouvoir et la mobilisation pour l’alternance

Durant les années 1990-2000, des élections ont bien eu lieu mais du fait de la fraude ou de la corruption des opposants par le régime, il n’y a pas eu de véritable opposition parlementaire, ce qui va changer pour la première fois à partir de 2010. Zéphirin Diabré, plusieurs fois ministre dans les années 1990 et conseiller du président pour les affaires économiques, avant de poursuivre sa carrière à l’extérieur, notamment au sein du PNUD, puis, de 2006 à 2011, au sein du groupe AREVA, crée son parti, l’UPC (l’union pour le changement). Lors des élections législatives de décembre 2012, si le parti au pouvoir, le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) obtient la majorité des sièges à l’Assemblée nationale (soixante-dix sur cent vingt-sept), l’Union pour le progrès et le changement (UPC) fait une entrée remarquable, avec dix-neuf sièges, ce qui fait de Zéphirin Diabré le chef de file de l’opposition. La première mobilisation de masse organisée par cette opposition politique a eu lieu le 29 juin 2013 en réaction au vote de l’assemblée en faveur de la mise en place d’un sénat, une deuxième chambre que l’on soupçonne de faciliter un « tripatouillage constitutionnel ». Ensuite, les événements vont se précipiter il y a un an environ lorsqu’apparaît plus clairement le projet de réforme visant à modifier l’article 37 de la Constitution, pour permettre à Blaise de rempiler en 2015 pour deux nouveaux mandats jusqu’en 2025… Au début de l’année 2014, la crise qui couvait en interne dans le parti présidentiel, éclate alors au grand jour : un certain nombre de caciques du CDP — Salif Diallo l’ancien ministre de l’agriculture et surtout « l’homme des basses œuvres » du régime, Simon Compaoré, l’ancien maire de Ouagadougou, Roch Christian Marc Kaboré l’ancien président de l’Assemblée nationale — face à la dérive monarchique du régime de plus en plus évidente, créent leur propre parti le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès). Après avoir hésité à faire adopter son projet par voie de référendum, le régime décide au dernier moment le 21 octobre de le faire par au moyen d’un vote parlementaire. En additionnant les voix du CDP à celle d’un autre parti, l’ADF-RDA, la majorité requise lui était acquise mais c’était sans compter avec la mobilisation du peuple burkinabé qui allait déjouer ces calculs politiciens.

Le scenario de la chute de Compaoré

Le mardi 28 octobre une manifestation appelée par l’opposition et les mouvements citoyens atteint des niveaux inégalés. Les soutiens internationaux du régime lui demandent encore de retirer son projet. Mais il passe outre en mettant en place un dispositif sécuritaire pour faire voter les députés à l’abri des manifestations. Mais tout ce dispositif vole en éclats devant la détermination des jeunes qui ont bien compris que c’était maintenant ou jamais. L’assemblée nationale part en fumée, les députés s’enfuient et la loi ne sera jamais votée [Le bilan de l’insurrection s’établit pour l’ensemble du pays à 24 morts et 635 blessés. La question de la recherche des responsables de ces victimes est aussi une question posée au nouveau pouvoir.]. La mobilisation s’étant construite autour du refus de voir Blaise Compaoré se présenter à l’élection présidentielle de 2015, la radicalité du peuple insurgé les 30 et 31 octobre a surpris et paralysé les partis dits d’opposition et bon nombre des acteurs de la société civile. Pendant toute la mobilisation ces derniers estimaient que lutter pour le départ de Blaise Compaoré était en soi suffisant ce qui leur évitait d’avoir à s’exprimer sur leur projet politique. Le vide politique créé par le départ de Blaise Compaoré qui s’annonce déjà le 30 octobre et qui devient effectif le lendemain va être comblé par la prise de pouvoir des militaires qui se fait dans une certaine confusion : le Général Traoré, chef d’état-major qui s’était mis en avant pour être chef de l’État est finalement écarté de même qu’un autre général Kwame Lougué dont le nom avait été scandé par certains manifestants [Une tentative de manifestation contre la prise du pouvoir par les militaires a eu lieu le dimanche 2 novembre sur la place de la Révolution mais elle a été dispersée]. La venue au pouvoir du lieutenant-colonel Zida, n° 2 du RSP ne fait que confirmer que cette institution était le « vrai pouvoir » au sein du pouvoir burkinabé tandis que le soutien actif à ce dernier de la part des figures de certains « mouvements citoyens » comme le Balai citoyen ou le Collectif anti-référendum révèle a contrario le caractère superficiel de la politisation au sein de ces mouvements. En outre, ce qui est tout aussi révélateur aussi de cette fin de règne, c’est la fuite de Compaoré escorté par des éléments du RSP et finalement exfiltré par des militaires français vers la Côte d’Ivoire.

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Une transition politique en cours qui consacre la permanence d’un pouvoir militaire

Depuis le 31 octobre 2014, avec la prise en main par le lieutenant-colonel Zida de la situation, tout est allé très vite. Après l’adoption d’une charte de la transition, un conseil national de la transition a été mis en place puis le gouvernement. Les annonces n’ont pas manqué pour répondre à la demande de justice des victimes du régime Compaoré, au sujet de l’assassinat de Thomas Sankara et de Norbert Zongo notamment. La volonté de rupture s’est affichée avec le limogeage de certains responsables comme le directeur de la société d’électricité la SONABEL ou encore celui de celle des hydrocarbures, la SONABHY mais on peut voir cela comme des têtes jetées en pâture au peuple pour faire oublier que si la tête est partie, le cœur du pouvoir reste le même. En fait, le processus politique a été totalement court-circuité par Zida qui a réussi à s’imposer comme premier ministre alors que le chef de l’État Kafando apparaît de plus en plus comme un président-potiche qui est là pour donner une façade civile à une transition essentiellement militaire. Zida semble vouloir imiter le populisme de Sankara en jouant de son charisme et en prenant des initiatives qui peuvent lui apporter une certaine popularité, par exemple en annonçant que les entreprises nationales qui avaient été privatisées pour un franc symbolique par le clan présidentiel seraient de nouveau nationalisées. Enfin tout récemment, ce sont les partis qui avaient soutenu la réforme constitutionnelle (le CDP et l’ADF-RDA) qui ont été suspendus. Mais pour le moment, on ne sait pas pour qui « roule » Zida ? Pour le colonel Diendéré qui était le chef d’état-major particulier du régime depuis le coup d’État de 1987, qui a joué un rôle central dans le scénario de la chute de Blaise et qui n’a pas été inquiété depuis la transition à la différence du secrétaire général de l’ancien parti au pouvoir, Assimi Kouanda qui a été placé en détention ? Pour le chef de file de l’opposition au sein de la précédente assemblée, Diabré qui apparaît le mieux placé dans un scénario électoral classique, soutenu par les puissances occidentalise du fait de son capital relationnel et de son néolibéralisme affiché ? Pour les dissidents du CDP du MPP qui ont quitté le navire avant la fin du règne Compaoré ou encore pour des courants sankaristes qui tirent un bénéfice relatif de la situation — plutôt symbolique que politique — et qui sont représentés à travers des figures en vue de la transition comme l’avocat Benewende Sankara ou le journaliste Chériff Sy ? Ou tout simplement pour lui-même comme en témoigne son omniprésence — avec le cumul du poste de premier ministre et celui de la défense — qui ne peut que faire penser à un scénario à la Poutine. Face au risque évident de confiscation de la victoire populaire, les syndicats ont adopté une position circonspecte. Ils ne prennent pas part aux institutions de la transition si ce n’est à la Commission de réconciliation nationale et des réformes pour y rappeler leurs revendications sur la défense des travailleurs et la lutte contre l’impunité. Sur un plan plus politique, la position du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) appelant à la poursuite de l’insurrection et de mise en place d’un gouvernement révolutionnaire « ouvrier et paysan » est restée sans effet sur la réalité. Ce parti clandestin apparu en 1978 se réclamant du marxisme-léninisme albanais d’Enver Hodja a été ensuite à l’origine de la création de la CGT-B et du MBHDP à la fin des années 1980. Il a souvent été présenté comme le grand manipulateur des mouvements de contestation du régime Compaoré mais ne semble plus être en mesure de jouer le rôle d’une avant-garde qu’il continue de revendiquer. On peut cependant miser sur la conscience politique accumulée au fil des mobilisations par le peuple burkinabé qui a chassé le dictateur choyé par les puissances occidentales afin qu’il ne se laisse pas déposséder durablement de sa victoire. En attendant, la question d’une alternative politique révolutionnaire à construire pour éviter un retour à la « case départ » reste posée.

PB – Courant Alternatif n°246, janvier 2015

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