ZAD nulle part (ou partout) ?
Nous nous investissons depuis quelques temps sur la ZAD des Chambarans, voire avons participé à son émergence, troisième version officielle de cette forme de lutte dite « récente ».
En tant qu’acteurs et actrices de ces luttes et en tant qu’anarchistes, nous avons eu envie de partager quelques réflexions sur leur évolution, ainsi que quelques critiques et espoirs que nous percevons dans les dynamiques actuelles.
Comme à peu près tous les termes nous définissant, zad-istes, anarchistes, terroristes, gauchistes, écologistes…, ce sont les médias et autres ennemi-e-s politiques qui officialisent ou popularisent les mots qui sont supposés dire qui nous sommes.
Même si ce mouvement est le plus populaire du moment, il paraît néanmoins important de rappeler que tout n’est pas né au Testet ou à Notre-Dame-des-Landes. Nous avons parfois l’impression d’entendre cette idée dans la voix de certain-e-s de nos camarades en nous demandant si cela dénote plus un manque de référentiel et d’information ou plutôt une envie de se détacher de l’histoire politique, en souhaitant repartir sur des pratiques « neuves ».
L’occupation d’espaces agricoles ou ruraux contre l’expansion marchande et capitaliste, les confrontations avec les forces répressives de l’État, la vie en campement dans la forêt à 1000, les occupations, tout ça n’est que stratégie de lutte, et plus ou moins antédiluvien. Il y a eu moult expériences similaires à des ZAD, du Larzac à l’occupation du Parc Mistral à Grenoble, sans compter les expériences ailleurs, le quartier de la Punta à Valencia, la forêt de Khimki vers Moscou, le village de Skouries en Grèce, enfin, la liste serait trop longue.
Bien entendu, il n’est pas ici question de dévaloriser les mouvements actuels, d’autant plus qu’ils développent des contextes intéressants et rencontrent quelques succès, mais plutôt de rejeter ce qui, selon nous, crée une nouvelle intelligentsia militante.
Nous n’avons pas besoin d’élite et, s’il est sûr que la transmission et l’échange d’expérience sont des éléments fondamentaux du front social, ils nécessitent un cadre d’autant plus fort que nous devons fuir comme la peste la hiérarchie et les rapports de pouvoirs qui entourent le monde du militantisme.
Si ces mouvements nous semblent intéressants, c’est par les liens qu’ils créent malgré la confusion que le système est parvenu à insérer dans les rangs des exclu-e-s et des résistant-e-s à ce monde, d’autant plus que bien peu de luttes sociales arrivent à communiquer de manière large et à se visibiliser.
Si la culture politique, les notions de lutte des classes et l’autodéfinition activiste apparaissent aujourd’hui comme des valeurs désuètes, éculées, voire ridicules, nous sommes néanmoins surpris-e-s d’avoir l’impression de retrouver aussi ce phénomène au sein même du mouvement dit des « ZADs ».
Car, par essence, le mouvement mélange des luttes locales d’opposants qui résistent contre des projets capitalistes, avec une légitimité d’habitant-e-s locaux, qui vont faire appel ou recevoir l’aide de collectifs organisés de grandes villes proches (comme à NDDL ou au Chefresne) et parfois aussi de hordes de rupturistes qui se greffent hors sol à ces dynamiques. Le tout accentué par la médiatisation intense que cette lutte connaît.
Il n’est bien sûr, ici, pas question de railler ou de regretter ces légions d’exclu-e-s de ce monde, qui ont, au moins, le bon sens de vouloir déserter le monde actuel et de renforcer numériquement ces combats, en créant un rapport de force souvent salutaire. Mais ce phénomène se heurte obligatoirement à l’hostilité locale des réactionnaires, fascistes et autres identitaires dans ces zones de luttes, qui vont assimiler les « zad-istes » à des envahisseurs barbares et appuyer sur le côté « bon à rien vivant au crochet de la société » des gueux-se-s errant-e-s.
Là encore, nous ne saurons défendre ces positions pétainistes ou poujadistes, mais regretter que, jusqu’alors, nous nous soyons révélé-e-s inaptes à opposer une réponse que nous estimons politisée à ces discours fascistes.
Entre la constitutions d’une horde ambulante élitiste (j’étais à NDDL, Sivens … alors, je connais / sais) ou des penchants pacifistes (les gens nous aiment pas mais nous sommes gentil-le-s) ou une passion insurrectionnaliste paranoïaque (je vais m’entraîner à faire des high kick contre les platanes), il y a peu de réponses raisonnables et tout-e un chacun-e a vite fait de montrer que son but véritable est de vivre en tribu nomade, en omettant le plus possible de remettre en cause les privilèges et rapports de domination.
Car si l’on évoque la stratégie à longueur de lutte, il faut d’abord commencer par établir une analyse politique un tant soit peu cohérente et sérieuse. Et surtout vouloir le faire.
Oui, une partie des voisin-e-s des ZADs du Testet ou des Chambarans, entre autres, sont fascistes, réacs ou traditionalistes. Ils et elles n’ont aucune passion à l’idée de voir arriver par chez eux-elles, peut-être pour des années, une centaine de zonard-e-s, traveller-euse-s, punks…, tout ce beau monde leur expliquant qu’ils et elles n’ont rien compris à l’analyse de la situation. Même si c’est pourtant la vérité.
À côté de cela, ces voisin-e-s réagissent de la manière la plus dégueulasses et néfaste qui soit en constituant des milices et en adoptant un discours que nous ne pouvons laisser passer.
Pourtant, une bonne majorité du mouvement tente de se grimer en petits enfants idéaux (je suis zadiste et j’assume…) , l’autre se dit que lui ou elle va aller voir les méchant-e-s et les persuader de leur erreur politique (là où 250 potes ont raté juste avant), les derniers se terrent dans la forêt et attendent l’Armageddon.
Personne ou presque n’a le réflexe d’analyser cette situation et réagir en conséquence, si nous étions un peu plus grandiloquent-e-s, nous évoquerions presque l’Espagne de 1936, mais bon, restons pragmatiques.
En tout cas, nous estimons avoir jusqu’alors respecté les différences politiques voire l’apolitisme de certain-e-s camarades ZAD-istes, être passé-e-s outre l’évocation d’un « ZAD-isme » que nous ne saurions comprendre, et avons même laissé couler les allusions à notre volonté supposée de transformer la communication de la ZAD en « fanzine anarchiste ».
Nous n’avons pas besoin de la ZAD pour communiquer, ni de la Marquise pour faire salon, ne voulons pas devenir les leaders leadeuses d’un courant médiatique écolo réformiste, voire fuyons les médias et avons, depuis bien longtemps, créé les nôtres. Il en est de même en ce qui concerne les lieux. Nous ne prétendons pas avoir une quelconque aura et réussi à créer une utopie anarchiste, nous ne sommes pas grand-chose mais tenons les murs et les arbres, et cela ne date pas d’hier.
Nous appelons nos ami-e-s ZAD-istes à ne pas se conforter dans le mouvement actuel, à errer de ZAD en ZAD tels des soldats sans armée et sans front. Et à reprendre une analyse politique déterminée et ferme du contexte actuel. Nous avons besoin de rigueur politique, de choix réfléchis et de nous sentir fort-e-s et soutenu-e-s parce que nous étions trop peu depuis une dizaine d’années, mais aujourd’hui, alors que notre nombre est plus appréciable, l’ennemi reste démesuré et semble encore plus fort que jamais.
Si pour notre part, nous assumons beaucoup plus le terme d’anarchistes que celui de ZAD-iste, c’est parce qu’il définit une analyse politique des rapports sociaux, qu’il implique une critique en acte des rapports de domination, d’oppression et de violence auxquels nous sommes confrontés, même au sein de notre camp.
En tant qu’anarchistes, nous ne voulons pas briller par notre « pureté » militante mais donner quelques moyens à nos rêves et percevoir la réalité de ce qui nous habite et de ce qui nous entoure.
Nous ne sentons pas cette même ferme volonté sur la ZAD.
Nous sommes néanmoins fermement décidé-e-s à participer à ce combat, mais avons besoin de bases collectives et affinitaires, de poser des mots et des envies communes.
Ce qui ne passe pas obligatoirement par 1522 réunions, une conférence ou un pacte.
Contrairement à des camarades croisé-e-s par ci par là, nous ne sommes pas en cursus universitaire, nous ne sommes pas là pour nous former, mais pour rencontrer des camarades, vivre ensemble si cela nous semble opportun, parce que nous n’avons pas « d’ailleurs », parce que nous continuerons à lutter partout où nous sommes.
Mais nous ne voulons pas, cependant, faire semblant d’être d’accord, ni occulter nos éventuels antagonismes.
Les mouvements sont fait pour mourir, pas la lutte, ancrons-nous dans cette vaste aventure !
Nous ne combattrons, malheureusement, pas le fascisme et le capitalisme avec des réformes et des bisoux. Nous ne choisissons pas les modes d’action, c’est le pouvoir qui pose les jalons de nos confrontations, et nous n’avons d’autres choix que de gagner.
Que vive la révolte et la lutte sociale.
Quelques anarchistes de vers Grenoble – 26 décembre 2014