Enquête judiciaire sur les mobilisations survenues en 2012 au centre de détention de Roanne
Fin octobre 2014, nous animateurs de l’émission anti-carcérale Papillon, diffusée sur Radio Dio à Saint-Étienne, avons été convoqués en tant que témoins par la police judiciaire de Lyon dans le cadre d’une commission rogatoire portant sur les luttes des prisonniers survenues en 2012 à Roanne.
Nous, animateurs de l’émission Papillon, souhaitons contextualiser cette enquête. Entre 2012 et 2013, de nombreuses luttes individuelles et collectives ont eu lieu dans différentes détentions, un peu partout en France. Des prisonniers témoignent, rédigent des plate-formes de revendications et des pétitions, tournent des vidéos, et pour se faire entendre, certains réussissent parfois à entrer en contact avec des journalistes et/ou à accéder à l’Internet. Ils ne dénoncent pas uniquement leurs conditions de détention : ils exigent que cessent le racket et l’exploitation subis au profit d’entreprises privées ; ils se mobilisent contre l’arbitraire et la répression de l’administration pénitentiaire, les violences des matons, le cumul des peines à l’intérieur, les régimes différenciés, les quartiers d’isolement et les mitards ; ils réclament des aménagements de peine et le rapprochement familial ; ils hurlent le manque de soin, les morts en détention. Pourtant, les médias privilégient le discours corporatiste des syndicats pénitentiaires, et rares sont ceux qui s’attachent alors aux paroles de l’intérieur pour rendre compte de ce qui se passe. Malgré une faible audience, les médias alternatifs et anti-carcéraux ont à cœur d’assurer un relais régulier de la situation des détentions pour soutenir les prisonniers, et poser le problème politique de l’enfermement et de l’existence même de la prison.
Le centre de détention de Roanne ouvre en 2009. Nous constatons très rapidement que les incidents en détention sont de plus en plus judiciarisés. Le tribunal local qui était menacé de fermeture retrouve un peu d’activité. Dommage pour les prisonniers qui voient leurs peines se cumuler. Nous tentons alors de comprendre et de faire savoir ce qu’il s’y passe, sur la base des écrits et des dires de prisonniers, ex-prisonniers et parfois de leurs proches. Certains se retrouvent en conflit larvé avec l’administration pénitentiaire, d’autres subissent des mauvais traitements de la part de surveillants, nombreux croupissent en régime fermé au D0, peu bénéficient de permissions de sortie et d’aménagements de peine, des familles sont humiliées au parloir, etc. À tel point qu’en 2012, parce qu’ils ne sont pas des chiens, des prisonniers rédigent une lettre de revendication collective et anonyme. Un peu plus tard une charge de surveillants sur des prisonniers refusant de remonter de promenade est filmée et diffusée sur l’Internet. Encore récemment, entre novembre et décembre 2014, trois prisonniers prennent le risque de monter sur un toit, pour partir de cette prison, même en transfert disciplinaire.
En 2012, ce qu’il se passe au CD de Roanne revient régulièrement sur la place publique et des actes de solidarité avec les prisonniers ont lieu à l’extérieur. Ne pouvant tolérer autant de révoltes médiatisées et soutenues, les surveillants syndiqués sont passablement énervés de ne plus avoir le monopole de la parole et de subir une dénonciation frontale. L’administration pénitentiaire doit reprendre le contrôle sur la détention et sur la circulation de l’information entre dedans et dehors. Si elle concède de menues améliorations des conditions de détention, elle orchestre surtout une répression sévère, divise les détenus et cherche des « meneurs ». Une commission rogatoire est alors ouverte afin de sanctionner une liste d’actes soi-disant commis en lien avec ces événements.
Nous animateurs de l’émission Papillon avions pour certains un proche incarcéré dans ce CD à qui nous rendions visite au parloir. Cela a pu être un prétexte pour la pénitentiaire de le désigner comme un de ces « meneurs ». Si la police judiciaire s’intéresse aujourd’hui aux activités de ses proches, amis ou contacts, elle s’intéresse également à d’autres prisonniers soutenus publiquement à cette époque, ainsi qu’aux médias l’Envolée, Rebellyon et le Numéro Zéro qui ont relayé les histoires de Roanne, et aux différentes formes d’échanges entre l’intérieur et l’extérieur.
Nous profitons de cette occasion pour adresser un message aux prisonniers qui n’acceptent pas la prison et l’enfermement. Depuis des années, certains sont en conflit avec des surveillants, portent plainte contre l’administration pénitentiaire, rédigent des plates-formes de revendications, refusent de réintégrer leurs cellules, participent à des mouvements collectifs, font des prises d’otages, etc. Vos paroles sont filtrées, censurées et rarement audibles. Vous êtes passés par les cases justice et prison, eh bien vous êtes condamnés au discrédit. Vos prises de position, vos luttes seraient scandaleuses… Vous exprimez souvent la nécessité de l’existence de médias, de collectifs anti-carcéraux et d’associations de soutien qui vous donnent la parole et brisent l’isolement. Cela dit, vous êtes les mieux placés avec vos proches pour décrire vos expériences propres du quotidien carcéral comme préalable à la critique de l’institution et du pouvoir pénitentiaire. À l’heure où l’enfermement se généralise dans un contexte économique et social toujours plus dégradé et dégradant, il nous semble essentiel de dire que ce que vous vivez nous concerne. À nous tous dehors, de nous y intéresser, d’établir et de renforcer des solidarités.
Les animateurs de l’émission Papillon, 26 janvier 2015