Appel à contributions – La Nuit rwandaise n°9
En mémoire de Jean-Franklin Narodetzki
Chaque année depuis avril 2006, la revue La Nuit rwandaise fait le point sur l’état des connaissances concernant les complicités françaises et la participation – militaire, diplomatique, financière, médiatique – dans ce qui apparaît comme le plus grand scandale de la cinquième République : la participation, au plus haut niveau de l’État français, dans l’extermination programmée de plus d’un million de Rwandais, hommes, femmes et enfants, parce qu’ils étaient catégorisés comme Tutsi ou parce qu’ils refusaient de prendre part aux massacres.
Comme chaque année, cet appel est lancé aux témoins, chercheurs, militants, journalistes ou historiens travaillant avec rigueur, méthode et détermination à l’établissement de la vérité sur l’engagement français au Rwanda, avant, pendant et après le génocide des Tutsi de 1994 : nous attendons vos textes – analyses, témoignages, informations, documents – avant le 1er mars 2015.
L’année écoulée, celle des vingtièmes commémorations, aura vu naître de nouvelles mobilisations en vue d’exiger de l’État français qu’il fasse toute la lumière sur son engagement criminel au Rwanda : ainsi le collectif « Rwanda 20 ans ça suffit », la campagne « #Rwanda20ans » de l’association Survie, la mobilisation lancée par le CIIP ou encore celle lancée par l’EGAM, « Rwanda, la vérité maintenant ! », auront rappelé la nécessité, en France, que soit mis fin au négationnisme d’État sur le génocide des Tutsi, notamment par la déclassification des archives françaises. Les initiatives pour la justice et la vérité en France sont nombreuses et les actions et mobilisations devraient se poursuivre, et espérons-le, s’amplifier, en 2015.
L’année 2014 aura également vu Guillaume Ancel, ancien militaire de l’opération Turquoise, rapporter que la France a massivement armé les génocidaires en déroute au Zaïre, ajoutant à la liste des crimes français celui d’avoir ainsi puissamment contribué à l’effroyable insécurité qui sévit depuis dans l’est de ce qui est devenu depuis la République Démocratique du Congo.
Dans le même temps, on aura encore enregistré de nouveaux témoignages sur l’engagement direct dans le génocide de soldats désignés comme « Français ». Les débats perdurent autour de l’éventualité d’une participation française directe à des massacres génocidaires, en particulier à Bisesero, les 13 et 14 mai 1994. Mercenaires ou pas, divers chercheurs conviennent au moins de la présence de « Blancs ». Il ne semble pas qu’il y ait d’autre solution, à ce point, que de constituer une commission d’enquête, pour s’assurer de la validité des nombreux témoignages recueillis, et en recueillir d’autres, afin de préciser l’état des connaissances et de mettre un terme à des débats qui ont assez duré. Ne cachons pas que La Nuit rwandaise serait heureuse de publier les conclusions d’une telle commission, ou l’état de ses travaux, s’ils étaient assez avancés lors de notre parution.
Sur le front judiciaire, après avoir prononcé un non-lieu quant aux accusations lancées par le juge Bruguière, mettant un terme à plusieurs années de ce qu’il faudrait qualifier de « diffamation judiciaire » envers la direction du FPR aujourd’hui au pouvoir à Kigali, le juge Trévidic a été saisi d’une plainte, émanant de la veuve d’un pilote, explicitement dirigée contre l’armée française, désignant y compris un soldat du RPIMA. Plus de vingt ans après les faits, l’évidence de la piste de tireurs français dans l’attentat ayant abattu l’avion du président Habyarimana devrait ainsi être enfin examinée.
Pendant ce temps, au Congo, c’est dans l’indifférence générale que perdure cette guerre faite aux « Tutsi ». S’y déploie toujours une politique internationale initiée par la France au profit de leurs alliés des ex-forces génocidaires rwandaises, aujourd’hui regroupées sous la bannière des FDLR que l’on prétend combattre tout en les protégeant, allant jusqu’à s’allier ouvertement à eux, comme on a pu le voir dans les combats contre le M23. Un an après notre précédent dossier, il nous faut faire le point sur la situation, en documentant autant que possible les événements récents, dont, par exemple, les massacres de Beni ou les violations répétées des accords de paix, de Kinshasa à Kampala, au détriment de ce qu’il reste du M23 après sa démobilisation consentie.
Comprendre et expliquer les complicités françaises dans le génocide des Tutsi exige de questionner l’engagement militaire français sur d’autres théâtres d’opération, en Afrique comme ailleurs dans le monde, où les doctrines militaires françaises sont mises en œuvre ouvertement et sans le moindre recul critique, toujours considérées comme le must de la pensée militaire en dépit de leurs résultats immanquablement chaotiques, pour ne pas dire littéralement apocalyptiques…
Ainsi, dès le quatrième numéro de la revue, nous évoquions le rôle joué par la France dans la formation des armées qui installeront des dictatures fascistes en Amérique latine dans les années 70, et sur l’utilisation et la diffusion de la doctrine française de guerre « contre révolutionnaire ». On y revenait encore au précédent numéro avec une importante interview de Gabriel Périès. On tâchera d’examiner ici, entre autres, les prolongements particuliers de cette doctrine sous la forme de théorie onusienne du maintien de la paix robuste, avec « l’approche globale » proposée et mise en pratique par le général Baillaud aujourd’hui dans l’est du Congo.
Alors que nous commémorerons cette année les vingt ans de Srebrenica, nous pleurons la perte de notre collaborateur Jean-Franklin Narodetzki, à la mémoire duquel ce prochain numéro est dédié. Comme pour lui rendre hommage, confirmant les dénonciations qu’il pouvait déjà faire dans son livre Nuits serbes et brouillards occidentaux, un document a été produit récemment par la défense du général Mladic établissant que l’abandon de Srebrenica résultait d’un accord entre Serbes et Français – les seconds récupérant quelques soldats pris en otages en échange de la vie des milliers d’habitants de Srebrenica. Pour ce vingtième anniversaire de Srebrenica, dans le prolongement du travail de Jean-Franklin, il nous semble important de consacrer un dossier de ce prochain numéro de la revue au rôle joué par la France à Srebrenica et, plus largement, dans cette ignoble guerre bosniaque contemporaine du drame rwandais.
Il faut obtenir l’ouverture de toutes les archives diplomatiques et militaires sur la Bosnie comme sur le Rwanda. On a pu enregistrer avec satisfaction l’accord du premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, confirmé par l’accord, également explicite, de celui qui aura été son ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, en faveur d’une telle ouverture. Ainsi, en bonne logique administrative, rigoureusement rien ne devrait s’y opposer, les responsables de ces archives acceptant que soient examinés tous les documents produits ou reçus par leurs administrations. On a raison de soupçonner que ces messieurs soient d’autant plus enthousiastes pour réclamer une telle ouverture qu’ils espèrent bien que ces archives auront été soigneusement nettoyées avant d’être livrées à quelqu’examen que ce soit. On peut même craindre que la destruction des éventuelles pièces compromettantes soit en cours et que le peaufinage du tri de ces archives se fasse plus méticuleux à mesure que monte la revendication d’y avoir accès. Tout retard dans la prise en compte de cette revendication peut être légitimement considéré comme suspect, pouvant procéder d’une volonté de dissimulation de preuves.
La Nuit rwandaise espère réunir autant de voix que possible pour réclamer l’ouverture sans retard de la totalité des archives militaires et diplomatiques, de l’ensemble des services de l’État, concernant les politiques entreprises par la France au Rwanda et en Bosnie dans les années 1990-95. Sachant qu’il faudra porter une attention particulière aux conditions dans lesquelles un véritable contrôle citoyen sur l’examen de ces archives puisse être garanti.
Malheureusement, au vu du récent massacre d’Iguala, l’actualité impose de revenir sur la question de la coopération policière franco-mexicaine si scandaleusement mortifère. Là aussi, les techniques de chaos que déploient les promoteurs de la guerre révolutionnaire portent trop bien leurs fruits, et il est à craindre que l’on voie là une énième manifestation des compétences en matière de trafic de drogues attribuables à cette école française depuis son origine, aux temps reculés de la guerre d’Indochine.
Cette année 2015 sera aussi celle du centenaire du génocide des Arméniens par les Turcs, en 1915. La question de l’implication allemande aux côtés du régime génocidaire des Jeunes Turcs est si semblable à celle de la France aux côtés du Hutu Power qu’un éclairage à ce propos s’impose dans notre revue, au moins pour rendre compte des débats existants en Allemagne à ce propos, si semblables à ceux que nous pouvons avoir en France concernant le Rwanda.
Comme chaque année, nous rendrons compte de l’état d’avancement des procédures judiciaires sur le sol français, ou de leur non-avancement, après le procès Simbikumgwa et dans le contexte de l’activité du pôle-génocide des juges d’instructions, à Paris.
Nous envisageons d’explorer aussi, pour ce numéro, la question de l’implication française dans le coup d’État d’Habyarimana, dès avant 1973 donc, faisant remonter le curseur d’une présence française au Rwanda active, et même décisive, dès cette époque.
On reprendra ici les critiques du très discutable documentaire de la BBC, en nous interrogeant sur les soutiens dont bénéficient les alliés rwandais des FDLR. Dans la même veine des complicités inavouables, on en profitera pour rendre compte de l’étude si remarquable de Richard Johnson sur Human Rights Watch.
Dans l’espoir que cette revue puisse ainsi contribuer à faire toujours plus de lumières sur l’envergure du problème soulevé par les politiques souvent secrètes et non moins condamnables que s’autorise l’État français à l’abri d’une réputation vertueuse manifestement usurpée.
Prière de nous signaler d’ores et déjà toute intention de contribution que ce soit sur l’ensemble des questions ici évoquées ou sur tout autre sujet pertinent pour contribuer à cette recherche, sachant que la copie doit nous être remise au plus tard début mars pour que nous puissions mettre en forme l’ensemble de ces contributions, corrigées, maquettées, imprimées, comme chaque année en début avril, tentant de marquer l’état de l’avancée des connaissances comme des débats qui ne font que s’amplifier avec le temps, preuve de l’utilité de ces recherches.
La Nuit rwandaise – mailing, 4 janvier 2015